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Reconnaissance faciale intelligence artificielle
Hépha Istos
Article mis en ligne le 30 juin 2023
dernière modification le 25 juin 2023

La traque des personnes dans les espaces publics s’accentue, notamment en France avec l’adoption de la « Loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions » autorisant la surveillance de masse pendant les Jeux Olympiques de Paris en 2024 – des jeux dont bien peu de parisien ne voulaient. Selon la terminologie feutrée façon Orwell, la loi « prévoit plusieurs dérogations aux règles normales et certaines expérimentations ». Cette loi légalise, au-delà des simples jeux :

« la vidéosurveillance intelligente […] des manifestations sportives, récréatives ou culturelles particulièrement exposées à des risques et ce dès sa promulgation jusqu’au 31 mars 2025. »

L’extension du champs d’application de « l’expérimentation » aux à l’ensemble des éventements collectif ainsi que de sa durée, qui s’étend bien au-delà des J.O. indique qu’ils ne sont qu’un chiffon agité devant les yeux du grand public pour lui faire avaler la pilule, pourtant très amère.

« Ces traitements par l’intelligence artificielle (IA), appelées "caméras augmentées", seront capables de détecter en temps réel des évènements prédéterminés (comme des mouvements de foules, un sac abandonné ou des comportements suspects) dans des lieux accueillant des manifestations, à leurs abords et dans les transports en commun. Ils ne pourront utiliser aucune technique de reconnaissance faciale, ni aucun système d’identification biométrique et ne pourront pas recourir à des données biométriques. »

Le gouvernement a plusieurs objectifs : augmenter toujours plus sa capacité d’espionnage des citoyens, soutenir le complexe militaro-industriel qui développe ces robots malfaisants et prendre appui sur leur mise en œuvre pour le soutenir à l’export et maintenir sa viabilité ; le pays est trop petit pour en financer seul le coût. Quand au grand public, il s’en fout. Les manifestations et protestations contre cette folie totalitaire ne regroupe que très peu de personnes, limitées aux aux ONG de défense des droits humains, accompagnées par les syndicats de magistrats et d’avocats, à quelques poignées d’experts du domaines bien au fait de dangers dont il est porteur, et à quelques anarchistes. À l’instar de la catastrophe climatique, le sujet est trop abstrait pour déclencher une forte réaction, les lois s’enchaînent, pour mieux transférer aux machines la fabrication et la consolidation de nos chaînes. Cette loi met en œuvre la technique bien connue du pied dans la porte. Dès la fin de l’expérimentation le ministère de l’Intérieur jugera que le bilan de l’expérimentation sera « très positif » et l’expérimentation limitée dans le temps sera dans un premier temps prolongée puis finalement intégrée à la loi – on se souviendra de la façon dont la France est sortie de l’état d’urgence indéfini que l’État ne pouvait arrêter tant il en tirait de bénéfices policiers : c’est en intégrant ses dispositifs dans le cadre de la loi régulière. Pour le dire autrement : les mesures liberticides justifiées le temps d’un état d’urgence occasionné par une vague d’attentat inédite, sont maintenant utilisées dans l’état de normalité, dans nos quotidiens. La disparue de l’urgence s’est accompagnée de d’une nouvelle partie de nos libertés fondamentales

Reconnaissance faciale et machines espions

Les discussions et négociations se sont passées autour de l’utilisation de robots de reconnaissance faciale qui ont fini par être sortie de loi. C’est plutôt une réussite, et il faut s’en réjouir. Pour autant, faute de mobilisations d’envergure, il faut s’attendre à ce que cette victoire soit de courte durée. Mais ce n’est peut-être pas le plus important. La reconnaissance faciale n’est que méthode la plus médiatisés utilisée par les robots biométriques. Les machines disposent de bien d’autres méthodes pour nous reconnaître. Elle est la plus connue, car elle est la plus ancienne. La "reconnaissance des formes" a été un des premiers domaines explorés par l’IA à la fin des années 50, à la demande des militaires états-uniens. Et la reconnaissance des visages humains s’est progressivement autonomisée comme sous-domaine de recherche et elle a explosé à partir de 2012 lorsque les machines ont commencé à pouvoir apprendre efficacement, quand la méthode du « Deep Learning » a été implémentée sur les puces électroniques très bon marché et surpuissante utilisée pout animer les écrans graphiques des consoles de jeux et des PC. On a pu assembler des machines surpuissantes spécialisées dans l’apprentissage de la reconnaissance de « formes ». Parmi ces formes, les visages, on constitué la cible privilégiée par les agences de renseignements, les militaires, et les réseaux sociaux. Un des inventeurs de cette méthode, Yann Lecun, fut embauché par Facebook pour diriger son département IA et mener la charge. De très nombreux ingénieurs et scientifiques français travaillent dans ce domaine dans les startups et multinationales états-uniennes.

