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Charles Reeve
Années de révolution, années de passion
Article mis en ligne le 5 décembre 2010
dernière modification le 4 octobre 2010

François Cerutti, D’Alger à Mai 68, mes années de révolution, Avant propos de Mohammed Harbi, Spartacus, Paris, 2010.

La vie prend tout son sens dans ces moments de liberté où on choisit son camp, c’est ce dont témoigne le livre de François Cerutti.

L’auteur est né à Alger en 1941 dans une famille pied-noir de vieille souche qui habitait rue Élisée-Reclus. Voilà ce qui ne s’invente pas ! Et qui annonce la suite.

Nous voilà embarqués dans le parcours d’un jeune homme insurgé et épris de justice sociale. L’époque est riche en événements, on vit les dernières années de l’Algérie coloniale, la guerre fait des ravages, la révolte gronde. Porté par ce mouvement d’opposition au système inique de la colonisation, insoumis à l’armée, Cerutti, comme tant d’autres à l’époque, croit que la fin du colonialisme intègre un plus large mouvement d’émancipation sociale. Ainsi, après l’indépendance, il participe à Alger, avec ses camarades trotskistes, aux expériences des entreprises autogérées. La reprise en main de la situation par la bureaucratie du parti nationaliste FLN sonne la fin des velléités subversives. Rentré en France après le coup d’État de 1965 de Boumediène, Cerutti est « accueilli » par l’institution militaire qui prend sa revanche. Il passe deux ans en prison. Un temps qu’il utilise pour commencer une réflexion sur les conceptions politiques qui l’ont animé jusqu’alors. Réflexion qu’il prolonge, à sa sortie de prison, par la lecture, entre autres de la revue « Socialisme ou Barbarie » et qui abouti à son éloignement de la mouvance trotskiste.

Par le jeu des connaissances et des rencontres qui jalonnent le quotidien de ces années-là, Cerutti se retrouve ensuite partie prenante de l’aventure d’une petite librairie parisienne atypique, située au cœur du quartier latin, « La Vieille Taupe ». Il accompagne et participe directement aux événements révolutionnaires de Mai 68, et tout particulièrement à l’expérience des Comités d’action travailleurs–étudiants qui se forment à la faculté occupée de Censier. Où se retrouvent les prolétaires attirés par la dynamique révolutionnaire de Mai 68 qui ne peuvent pas agir dans leurs lieux de travail, verrouillés par les bureaucraties syndicales, celle de la CGT en tout premier lieu.
Ces années de braise, Cerutti les raconte dans un style direct, vivant, haut en couleurs, foisonnant d’anecdotes. Fidèle à la tradition orale du grand sud qui est la sienne. Le résultat est réussi, le lecteur est pris par le rythme du récit.

Un jour de 1972, fatigué de Hegel, de Marx et surtout de leurs épigones, Cerutti s’éloigne de la scène parisienne pour s’engager dans une autre aventure, celle de l’artisanat d’art en poterie dans le sud de la France… C’est seulement plus tard qu’il découvrira, effaré, l’entreprise négationniste de celui qui continue à se réclamer de « La vieille Taupe » en s’associant à des anti-sémites et des nostalgiques du nazisme...

Le virus de l’émancipation sociale attrapé rue Elisée Reclus ne quittera jamais François Cerutti. Même s’il y met aujourd’hui des bémols. « Quand j’étais jeune, j’étais convaincu que la révolution était possible de mon vivant, j’en suis moins sûr aujourd’hui. Néanmoins, la nécessité de changer ce monde me semble de plus en plus évidente et urgente. » (p.118).

En attendant la suite, il faut prendre le temps de lire cette captivante reconstitution d’une décennie de révoltes, ce témoignage à la première personne d’une époque où les individus ambitionnent être les sujets de leur propre Histoire, jamais seuls, cherchant avec passion, librement, à s’associer pour faire face au système d’oppression.