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Christiane Passevant
Le mouvement des femmes dans les luttes sociales
Article mis en ligne le 5 décembre 2010
dernière modification le 17 novembre 2010

On dit souvent que l’évolution d’une société se mesure au degré d’émancipation des femmes, alors je suis tentée de dire qu’il y a beaucoup de travail à faire dans nos sociétés — dites démocratiques — et que le chemin à parcourir paraît long et parsemé d’embûches, qui dérivent du machisme ambiant. Il est en effet souvent plus simple de critiquer les autres sociétés, notamment celles du Sud, que de remettre en question nos propres sociétés.

La réforme des retraites, entreprise à marche forcée par un gouvernement incompétent et réactionnaire, en donne, encore une fois, la démonstration. Parce que lorsqu’on considère que les femmes ont majoritairement des boulots précaires, un double travail avec les tâches domestiques, et une évolution de carrière en général plus chaotique — lorsqu’elles décident d’avoir des enfants, par exemple, et qu’enfin elles butent sur le fameux
« plafond de verre » — peu de femmes arrivent à d’importants postes
de responsabilité ou bien sont à la tête d’entreprises.
Alors qu’en est-il de la situation des femmes confrontées à la retraite ? Reconnues avec parcimonie dans la vie active, elles sont, pour la retraite et comme d’habitude, pénalisées du fait d’être des femmes.

Outre cette inégalité qu’elles subissent, on constate que la réforme des retraites s’accompagne d’autres réformes très graves, notamment avec la loi Bachelot, qui restructure la santé publique selon des critères déclarés de « rentabilité économique », un credo obligé du gouvernement Sarkozy. Austérité pour les plus démuni-es et les plus fragiles, bref les plus pauvres, et cadeaux aux riches. L’affichage des objectifs du gouvernement se lâche, la propagande s’étale et rivalise en cynisme, tout à fait décomplexé.

Les conséquences de la loi Bachelot sont catastrophiques car, non seulement des hôpitaux sont fermés, mais la nouvelle méthode de financement des hôpitaux incite ces établissements de service public à arrêter les actes chirurgicaux estimés « non rentables », et parmi lesquels la pratique des interruptions volontaires de grossesse.

L’appel à la mobilisation pour défendre le droit à l’avortement titrait
« La loi Bachelot enterre l’hôpital public et l’avortement avec ».
On ne pourrait mieux dire : c’est un retour en arrière encore jamais vu ! Depuis les années 1970 — 40 ans du MLF (Mouvement de libération des femmes) et la loi Veil autorise l’avortement depuis 1975 — les féministes en lutte ont revendiqué le droit à l’avortement avec comme slogan « Où je veux, quand je veux, comme je veux ! ». Ces luttes sont traitées par le mépris le plus total et les fermetures de centres IVG s’accélèrent en douce, histoire de ne pas s’attaquer de front aux lois sur le droit à l’avortement, fondamental pour les femmes. Le contrôle des ventres revient par la petite porte et les acquis pour les femmes sont peu à peu rognés.

En 1982, les femmes ont obtenu le remboursement de l’avortement. En 2001, la loi Aubry a autorisé l’allongement des délais d’intervention de 10 à 12 semaines, le choix du mode d’intervention, de même que la suppression de l’autorisation parentale pour les mineures et de l’entretien préalable obligatoire qui était, dans certains cas, un moyen de pression psychologique pour culpabiliser et manipuler les femmes. Mais voilà, depuis 2001, cette loi est peu ou mal appliquée. Pour les mineures, par exemple, la prise en charge de l’IVG est très compliquée, les délais d’attente pour l’intervention peuvent aller jusqu’à trois semaines. Autre exemple, les femmes sans couverture sociale doivent payer l’intervention et les établissements n’ont pas de contrainte pour accepter les femmes en demande d’IVG, malgré les lois. Le recul du droit des femmes à la liberté de disposer de leur corps est évident et prouve que rien n’est jamais acquis, et que seules les luttes sont garantes des libertés et des droits acquis.