Plus généralement on peut considérer que les machines peuvent nous reconnaître de très nombreuses façons, toujours par simple apprentissage, dont celles qui sont accessibles dans l’espace public, en particulier notre voix, nos yeux et jusqu’à notre simple façon de marcher ou nos vêtements. Ces machines intelligentes disposent en effet d’une mémoire quasi-infinie, de méthodes mathématiques ultra-perfectionnées, et de capacité de calcul et de raisonnement sans cesse améliorées. De surcroît la banalisation des micros et caméras et leur coût ridiculement faible permet à ceux qui veulent nous espionner d’installer en grand nombre des petits robots, peu intelligents, mais qui capturent suffisamment d’information pour qu’elle soit utilisable pour la traque des personnes. Ceux qui nous observent ne sont pas des robots isolés, mais des équipes de robots dont l’obéissance absolue rend possible une coordination parfaite. Sans toutefois baisser la garde sur la reconnaissance faciale, il faut donc maintenant traiter le sujet prioritairement à ce niveau, celui des robots intelligents, ce que les experts appellent les « systèmes cyberphysiques » ? Différentes associations en France sont engagées sur ce terrain comme, les plus « historiques » : Pièce et Mains d’œuvre, Technologos ou plus récentes comme Anti-tech Résistance. En complément des mouvements écologistes, ces mouvements travaille le fond du problème, notre soumission croissante à, et par, la machine.

Intelligence artificielle

L’accélération machiniste en cours, cette accélération elle-même s’accélère. Chacun peut le constater. Les mathématiciens utilisent le terme d’exponentielle pour décrire ce genre de phénomène, rendu intuitif par le mythe indien de l’origine du jeu d’Echec. Ce nouvel essor radical des machines prend son appui sur la science de l’Intelligence Artificielle dont l’objectif est de créer des machines produisant des comportement que nous qualifions d’intelligent. Les physiciens, informaticiens et mathématiciens qui les inventent et les développent cherchent à produire des machines au moins aussi intelligentes que les humains, et qui s’auto-améliorent. Le sujet s’est subdivisé en sous-domaines comme la perception (dont bien entendu la vision) ; la décision probabiliste (ce qu’on fait le plus souvent, nous décidons « au mieux »), la décision logique (ce qu’il nous arrive de faire, mais très rarement et pour des problèmes simples), la décision algébrique (ou optimisation), le langage et la représentation du monde, l’apprentissage, les émotions, la créativité (dont la créativité artistique) et ultimement la conscience. On oublie souvent un champ très important en particulier pour les militaires, la coopération, qui permet à un nombre indéfini d’IA de s’organiser dans la durée pour réaliser des objectifs partagés. Les méthodes mathématiques de blockchain, à la base des cryptomonnaies, permettent à des réseaux de plusieurs centaines ou milliers de robots de s’organiser en se passant des contrats électroniques, sans interférence humaine. C’est entre autres le champ scientifique des « multi-agents », et des « DAO », ou Organisation Distribuées Autonomes.

Mathématiques

L’IA repose sur les mathématiques et la physique, il ne faut donc pas confondre les méthodes mathématiques utilisées avec le champ de recherche qui les mobilise. Du côté des maths, l’IA repose sur une gros mélange de méthodes mathématiques « classiques » tirées du calcul probabiliste, du calcul algébrique et du calcul logique. Certaines décisions peuvent être probabilistes, d’autres doivent être rigoureuses, et prouvables formellement. Parfois on veut être certains de prendre la « meilleure » décision, optimisant un ou plusieurs critères, comme le font les robots qui calculent le prix de vente des billets d’avion. Certains scientifiques qui travaillent sur la conscience artificielle utilisent des mathématiques géométriques. Les maths sont partout, elles sont l’aboutissement formalisé des intuitions initiales des chercheurs, comme c’est le cas en physique.

Mais en complément des mathématiques traditionnelles, les chercheurs ont inventé des méthodes spécifiques aux IA, en général « bioinspirées », qui prennent leur origine non pas dans les maths déjà connues, mais dans l’observation de la nature. Parmi les plus utilisées on trouve les « réseaux neuronaux » (qui datent des début de l’IA dans les années 60 mais n’ont passé le cap de l’utilisabilité que récemment avec le Deep Learning). Ils sont très simplement inspirés par le cerveau des animaux, par la façon dont les connexions entre les neurones se renforcent lorsqu’ils sont soumis à des images ou situations similaires. L’autre grande méthode d’apprentissage en vogue est l’« apprentissage par renforcement » inspiré par la façon dont les bêtes apprennent, tout simplement par essais et erreur. Cette méthode est très prisée car elle permet à la machine d’apprendre par elle-même, à sa vitesse, donc des centaines de milliers de fois plus vite que les humains. Il suffit de pouvoir simuler le domaine d’apprentissage pour que la machines puisse explorer le problème et l’apprendre sans interférence avec le monde réel, sa lenteur et sa pesanteur.

Dernière méthode très en vogue, en particulier chez les militaires, « l’intelligence en essaim » s’inspire de la façon dont des bêtes peu dotées intellectuellement s’organisent pour produire collectivement des comportements très intelligents (fourmis, bancs de poissons, vols d’oiseaux, etc. ). Il y en a bien d’autres, inspirées par exemple de la propagation des virus ou le fonctionnement du système immunitaire.

Pour conclure, si l’on veut s’opposer à l’espionnage des espaces privés et publics par l’alliance des États et des méga-entreprises de l’IA, tels Facebook, Google, Amazon et leurs équivalents chinois, c’est l’IA elle-même qui faut questionner, et pour remonter en amont, la civilisation des machines en train de se mettre en place. Son expansion est le symétrique de la destruction de la biosphère. La vie qui nous entourait et nous nourrissait est progressivement remplacé par les robots. Leur principale mission sera de nous parquer, comme des bêtes dans un zoo aux allures d’aéroport. Soyons des bêtes fauves, une couleur magnifique !

- Hépha Istos