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Christiane Passevant
Le système Poutine (3)
Film documentaire de Jean-Michel Carré et Jill Emery
Interview de Jill Emery
Article mis en ligne le 15 janvier 2008
dernière modification le 25 mars 2008

« C’est un chat gris qui sort d’un sac noir [1] »

Jill Emery : Un livre sera construit à partir des interviews du film. Jean-Michel en sera le rédacteur avec un ou une journaliste. Je suis participante comme pour le montage et la construction du récit du film. Nous avons plus de 200 heures d’interviews passionnantes, un stock impressionnant de matière.

Christiane Passevant  : Trois ans de travail pour ce film…

Jill Emery  : Pendant le tournage de Koursk, un sous-marin en eaux troubles, nous avons eu l’idée de suivre le parcours de Poutine. Jean-Michel voulait en savoir plus, mais nous avions un film à tourner. Je pense qu’un cinéaste est toujours visionnaire, et nous avons eu l’intuition que poutine n’allait pas en rester là. Quand on construit ce type d’histoire, il y a l’investigation, mais aussi l’intuition, l’envie de décortiquer les choses, de chercher les informations, de construire un puzzle, avec de l’humour, du suspens… Dans cette histoire de Poutine, l’écriture cinématographique m’a beaucoup plu. Nous avons travaillé trois ans ensemble pour assembler les éléments du film. Nous sommes allés en Russie, aux Etats-Unis, en Angleterre pour ramener les informations, nous avons discuté des heures pour développer les idées, chacun avec des points de vue différents. Je suis anglo-saxonne, peut-être plus pragmatique, je suis une femme. Jean-Michel est plus dans la dénonciation, la violence… Et je pense que notre travail a été complémentaire pour construire un film avec tout ce que nous avons amassé pendant trois ans. C’est très long, mais passionnant parce qu’en écrivant histoire, nous avons établi une grille de lecture du système Poutine tout en rendant ce récit cinématographique et compréhensible pour tout le monde.

C. P.  : Dans le film, quand les paroles et les commentaires s’arrêtent, ce sont les images qui prennent le relais.

Jill Emery  : C’est un film avant tout. Peut-être n’y a-t-il pas assez de moments où l’image prend le relais. Les commentaires sont très denses. La version anglaise est peut-être plus aérée ; j’ai tenté de réduire un peu les commentaires pour laisser plus de place à l’image. L’image parle d’elle-même parfois et les archives sont formidables. À travers celles-ci, Poutine se dévoile, il se raconte lui-même. Le commentaire doit souligner de temps en temps le récit d’un homme qui a su prendre le pouvoir. On comprend les règles pour devenir dictateur, pour prendre le pouvoir. Et cela depuis l’enfance jusqu’à aujourd’hui.

C. P.  : Cela fait penser à Écoute petit homme ! de Wilhelm Reich. Le film est une analyse de la personnalité autoritaire, de comment on devient dictateur.

Jill Emery  : Tout à fait. Cela pourrait aussi se passer ailleurs, dans un autre pays. Mon expérience d’enseignante m’a permis de sentir que parmi des élèves, souvent inattentifs, turbulents et issus de milieux difficiles, certains sortent du lot, sont intelligents et déterminés. Et je pense que Poutine a fait partie de ces jeunes. Personne ne l’a remarqué parce qu’il est entré dans le moule KGB. Il a appris les méthodes KGB, la rigueur KGB, mais qui était-il profondément ? Pourquoi a-t-il réussi à se hisser au pouvoir et pas un autre ? Son intelligence et sa détermination ont été nourries par cet apprentissage et c’est ce qui est fascinant.

C. P.  : En ce qui le concerne, c’est une volonté de puissance et de jouer les éminences grises qui l’anime ?

Jill Emery  : Éminence grise certainement. Mais personne n’a vu en lui quelqu’un de brillant, comme pour Staline non plus d’ailleurs. Staline était un petit bonhomme travailleur qui ne disait rien pendant que les autres parlaient de la révolution. Montrer qu’on est médiocre, donner l’impression qu’on est médiocre, personne, c’est intelligent et difficile à réaliser. La nature humaine est telle qu’à moment donné, on ne supporte plus de ne pas être remarqué, de paraître petit. C’est également difficile de dissimuler sa colère et Poutine, on le voit dans le film, a une énorme colère, mais il ne l’exprime qu’au moment propice. Il est très fort.

Ce que nous avons voulu montrer dans le film, c’est que rien ne s’est fait par hasard. L’histoire de la Russie de ces trente dernières années et l’itinéraire de Poutine se croisent inéluctablement. Toutes les informations recueillies, si elles ne sont pas dans le film, nous ont nourri pour construire le récit du film. Nous avons vérifié les faits, les dates auprès des historiens durant ces trois années de travail afin de faire un film qui soit compréhensible pour un large public, ignorant pour une grande part de l’histoire russe, très complexe, de ces trente dernières années.

Christiane Passevant (novembre 2007)


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