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Interview
2/4 Basilio Martin Patino : entre « vérité » et « farce »
Article mis en ligne le 25 décembre 2006
dernière modification le 23 novembre 2008

Basilio Martin Patino : J’ignore comment naissent les films. J’en ai réalisé pour répondre à un besoin à un moment donné. Quand je suis parti de Salamanque pour Madrid, je me suis éveillé à une rationalité dont je n’étais pas conscient. J’ai compris ce qui s’était passé dans mon pays et j’ai commencé à faire du cinéma. Nous n’avions rien à voir avec un gouvernement hostile ni d’ailleurs avec le reste de la profession qui nous ignorait. Nous avons vécu une époque étrange dans un pays étrange et intéressant. Je parle au pluriel car nous étions plusieurs à l’école de cinéma, enfants de ceux qui avaient participé à la guerre civile. J’ai voyagé à l’étranger et je dois dire, qu’à l’époque, le monde du cinéma espagnol présentait une certaine vacuité, les uns étaient en exil et les autres morts ou en prison.

Mon premier film de fiction exprime un étonnement devant un pays dans lequel j’étais mal à l’aise. Neuf lettres à Berta  [1]met en scène un étudiant, fils de vainqueur de la guerre civile, et en porte-à-faux avec son milieu familial et une société fermée. Le film a eu du succès. Ensuite, la censure a interdit Canciones para despues de una guerra et j’ai choisi d’entrer en clandestinité. C’est peut-être pour cela que je ne suis pas connu. Cette période était difficile mais très riche en créativité. Après la fin du franquisme, j’ai réalisé deux films de fiction, Les Paradis perdus  [2](1985) et Madrid  [3](1987).

Je venais d’une ville très catholique qui avait vu la naissance du franquisme et, en arrivant à Madrid, j’ai découvert une ville vivante, toujours en révolte. Dans Madrid , je voulais montrer comment les gens, les miliciens avaient survécu et lutté alors que le gouvernement était parti à Valence. Je voulais dire le sens moral collectif, la lutte des femmes dans une ville traquée, cernée et presque désarmée, et décrire l’arrivée des Brigades internationales qui avaient permis de résister jusqu’au dernier moment. Il était important de raconter aux autres et à moi-même ce qui s’était passé à Madrid. Et j’ai pris comme prétexte scénaristique la venue de ce documentariste étranger pour monter des documents de l’époque, sur fond sonore de zarzuelas.

Quand et comment avez-vous réalisé Caudillo  ?  [4]

Basilio Martin Patino : Au fur et à mesure de ma prise de conscience, j’étais de plus en plus angoissé en raison de la situation de mon pays. Le film Caudillo est né en moi et répondait à un réel besoin. À cette époque, il était évidemment impensable de réaliser ce genre de film sur Franco car ceux qui auraient pu le faire étaient soit en prison, soit en exil, soit au cimetière.

Durant mes études, j’ai appris beaucoup de choses sur la situation et plus encore lorsque j’ai commencé à faire du cinéma étant confronté à la censure et à l’hostilité ambiante du milieu, alors qu’une certaine liberté est nécessaire dans cette profession. Je peux dire qu’alors j’étais dans un processus de tâtonnement.

Mon premier film était déjà contestataire par rapport à la situation en Espagne et je me suis rendu compte qu’il me serait impossible d’avoir une expression libre, alors j’ai réalisé mon premier film interdit, Canciones para despues de una guerra / Chansons pour un après-guerre  [5]. Je lui ai donné une tonalité ludique avec le montage de la musique et des images, en utilisant les chansons populaires et contestataires qui protestaient contre la situation. Le film a plu à la censure et aux ministres qui l’ont vu, parfois avec leurs épouses. La situation était paradoxale : le film leur plaisait, mais il était interdit. Le projectionniste de la salle de projection du ministère nous rapportait qui voyait le film : le roi et la reine, les ministres, etc. C’était cocasse, mais j’ai vite compris qu’il était inutile de jouer ce jeu et qu’il était préférable d’entrer dans la clandestinité.