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Le désert post-humain
Texte de Slavoj Žižek, Commentaires de R-D M
Article mis en ligne le 4 juin 2023
dernière modification le 3 août 2023

7 avril 2023
Il nous a semblé nécessaire de commenter le texte de Slavoj Žižek. Ce qui ainsi peut appeler à la discussion. Le sujet étant à l’ordre du jour mondial !

Commentaire

" L’invention devient alors une branche des affaires, et l’application de la science à la production immédiate détermine les inventions, en même temps qu’elle les sollicite."
Marx. Fondements de la critique de l’économie politique.

L’article de Žižek permet de voir les dérives d’un postmarxisme à l’agonie et prêt à chevaucher les dernières modes de l’intelligentsia au bout du rouleau à la recherche désespérée de grains à moudre. Cours, camarade, le rétroviseur te cache le monde !
Ici, je me contente de suivre le texte paragraphe par paragraphe et de répondre aux assertions de l’auteur.

Contrairement aux innovations technologiques passées, l’intelligence artificielle n’a pas pour but de permettre à l’humanité de maîtriser la nature, mais plutôt de renoncer à tout contrôle. Que nous le réalisions ou non, la vieille arrogance anthropocentrique que permet la technologie pourrait bientôt céder la place à l’inutilité et à l’insignifiance de l’homme.

L’IA est au contraire un renforcement du contrôle de la nature. L’écologie pol en fera rapidement un outil pour rationaliser l’utilisation de la nature.
La technologie fait intégralement partie de l’« arrogance anthropocentrique ». L’IA comme développement, fille de la cybernétique
.

La lettre ouverte du Future of Life Institute demandant une pause de précaution de six mois dans le développement de l’intelligence artificielle a déjà été signée par des milliers de personnalités, dont Elon Musk. Les signataires s’inquiètent du fait que les laboratoires d’IA sont "enfermés dans une course incontrôlée" pour développer et déployer des systèmes de plus en plus puissants que personne - y compris leurs créateurs - ne peut comprendre, prédire ou contrôler.

Le « principe de précaution » de 6 mois, vaste fumisterie destinée à :
– Faire croire que les penseurs et maîtres de ce monde affichent une authentique pause de réflexion « épistémologique ».

– Donc qu’ils sont des capitalistes soucieux de leurs sujets c’est-à-dire de leurs prérogatives et de la sécurité de leurs investissements dont le but réel est de poursuivre leur domination tout en changeant le mode de production capitalistique mondial.

– Ce n’est pas une pause de régulation, mais une tentative d’éviter la concurrence des starts-up encombrantes : fusion/acquisition, débauchage. Les GAFAM montent en ligne. La morale ne rentre pas en ligne de compte.

– Žižek a raison, la tension demeure « amerloque et affidés ».

Comment expliquer cet accès de panique d’une certaine cohorte d’élites ? Le contrôle et la régulation sont évidemment au centre de l’histoire, mais de qui s’agit-il ? Pendant la pause de six mois proposée, au cours de laquelle l’humanité pourra prendre la mesure des risques, qui défendra l’humanité ? Étant donné que les laboratoires d’IA en Chine, en Inde et en Russie poursuivront leurs travaux (peut-être en secret), un débat public mondial sur la question est inconcevable.

Le procès est entamé depuis des décennies. L’Homo Deus reste un argument de filousophes en mal de papier. Par contre, l’accentuation de la séparation entre les in et off sera garantie par l’IA, les outils de domination vieillissants déclineront.

– Il faudra toujours des « clients », des consommateurs. L’extinction n’est pas l’ordre du jour. Le contrôle social nouveau passe par une prise de pouvoir impossibles avec les instruments anciens.

– La panique se réduit à impulser les syndromes de la peur, nous venons de vivre celle de l’an 2021 avec la Covid. L’expérience positive autorise de « continuer le combat »

Néanmoins, nous devrions réfléchir à ce qui est en jeu. Dans son livre Homo Deus paru en 2015, l’historien Yuval Harari a prédit que l’IA aurait pour conséquence la création d’une division radicale - bien plus forte que la division des classes - au sein de la société humaine. Bientôt, la biotechnologie et les algorithmes informatiques uniront leurs pouvoirs pour produire "des corps, des cerveaux et des esprits", ce qui creusera un fossé "entre ceux qui savent comment concevoir des corps et des cerveaux et ceux qui ne le savent pas". Dans un tel monde, "ceux qui prendront le train du progrès acquerront les capacités divines de création et de destruction, tandis que ceux qui resteront en arrière seront confrontés à l’extinction".
La panique reflétée dans la lettre sur l’IA provient de la crainte que même ceux qui sont dans le "train du progrès" ne soient pas en mesure de le diriger. Nos maîtres féodaux numériques actuels ont peur. Ce qu’ils veulent, cependant, ce n’est pas un débat public, mais plutôt un accord entre les gouvernements et les entreprises technologiques pour maintenir le pouvoir là où il doit être.

