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Le brouillard de la guerre II
De la Métaguerre

Penser la guerre comme la méta-physique

Article mis en ligne le 1er février 2024
dernière modification le 17 février 2024

La métaguerre

La guerre s’appuie sur des fondamentaux au-delà de l’action, on peut parler d’une méta-physique de la guerre. La factualité, l’histoire, l’art stratégique ne suffisent pas à cerner complètement l’objet-guerre. Depuis la grécitude, on sait que derrière les sensations et les objets nichent une ou des " méta " dont l’identification apporte une meilleure vue du fait-guerre. La factualité forte de la guerre voile trop facilement ses autres dimensions tout aussi importantes.

Ici, je me contente de présenter les axes de cette recherche. Chaque point mérite de longs développement. J’invite les volontaires à participer à cette entreprise. La bibliographie en fin du troisième volet de cette réflexion peut servir de bases.

Guerre et religions.

On pense évidemment à " guerre des religions ", la plaie endémique de l’humanité. Réserver nos libelles au seul monothéisme (triphasé) serait une erreur systémique. Dans un article dédié à ce thème, il faudra explorer le statut de la guerre dans les croyances principales de l’humanité : des exemples : " Tu ne tueras point " et la participation du Zen japonais à la guerre prouvent qu’un parcours méticuleux de cette évidence s’impose.
Par ailleurs, dans le système indien des castes, la question se complique, car chaque segment du corps social holistique remplit une fonction particulière dont la caste guerrière (Kshatriyas). Les moines-guerriers, l’ordre des Templiers… montrent aussi le mécanisme de sacralisation de la violence et de sa spiritualisation dans les pensées orientales.

Toutes les religions et les disciplines spirituelles se heurtent, un moment ou un autre, à la fréquentation du pouvoir temporel. C’est le big choc, le D-Day du réel. La lecture difficile, à mes yeux, de la Bhagavad-Gîta est un exemple. Imaginez Ben Hur sur son char philosophant sur sa position et les contradictions qui l’étreignent. L’art cinématographique se contente d’images fortes, de sueur, de gros plans, mais oublie l’essentiel : la motivation, le plaisir de combattre, l’oubli de la mort au profit d’un héroïsme spectacularisé et artificiel. L’esthétique la " boite noire " est aussi la " bête noire " de la modernité.

Guerre et philosophies

La philosophie a largement épaulé et parfois mis à mal les religions. Les Lumières marquent un moment important dans l’émancipation de la philosophie par rapport à la religion (Kant). Toutefois, la philosophie traite rarement du sens profond du fait-guerre. Toujours cette peur de mettre les pieds sur terre, la pensée hors-sol présentent des avantages pécuniaires et de plan de carrière.

Philosophie de la guerre.

Ce thème est souvent aborder sous l’angle de la Violence libératoire (Cf. Labica). Hegel, Marx et les sous-produits de la lutte des classes en ont fait un instrument nécessaire de libération et d’émancipation. Guerre de classe ou Luttes de classe, même combat. Ce stéréotype confortable de la Révolution Industriel reste un inconscient rarement interrogé. Chez Sorel, la violence atteinte le niveau du mythe.

Avec le temps, la réduction de la guerre à des fins économiques ne résiste pas la capacité de mutation et de changement de paradigmes du Capital. Ce qui met les marxistes " purs-port-d’attache " (on peut parler aussi d’encrage et d’ancrage) à l’arrière-garde du mouvement d’opposition radicale aux transformations du capitalisme.

Schématiquement, on peut distinguer plusieurs phases dans le développement du capital.

  1. La longue période de l’artisanat qui n’empêcha la construction navale indispensable au commerce et aux guerres de conquêtes ou défensives ( Grèce contre Perse). Même procès avec la pierre taillée, à la fois outils et arme. Avant les peuples sans histoire étaient des peuples-pour la guerre (Clastres) .
  2. Suivit la phase pré-industrielle (armure, artillerie…) à l’origine de la modernité technologie. C’est le royaume de la mécanique et de l’industrie lourde (sidérurgie, chemin de fer). La mobilité des capitaux, des matières et des savoirs provoque une première vraie révolution. Relire Marx et les penseurs de la technique.
  3. La période numérique commence dès les années 50 avec les premières avancées de la cybernétique
  4. La phase actuelle de l’I.A, nouvelle révolution des savoirs, de l’industrie, du politique et du social dont on mesure à peine les conséquences et les convulsions futures. Sans oublier les contradictions internes que analyse du néoTot met en évidence.