La mobilisation des mouvements et des associations féministes, et des femmes, a été très visible dans les manifestations. Les cortèges ont rassemblé des militantes et des individues de tous les âges et de toutes les catégories sociales. J’ai rencontré des femmes qui disaient n’avoir pas manifesté depuis longtemps, mais que là «  il fallait y aller pour ne pas revenir aux aiguilles à tricoter et au persil ».

Il faut dire qu’après la loi de 1920, qui a criminalisé l’avortement, la pratique de l’avortement a fait un nombre très important de victimes. Encore une fois, il y avait celles qui avaient les moyens financiers de se rendre dans des pays où l’avortement était autorisé, et celles qui en étaient démunies et donc vouées à l’aiguille à tricoter, au persil ou à tout autre moyen inefficace et dangereux. Beaucoup se transperçaient l’utérus, mouraient de septicémie ou encore provoquaient des lésions graves et irréversibles, toutes en souffraient et, pour toutes, l’épreuve était un choc, notamment avec les curetages pratiqués à vif.

Depuis le printemps, les féministes sont présentes dans toutes les manifestations. Banderoles et informations sont distribuées. Avec Osez le féminisme !, Coordination de la Marche mondiale des femmes, Collectif pour la réouverture du centre IVG à Tenon, Femmes en noir, maison des femmes de Montreuil et de Paris, SOS sexisme, RAJFIRE, Réseau féministe « Ruptures », Pluri-Elles Algérie, CQFD-Fierté lesbienne, Coordination lesbienne en France, Encore féministes !, Femmes solidaires, Chiennes de garde, Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie, Mix-Cité Paris, Femmes libres de Radio Libertaire, etc.… Beaucoup d’humour aussi, avec le groupe d’action féministe la Barbe, par exemple…
Et là une parenthèse, les militantes de la barbe sont évidemment dans toutes les manifestations, mais elles investissent aussi les lieux de pouvoir, l’hôtel de ville de Paris, une conférence des présidents d’université, L’institut de France dont les membres ne se sont pas remis d’être interrompus par des femmes… à barbe. (www.labarbelabarbe.org)

Les manifestations de cette année marquent donc une visibilité plus grande des luttes féministes, totalement ancrées dans les luttes sociales. La manifestation du 6 novembre était double d’ailleurs : contre la réforme des retraites et pour défendre le droit à l’avortement (cette manifestation avait été décidée en mars dernier).

Sur tous les plans, le recul des droits acquis s’est accéléré avec ce gouvernement, qui a la volonté de démanteler le « modèle social
français
 », qui découle du programme du Conseil national de la Résistance. Ce programme, élaboré en 1944, annonçait un ensemble de réformes économiques et sociales, notamment la Sécurité sociale, les retraites par répartition et la liberté de la presse. La démolition du programme du Conseil national de la Résistance est en œuvre, orchestrée par le gouvernement Sarkozy et à la grande satisfaction du MEDEF (Mouvement des entreprises de France). Et l’on peut en voir les effets quotidiennement.

Mais si la réforme des retraites a été votée à la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat, je ne crois pas que le mouvement social s’arrête là. Et j’ai même la conviction que les féministes, que les femmes vont certainement y jouer un rôle majeur. Il faut se souvenir qu’en novembre 1995, une grande manifestation pour la défense du droit des femmes avait précédé le mouvement social et les grèves de décembre 1995.

Si la propagande médiatique s’efforce de donner une vision minorée des luttes actuelles ou de détourner l’attention en discutant des querelles de chiffres, du nombre de manifestant-es selon les organisations syndicales et selon la police, ces efforts soutenus posent des questions quant au nombre impressionnant de policiers autour des manifestations… Elles sont hyper encadrées ! Et l’on se demande bien pourquoi, si, comme l’affirment les medias contrôlés, il y a de moins en moins de personnes qui y participent !

Paris, 11 novembre 2010