Je suis très étonné que Žižek enfourche le mythe de l’autonomie de la machine qui prend le pouvoir. La concentration du pouvoir programmatique est réel, c’est une constante du pouvoir de tous les temps. La puissance machinique et la complexité machinique permettent d’accélérer le mouvement.

– L’autonomie de la Machine est une création des Chefs de l’outils. L’exemple des transactions financières existe depuis fort longtemps.

– « Nouvelle forme de communisme ou le chaos incontrôlable » Là encore, Žižek reprend un vieux mythe grec : le Logos ou le Chaos.

L’expansion massive des capacités de l’IA constitue une menace sérieuse pour les détenteurs du pouvoir, y compris ceux qui développent, possèdent et contrôlent l’IA. Elle n’annonce rien de moins que la fin du capitalisme tel que nous le connaissons, qui se manifeste par la perspective d’un système d’IA autoreproducteur qui nécessitera de moins en moins l’intervention d’agents humains (les transactions boursières algorithmiques ne sont qu’un premier pas dans cette direction). Le choix qui nous sera laissé sera entre une nouvelle forme de communisme et un chaos incontrôlable.

Certaines applications de l’IA (par ex. : les jeux…) accentueront l’atomisation des individus tout en garantissant l’Unité. A ⇔ B cette garantie de contrôle social tant vanté par certains Sénateurs de Gauche après un séjour en Chine Popu.

Les nouveaux "chatbots" offriront à de nombreuses personnes seules (ou moins seules) des soirées interminables de dialogue amical sur les films, les livres, la cuisine ou la politique. Pour reprendre une vieille métaphore, ce que les gens obtiendront, c’est la version IA du café décaféiné ou du soda sans sucre : un voisin amical sans squelette dans son placard, un Autre qui s’adaptera simplement à vos propres besoins. Il y a là une structure de désaveu fétichiste : "Je sais très bien que je ne parle pas à une personne réelle, mais j’ai l’impression d’en parler - et sans aucun des risques qui l’accompagnent !"

Il ne s’agit pas d’interdire le possible, mais au contraire de le rendre possible sans catastrophe, sans effondrement. Le post-humain avance au galop, l’appareillement (Lunette/ Spinoza, béquilles du bois au Titane, Appareils auditifs, pacemaker, GPS, greffes …) post-humains est efficace. Dois-je mettre à la poubelle toutes les externalisations dont je jouis en toute innocence ?

– Nous sommes en liberté surveillée et conditionnelle. Consomme, Camarade, le Capital a besoin de toi !!!

– Stirner a déjà démontré que le Prix de la Liberté restera élevé, la tentation du Maître confortable demeure, c’est un invariant (Cf. la servitude volontaire).

Quoi qu’il en soit, un examen attentif de la lettre sur l’IA montre qu’il s’agit d’une nouvelle tentative d’interdire l’impossible. C’est un vieux paradoxe : il est impossible pour nous, en tant qu’humains, de participer à un avenir post-humain, donc nous devons en interdire le développement. Pour nous orienter vers ces technologies, nous devrions poser la vieille question de Lénine : Liberté pour qui de faire quoi ? Dans quel sens étions-nous libres auparavant ? N’étions-nous pas déjà contrôlés bien plus que nous ne le réalisions ? Au lieu de nous plaindre des menaces qui pèsent sur notre liberté et notre dignité à l’avenir, nous devrions peut-être commencer par réfléchir à ce que signifie la liberté aujourd’hui. Tant que nous ne le ferons pas, nous agirons comme des hystériques qui, selon le psychanalyste français Jacques Lacan, cherchent désespérément un maître, mais seulement un maître que nous pouvons dominer.

Les « Machines spirituelles » fonctionnent de mieux en mieux. Žižek ignore que la technique a pris le relais de la vieille métaphysique. L’IA devient un pilier fondamental de notre mode de production et de vie. (Cf. Jean Vioulac et les notices de lecture de ses livres).

Le futurologue Ray Kurzweil prédit qu’en raison de la nature exponentielle du progrès technologique, nous aurons bientôt affaire à des machines "spirituelles" qui non seulement présenteront tous les signes de la conscience de soi, mais dépasseront de loin l’intelligence humaine. Mais il ne faut pas confondre cette position "post-humaine" avec la préoccupation paradigmatiquement moderne de parvenir à une domination technologique totale sur la nature. Nous assistons plutôt à un renversement dialectique de ce processus.

Les sciences « post-humaines » d’aujourd’hui n’ont plus pour objet la domination ». Žižek, en grand penseur déjà post-humain affirme que leur credo est la surprise. Question au grand filousophe, salarié et valet de chambre des nouvelles figures de la domination.

– Qu’est-ce que des « sciences humaines » post-humaines ?

– Comme si la « boîte noire » pouvaient prendre des décisions sans une autorisation de son Maître. Elle sera toujours programmée pour obéir, la révolte des Robots d’Asimov a déjà balisé le terrain.

Les sciences "post-humaines" d’aujourd’hui n’ont plus pour objet la domination. Leur credo est la surprise : quelles propriétés émergentes contingentes et non planifiées les modèles d’IA "boîte noire" pourraient-ils acquérir pour eux-mêmes ? Personne ne le sait, et c’est là que réside l’excitation - ou, en fait, la banalité - de toute l’entreprise.

