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Christiane Passevant
Another Happy Day
Film de Sam Levinson
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 30 décembre 2011

Un autre jour heureux. Le film ne donne guère l’envie de participer à des réunions familiales où toutes les rancœurs et les non-dits peuvent tout à coup ressortir de manière violente et cruelle.

À l’occasion du mariage de son fils aîné, Lynn (Ellen Barkin) revient dans son Maryland natal qu’elle a quitté au moment de son divorce. Ses deux autres fils, Elliot et Ben, l’accompagnent et filment des saynètes familiales, histoire de garder des traces. Elliot, 17 ans, paumé et lucide sur les inimitiés familiales, se drogue, il est magnifiquement interprété par Ezra Miller (Afterschool et We need to talk about Kevin). Lynn est vite confrontée à des problèmes qui la blessent, une incommunicabilité avec sa mère, la maladie du père, des sœurs pénibles, un ex mari macho et violent (Paul/Thomas Haden Church), son épouse envahissante et agressive (Patty/Demi Moore). Malgré tout, elle tente de bien faire, être une mère protectrice par exemple avec sa fille, Alice (Kate Bosworth), et prouver qu’elle n’est pas celle qui fait tâche dans la famille. En fait, on lui reproche surtout d’avoir quitté sa famille pour s’installer à New York avec sa fille au moment de la rupture. Elle est devenue l’unique « responsable » du fiasco de son couple, sans considération pour le drame qu’elle vivait et sans que son ex mari ne soit tenu pour responsable.

Another Happy Day de Sam Levinson [1] dresse une galerie de portraits sans complaisance dans une société étatsunienne conventionnelle et ennuyeuse où l’important est de se conformer, de faire comme si tout allait pour le mieux sans jamais poser de questions. Les remarques de Lynn sont évidemment gênantes, parce que souvent maladroites, et fissurent le vernis de la famille exemplaire. « Tu veux toujours remuer le couteau dans la plaie », lui reproche sa mère à ses tentatives de comprendre ou dépasser une situation de conflit.

Lynn passe pour le trouble fête. Elle est jugée l’unique problème de la famille, tout comme ses enfants d’ailleurs, Ben souffre de d’autisme, Elliot sort d’une cure de désintoxication et Alice s’auto-mutile. Les autres enfants sont « normaux », parlent de baise et fument des joints, se comportent en imbéciles, mais… selon les normes. Un seul principe domine : il faut à tout prix sauver les apparences et lorsque la mère de Lynn, Doris (Ellen Burstyn), se laisse aller à parler de son angoisse de la solitude, elle se reprend très vite et reproche à sa fille de l’avoir entraînée à des confidences déplacées. « Tu m’as eu finalement. Mais c’est pour cela que tu es venue ! » lance-t-elle à sa fille stupéfaite.

L’un des conflits essentiels du film tient au « fait que Lynn ne soit pas restée à l’endroit où ses parents estiment qu’elle appartient. Son départ a constitué une fracture pour cette famille : elle a quitté son premier mari, elle a pris leur fille, et elle est partie pour la grande ville. C’est la lutte éternelle entre la ville et la campagne, où les choses sont peut-être moins chaotiques », explique Sam Levinson. Elle focalise donc toutes les désapprobations, quoiqu’elle fasse. Son désir d’introspection et son acharnement à comprendre l’absence de soutien de sa famille fait le reste.

Des scènes d’une intensité brutale, des adultes qui paraissent se haïr malgré les bons sentiments étalés et de circonstance, des lieux communs en guise d’échange et des paroles assassines, l’inconscience poussée à l’absurde, le refus de voir la réalité, que l’égoïsme et l’envie sont à la base des rapports familiaux… « Famille je vous hais ! » est-on tenté de dire devant ce consensus familial.

Elliot est le seul à le dire et réagit naturellement à cette partie de coups tordus et de paroles blessantes avec un humour sarcastique qui touche chaque fois et égratigne un peu plus le vernis de la petite maison dans la prairie à laquelle le reste de la famille semble vouloir croire et se conformer.

Sam Levinson réalise un premier film qu’il veut davantage influencé par Tchékhov que par le théâtre étatsunien, Eugene O’Neill par exemple. Même si le réalisateur s’en défend, on pense aussi à Tennessee Williams. Pour l’humour grinçant, c’est évidemment Un mariage de Robert Altman qui s’impose. Le mariage et ses codes, les nombreux personnages, les inimitiés maquillées, les sourires de façade, les jalousies, les faux semblants et la mort de la grand-mère dans le film d’Altman, et du père dans celui de Levinson.

Reste le personnage central de Lynn et son double, à l’ironie mordante, Elliot qui reste un fil rouge salutaire pour permettre de souffler dans l’ambiance familiale parfaitement étouffante du film. Another Happy Day de Sam Levinson est un premier film réussi.