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Anarchisme et universalisme.
Claire Auzias
Article mis en ligne le 13 octobre 2023
dernière modification le 16 octobre 2023

L’universalisme est un concept difficile à expliquer. Les philosophes en ont fait leur crème, mais je ne suis pas philosophe. Je me contenterai de proposer de menues pistes pour tenter de se cadrer dans cette perspective.

Pour considérer l’universalisme, je me suis appuyée sur le livre d’Etienne Balibar : « Des universels » paru en 2016, complété par la critique indispensable de Herder, pasteur et philosophe allemand. Je me suis ressourcée à la revue Réfractions d’automne 2019 « Au risque de l’universel ». Et bien sûr surtout, je m’appuie sur mon expérience du féminisme, terriblement attaqué de nos jours sur ce flanc.

Je dirai brièvement que l’universalisme n’est pas un donné brut, mais une visée en perpétuelle élaboration. Ce que Balibar, en noble hegelien qu’il est, redit inlassablement dans son recueil ; « Des universels » et non pas « Un universel ». Et chaque étape de l’universel est appelée à se frotter à la critique qui permet d’engendrer une nouvelle conception de l’universel. L’universel c’est ce qui est commun, c’est une totalité ouverte.

Nos penseurs classiques ont formulé un universel qui, de nos jours, se heurte à la critique véhémente du monde globalisé : ce serait un universel réducteur, réservé à une élite blanche, européenne, mâle, etc. Mais il faut ici argumenter immédiatement deux choses : D’une part en temps réel, dès 1773, Herder a répondu à cette critique en invoquant le droit et la possibilité pour les cultures du monde d’être nommées universelles. Tous les peuples, toutes les cultures sont appelées à l’universel. Deuxièmement, c’est au nom de cet universel des lumières, réduit au plus petit dénominateur commun, que les femmes ont revendiqué leur inclusion, ne serait-ce que par la déclaration d’Olympe de Gouges. Puis c’est aussi au nom de ce même universel réduit, que les Noirs ont revendiqué contre leur esclavage et leur entrée au banquet de l’universel, dès la révolution française. Enfin c’est au nom de cet universel que les penseurs de l’émancipation des Noirs ont fondé leurs écrits : Aimé Césaire, Léopold Senghor, Franz Fanon sont des universalistes revendiqués.

L’un des enjeux fondamentaux de l’universalisme, ainsi qu’édicté dans l’ultime déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, est l’égalité : les humains sont nés libres et égaux en droits. L’un des enjeux principaux de l’anti-universalisme est de contester cette égalité de principe. En misant sur la diversité, comme anti-universalisme, ses supporters s’attaquent à ce fondement démocratique qu’est l’égalité et l’égale dignité de tous les vivants. En fractionnant la condition humaine en autant de multiples identités, chacune revendiquant sa suprématie sur autrui, ses sectateurs tentent de revenir sur trois siècles, voire bien davantage, de pensée universelle.

Alors l’anarchisme est-il un universalisme ? Eh bien c’est simple, s’il ne l’est pas, il ne peut pas être anarchiste, puisque tout anarchiste revendique la place égale au banquet de la vie pour les humains de cette planète. Si l’anarchisme n’est pas un universel, il n’a plus de raison d’être. Incriminer la pseudo- homogénéité de l’universalisme contre l’anarchisme qui serait le scintillement infini des nuances du monde ? Il suffit de relire Deleuze pour entrevoir comment l’universalisme est constitué de molécules innombrables, toutes en mouvement perpétuel.

Si le féminisme n’est pas un universel, alors pourquoi s’inquiéter de l’instrumentalisation du corps des femmes sur toute la planète, universellement ? En quoi mes camarades subsahariennes n’auraient-elles pas accès à l’intégrité de leur corps et à la complète maitrise de leur personne ? Etc… Au nom de quoi ?

Puisque nous sommes tous et toutes soumis à la dislocation véhémente des socles de notre condition présente, par les innombrables attaques identitaires et globalisées actuelles, nous n’avons pas d’autre choix que de faire entendre raison, au nom de l’avenir du genre humain, en réordonnant toute sa place à l’universel inclusif pour le monde vivant.

Claire Auzias


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