Divergences Revue libertaire en ligne
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Monique R.
Retour de Gaza
Article mis en ligne le 5 juin 2010
dernière modification le 5 août 2010

Gaza Freedom March s’est arrêtée au Caire bloquée par l’Égypte. Qu’allions nous faire ? Nous n’étions ni à Gaza ni en Israël principal responsable du blocus ; nous nous trouvions en porte à faux, le danger était de perdre notre cible, et de glisser vers la dénonciation de l’Egypte, mais pourquoi pas également ? C’est bien elle qui tient le blocus de Gaza sur sa frontière, c’est bien elle qui est en train de construire un nouveau mur pour détruire les tunnels entre Gaza et l’Egypte. Piégés comme des rats, avec l’énergie de 1400 marcheurs de tous âges, nous nous sommes débattus tant bien que mal pendant près d’une semaine, au moins pour briser le silence, et les égyptiens ont entendu et nous ont exprimé leur gratitude d’avoir fait ce que eux ne peuvent faire dans une dictature policière.

Malgré ce contexte le 31 décembre des voix se sont mêlées provenant d’Israël, de Gaza et d’Egypte, unies pour dénoncer ce blocus, et soutenues par d’autres voix de part le monde.

Nous étions 1400 marcheurs bloqués au Caire par les autorités égyptiennes, et avec l’interdiction de tout regroupement. Nous avions pensé être bloqués à Al Arish, à 40 km de Rafah, mais pas à 400km ! Nous aurions été regroupés, visibles dans une ville de 40 000 habitants, plus près physiquement de gaza, en contact avec une population égyptienne de bédouins ; il y aurait sûrement eu un mal vivre également de ne pas aller plus loin. Mais vu du Caire nous nous sentions, les premiers jours en tout cas, dans la pire des situations : …dispersés dans une ville de 20 M d’habitants, rendus invisibles, ayant le plus grand mal à nous joindre. Avec le temps et les actions qui se sont mises en place, il nous est apparu qu’être au Caire, nous donnait une vitrine médiatique qui n’aurait sans doute pas été la même, perdus dans une petite ville du Sinaï. Sur un plan politique les autorités égyptiennes préféraient sûrement nous avoir au Caire plutôt que vers ce Sinaï du nord au milieu des bédouins connus pour leur opposition au régime ; mais le gouvernement n’a pas mesuré l’impact que nous allions avoir dans cette capitale.

Face à ce blocage il n’y a pas eu de stratégie de remplacement à l’échelle de notre coordination et pourtant cette éventualité était plus que prévisible. Nous allions nous retrouver en porte à faux en Egypte. Les divisions sont vite apparues parmi les x organisations ou coordinations des 43 pays représentés, une coordination internationale qui se réunissait elle aussi.., alors chacun a réagi collectivement ou individuellement au plus près de sa sensibilité politique, la seule action unitaire ayant été la manifestation du 31 décembre , jour où nous aurions dû marcher ensemble avec les Gazaouis.

Cela a été très déroutant, d’autant plus pour ceux qui comme moi n’étions pas embarqués dans une action forte de résistance comme celle menée par les français d’Europalestine (Capjipo) qui dès l’annonce de l’annulation des cars ont installé leur campement devant l’ambassade de France.

J’ai appris à mon retour que la délégation japonaise avait réagi en partant sur la Cisjordanie rejoindre l’autre marche ; je me rappelle m’être posée la question, mais j’ai choisi de faire confiance aux organisateurs et de rester avec la masse des marcheurs. J’ai aussi lu le témoignage d’une américaine qui est restée en recul au Caire et n’a participé à aucune action, désapprouvant totalement de se retrouver à manifester en Egypte, il fallait le faire !

Les divergences politiques entre les organisations nationales ou internationales ont pesé lourd dans le quotidien et le déroulement de nos actions.
Pour ma part je m’étais inscrite à la marche par les voies que le collectif 69 de Lyon ( auquel j’adhère et dont j’apprécie l’esprit), m’avait indiquées ; ne me doutant pas alors qu’il y avait en France deux courants d’inscription distincts : Europalestine ( ou CAPJIPO) et le Collectif national pour une paix juste et durable entre palestiniens et israeliens (collectif ayant lui même délégué la mission d’organisation au CCIPPP (campagne civile pour la protection du peuple palestinien) et l’AFPS (association France Palestine solidarité) . Une organisation était indispensable, nous ne pouvions pas être des électrons libres et en cela je salue les organisateurs.
Mais sur place j’ai découvert les tensions parmi les organisations françaises, entre CAPJIPO et Collectif national, et au sein du Collectif des tensions moindres entre AFPS et CCIPPP. Sur environ 500 français au total je trouvais cela regrettable dans les incidences que cela avait sur place, même si je devinais les divergences inévitables entre organisations.
De part mon inscription j’ai donc fait partie d’un groupe sous l’égide du CCIPPP sans l’avoir vraiment choisi et je me suis sentie souvent en otage, mais je n’en étais pas au point de prendre mon indépendance ; le rattachement à un groupe est très important dans ce genre de situation tant au niveau du lien humain entre nous, qui nous permet de tenir, et du fait d’un rattachement à des responsables auxquels on fait confiance car individuellement , nous n’avons pas la maitrise de la situation et du contexte politique.

