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Irène Pereira
Comité invisible, L’insurrection qui vient
Article mis en ligne le 2 décembre 2008

En dépit d’une signature énigmatique ou à
cause d’elle, cet ouvrage nous permet de
situer la mouvance de la gauche radicale
dans laquelle évoluent le ou les auteur(s),
à savoir la mouvance néo-autonome postsituationniste.
L’ouvrage se découpe en
deux parties principales : une description
de « l’enfer » dans lequel nous vivons et les
moyens préconisés pour lutter contre cet
« enfer ».

Par les moyens que le Comité invisible
préconise pour résister, il se situe dans la
mouvance néo-autonome actuelle. Le titre
même de l’ouvrage inscrit ses auteurs
dans cette mouvance. La notion d’insurrection,
telle qu’elle est utilisée dans cet
ouvrage, n’est pas sans faire référence à la
conception émeutière de la transformation
sociale qu’avait développé la mouvance
autonome durant la seconde moitié des
années 70. En réalité, cette conception
émeutière spontanéiste de la transformation
sociale, propre à l’ultra-gauche,
ne représente qu’un aspect limité de la
conception insurrectionnelle de la transformation
sociale qui plonge ses racines
dans les révolutions du XIXe siècle et leurs
barricades, et dont une autre manifestation
peut être l’insurrection à laquelle
participa Malatesta dans le Bénévent.
Le mode d’organisation promu par le
Comité invisible est la commune : « La
commune, c’est ce qui se passe quand des
êtres se trouvent, s’entendent et décident
de cheminer ensemble. […] Dans chaque
usine, dans chaque rue, dans chaque
village, dans chaque école. Enfin le règne
des comités de base ! […] Toute grève
sauvage est une commune, toute maison
occupée collectivement est sur des bases
nettes une commune […] » (p. 89-90). La
notion de commune telle qu’elle est
utilisée par le comité invisible conjoint
plusieurs traditions différentes sous le
même terme, sans l’utiliser spécifiquement
dans le sens dans lequel il est utilisé
dans la tradition anarchiste. La commune
repose d’abord sur une relation affinitaire
entre des individus. En ce sens, la notion
de commune rejoint la notion de « milieu
libre » telle qu’elle existait dans les milieux
anarchistes de la Belle Époque. Il ne s’agit
pas de la notion de milieu au sens où la
refuse le Comité invisible. Le milieu
littéraire ou le milieu militant est un réseau
d’individus qui se constitue pour des
raisons sociales. Mais la notion de
commune, pour le Comité invisible,
englobe aussi la tradition conseilliste
germano-hollandaise des conseils et des
comités. Le conseil ouvrier n’est pas une
structure affinitaire, mais regroupe des
travailleurs sur leur lieu de travail.
Néanmoins en affirmant « Tout le pouvoir
aux communes » (p. 123) et non aux
ouvriers, le Comité invisible se situe dans
le tournant qu’a suivi une partie du
mouvement autonome dès les années 70
(voir par exemple l’OCL en France) en
considérant que le lieu de travail ne
constituait plus le lieu central des luttes
dans le système capitaliste.

Néanmoins au sein de ces communes,
de ces comités, il ne s’agit pas de prendre
des décisions par le biais d’assemblées
générales utilisant des procédures telles
que le vote et les délégués mandatés et
révocables à tout moment. C’est que
l’assemblée générale, pour les membres
du Comité Invisible, et pour un certain
nombre de personnes de la mouvance
autonome post-situationniste, n’a pas
pour fonction de prendre des décisions en
vue d’agir, mais elle a un rôle cathartique,
un rôle de présentation de soi. Ici le
modèle implicite de ce que doit être l’AG
est le théâtre de l’Odéon en 68. Par
conséquent, comme l’AG n’est pas là où se
prennent les décisions, le mode d’action
qui sert de modèle au Comité invisible est
l’émeute urbaine. Plusieurs caractéristiques
y sont valorisées. L’émeute urbaine
est une action collective spontanée qui ne
suppose donc ni une préparation en AG,
ni un encadrement par le service d’ordre
d’une organisation comme les
manifestations. Ce qui explique sa
référence plus fréquente aux émeutes de
2005 qu’aux actions de lutte contre le CPE.
Autre thème qui est développé, et qui est
là aussi une thématique propre aux
milieux situationnistes et autonomes, est
le refus du travail. Pour les néo-autonomes
post-situationnistes, il s’agit de remettre
au goût du jour les pratiques illégalistes, la
fraude, des autonomes des années 70. Ces
méthodes illégalistes, qui font du lumpenprolétariat
le modèle de la rébellion
politique, trouvent leurs racines dans
l’illégalisme des anarchistes individualistes
de la Belle Époque qui prônaient le vol ou
la fraude contre le travail.

Les moyens d’action préconisés par le
Comité invisible s’inscrivent dans la lignée
de deux traditions qui, si dans leur
idéologie elles semblent fort différentes,
peuvent se rejoindre dans leurs pratiques :
il s’agit de l’anarchisme individualiste et
du mouvement ultra-gauche autonome.
L’illégalisme individualiste et les pratiques
émeutières d’un Libertad ne sont pas sans
rappeler les auto-réductions et les
émeutes autonomes. De même, on peut
remarquer les liens qui semblent pouvoir
exister entre les milieux libres et les squats.

Ce lien apparaît par exemple dans les
Infokiosques où les textes sur l’autonomie
voisinent avec les brochures sur
l’anarchisme individualiste.


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