A chaque période du développement historique et économique correspondent des théories de la guerre différenciée. Son étude devrait faire partie intégrante de l’histoire et de la philosophie y compris dans les milieux pacifistes souvent ignorants des fondements de leur crédo. L’articulation, l’interdépendance entre le mode de production et le mode d’expression du fait-guerre doit mobiliser nos énergies, sinon gare au désespoir et à la gueule de bois de l’ivresse des luttes sociétales que le néoTot agitent devant nos yeux, histoire de détourner notre attention.

Les philosophes et la guerre.

Cette introduction ne permet pas de longs développements sur le lien étroit, souvent ambigus, des philosophes avec la guerre. Kant et Hegel tiennent la tête du peloton d’exécution, surtout Hegel, grand promoteur de la confrontation interne maître/esclave (ré-introduction de la guerre civile dans le corpus philosophique. Ses billevesées auront une paternité mortifère.
La dualité violence / guerre prend, elle aussi une nouvelle dimension. J’attire l’attention sur quatre auteurs : Éric Weil, René Girard, Michel Maffesoli (malgré les vives critiques dont il est l’objet), Jean Vioulac (Cf les recensions dans Divergences).

Il faudra comprendre le rapport à la guerre des philosophes à travers deux penseurs allemands Hermann Cohen et Heidegger, car la germanitude réserve des surprises.

Esthétique de la guerre.

Bien évidemment, le fait-guerre, l’universel concret de l’humanité, ne pouvait qu’engendrer un débauche de productions artistiques. Les arts nous rappellent son importance et la fascination qu’elle inspire.Peinture, musique, sculpture, reprennent sans cesse le thème.

Le cinéma aborde tous les thèmes que nous venons d’esquisser. Cela mérite de longues analyses d’oeuvre, des origines filmiques du Napoléon d’A. Gance à Avatar. D’ailleurs, le S.F ajoute une dimension nouvelle au choc des civilisations et des mondes. Remarquons au passage que l’alien est presque toujours baveux, il salive d’un appétit féroce.

On trouve dans littérature un choix illimité de textes guerriers et épiques. Le théâtre et l’opéra s’en délectèrent. Ernst Jünger occupe une place importante dans la glorification de l’horreur et sa description dans Orages d’Acier. En 1922, il publie Le combat comme expérience intérieure. Après la IIème guerre mondiale, il penche pour un individualiste anarchisant et se dit même lecteur et admirateur de Stirner. Céline, Genevoix, E.M. Remarque, Dorgelès, Vassili Grossman (Vie et Destin), Norman Mailer et bien d’autres méritent une relecture attentive. Tous vécurent l’apocalypse des deux guerres mondiales, la guerre réelle fut leur destin. Tous ces livres traitent de l’esthétique et de vie quotidienne guerrières : la fraternité, la mort, le dépassement, le sacrifice, la souffrance, l’absurdité, la révolte…

Un peu de poésie :

L’ADIEU DU CAVALIER
Au Dieu ! que la guerre est jolie
avec ses chants ses longs loisirs
Cette bague que je l’ai polie
Le vent se même à vos soupirs.
 
Adieu ! voici le boute-selle
Il disparut dans un tournant
Et mourut là-bas tandis qu’elle
Riait au destin surprenant
FUSÉE (extrait)
 
Le riz a brûlé dans la marmite du campement
Ça signifie qu’il faut prendre garde à bien de choses
 
Le mégaphone crie
Allongez le tir
 
Allongez de tir amour de vos batteries
 
O vieux monde du XIXème siècle plein de hautes cheminée
si belles e si pures
 
Virilité du siècle où nous sommes
O canons
 
Douilles éclatantes des obus 75
Carillonnez pieusement

Apollinaire in Calligrammes


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