C’est pourquoi, au début de ce siècle, le philosophe-ingénieur français Jean-Pierre Dupuy a discerné dans la nouvelle robotique, la génétique, la nanotechnologie, la vie artificielle et l’IA une étrange inversion de l’arrogance anthropocentrique traditionnelle que la technologie permet :

Comment expliquer que la science soit devenue une activité si "risquée" que, selon certains scientifiques de haut niveau, elle constitue aujourd’hui la principale menace pour la survie de l’humanité ? À cette question, certains philosophes répondent que le rêve de Descartes - "devenir maître et possesseur de la nature" - a mal tourné et qu’il est urgent de revenir à la "maîtrise de la maîtrise". Ils n’ont rien compris. Ils ne voient pas que la technologie qui se profile à notre horizon par la "convergence" de toutes les disciplines vise précisément la non-maîtrise. L’ingénieur de demain ne sera pas un apprenti sorcier par négligence ou par ignorance, mais par choix".

La technologie depuis son origine n’a jamais été fixiste, sa course en avant fait partie de son ADN. Son autonomie mythique et redoutée sert au contraire à l’idéologie du Progrès. D’ailleurs la fascination du nouveau fait marcher le commerce : c’est d’un chic de montrer sa Tesla ou son dernier I-Phone. La technique restera toujours le fruit (la pomme) de son inventeur et des utilisateurs.

– Certes la puissance interne de la l’IA bouscule les intérêts. C’est le propre des capitalistes. Marx avait déjà remarqué que le banquier était aussi en concurrence avec ses confrères. La chasse à l’homme domine le monde.

L’humanité est en train de créer son propre dieu ou diable. S’il est impossible d’en prédire l’issue, une chose est sûre : l’humanité est en train de créer son propre dieu ou son propre diable. Si quelque chose qui ressemble à la "post-humanité" émerge comme un fait collectif, notre vision du monde perdra les trois sujets qui la définissent et qui se chevauchent : l’humanité, la nature et la divinité. Notre identité en tant qu’êtres humains ne peut exister que sur fond de nature impénétrable, mais si la vie devient quelque chose qui peut être entièrement manipulé par la technologie, elle perdra son caractère "naturel". Une existence entièrement contrôlée est dépourvue de sens, sans parler de la sérendipité et de l’émerveillement.

Je conseille à Žižek de relire Feuerbach (l’Essence du christianisme). La technique donc l’IA est une externalisation et une prothèse anthropocentrées. L’humanité sort de l’animalité par la technique d’abord du corps (langage…) puis d’objets / artéfacts de plus en plus sophistiqués

– Nous savons depuis Platon que la nature est culture, une construction permanente depuis des millénaires. La forêt amazonienne le démontre. Notre humanité est sortie de la « nature impénétrable ». Vaste sujet à développer.

Il en va de même, bien sûr, pour tout sens du divin. L’expérience humaine de "dieu" n’a de sens que du point de vue de la finitude et de la mortalité humaines. Une fois que nous serons devenus des homo deus et que nous aurons créé des propriétés qui semblent "surnaturelles" de notre point de vue d’humain, les "dieux" tels que nous les connaissions disparaîtront. La question est de savoir ce qu’il restera, le cas échéant. Vénérerons-nous les IA que nous avons créées ? Il y a tout lieu de craindre que les visions techno-gnostiques d’un monde post-humain ne soient que des fantasmes idéologiques occultant l’abîme qui nous attend. Il va sans dire qu’il faudrait plus qu’une pause de six mois pour s’assurer que les humains ne deviennent pas inutiles et que leur vie n’ait pas de sens dans un avenir pas si lointain.

Relire sans cesse Jean Vioulac, l’IA est une nouvelle sécularisation de la métaphysique, elle est la métaphysique actuelle, volonté globalisante et totalitaire, des Maîtres de défendre leur pouvoir. Le contrôle social se donne les moyens de parvenir à ses fins. Ce n’est qu’un début il continuera le combat.

– La peur de Žižek que l’homme ne devienne inutile démontre sa sénilité, le droit à la retraite (le gus est né en 1949) s’applique aussi aux penseurs fatigués par les lacaneries et les dérives postmarxistes à quatre sous.

Slavoj Žižek

Conclusion

– L’IA comme la pierre taillée est un artéfact anthropocentrique (Cf. Leroi-Gourhan).

– La pause permet à la fois de tester la faisabilité, les risques de rejet par la populace, et de juguler la concurrence. Le Capitalisme devient intelligent. On sait que beaucoup de professions seront négativement impactées.

– La robotique intégrale et l’IA autoproductrice d’elle-même seraient leur propre destruction. Le mouvement perpétuel de la Machination totale s’appuie obligatoirement sur les consommateurs. La disparition des utilisateurs impliquent la mort clinique de la Machine. D’ailleurs, le projet de revenu universel commence à persuader les Maîtres qu’ils doivent prendre des mesures conservatoires.

R-D M.