A l’échelle de la coordination internationale se retrouvaient les mêmes divergences qu’à l’échelle des organisations françaises et qui portaient également non pas sur notre objectif commun, mais sur les stratégies à adopter , divergences qui étaient apparues dès l’organisation de la marche.

En résumé Codepink à l’initiative de la marche côté américains et Europalestine côté français, avaient sous estimé volontairement l’importance des contacts en amont avec les organisations palestiniennes et égyptiennes tant dans l’information que l’objectif de cette marche ; au contraire le Collectif national français souhaitait travailler avec eux. Ce Collectif ayant pris le train en marche, il ne pouvait imposer sa stratégie, tout était déjà sur les rails. C’était à prendre ou à laisser. Mais sur place cela bien évidemment l’a mis en porte à faux dans le déroulement de la marche et dans la façon dont les deux organisations regroupant le maximum de personnes Codepink (700) et Europalestine(350) réagissaient sur le terrain au blocage des autorités égyptiennes. Le Collectif (150 personnes) au travers du CCIPPP a joué le plus longtemps possible la carte de la négociation avec les autorités égyptiennes, françaises et européennes tout en ayant des contacts continus avec Palestiniens et Egyptiens. Mais quand on est ainsi dans la négociation (point de vue que je trouvais juste) cela mobilise les responsables et que fait la base en attente d’action ? Je pense aux jeunes en très grand nombre arrivés souvent avant le 25 décembre (les billets étaient moins chers !) et qui étaient là à « rouiller » en attente d’opérations, quelle énergie perdue. Alors dès que les américains ont lancé la première manifestation au bord du Nil le 27 décembre, nous avons navigué d’un rassemblement à un autre, y mêlant nos énergies, sortant de notre invisibilité, tout en gardant les liens par nos réunions quotidiennes avec la Ccippp et bien sûr participant aux opérations qu’elle a conduites.
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Sur place et face à la situation de blocage ces divergences ont produit des tiraillements, des invectives, face aux actions /réactions différentes des uns et des autres principalement entre Europalestine, Collectif national et Codepink, chacun se renvoyant la responsabilité de notre blocage au Caire qui ne se débloquait pas !

Les deux réactions qui ont porté le plus à critique ont été : pour les français de Europalestine le siège devant l’ambassade, et pour les américains de Codepink l’acceptation dans un premier temps au moins de la proposition faite principalement à eux, des deux bus pour gaza affrétés par madame Moubarak le 30 janvier. Proposition qui s’est avérée très vite une récupération totale de la part de l’autorité égyptienne, qu’un certain nombre de partants a refusé en descendant des bus, c’est alors à titre individuel et non au nom des marcheurs de la Freedom march qu’ils sont partis.

Ce sont peut-être nos divergences qui ont produit un foisonnement d’actions, et l’homme de la rue ne voyait pas les coulisses.

L’action la plus marquante car très médiatique a été celle d’europalestine avec le siège pendant six jours des trottoirs devant l’ambassade de France, tentes déployées ou duvets posés à même le sol sur le trottoir en pleine pollution le long d’un axe de deux fois trois voies, campement entouré jours et nuit par deux ou trois rangées de policiers. C’est dans ce groupe qu’était Monseigneur Gaillot, très heureux semble-t-il.
Avec du recul et après avoir vu sur le net des vidéos et reportages de cette action, je suis un peu plus critique que je ne l’étais sur place où j’étais plutôt favorable (contrairement à ce que j’entendais des responsables au sein de mon organisation). Je trouvais qu’ils avaient le mérite de mener une action en continue, très visible, et quelque part j’étais un peu jalouse de ne pas avoir vécu ce qu’ils devaient vivre et qui indéniablement a dû être très fort humainement entre eux (soudés plus que nous par une telle action), fort aussi pour leurs contacts informels qui se sont noués par les regards et les visages, avec les forces de police qui les encadraient, fort pour l’impact sur les Egyptiens qui passaient massivement devant eux jour et nuit sur cette artère. Je suis comme d’autres, plusieurs fois allée les voir, par solidarité, pour savoir si ils tenaient le coup, pour avoir des infos, car c’était devenu un lieu de passage des uns et des autres, lieu ouvert et accessible (les policiers nous laissant entrer au moins après les premiers jours).
Avec du recul je perçois d’autres aspects de cette action très médiatique ; action « bras de fer » face au gouvernement égyptien et à la France, action qui ne pouvait pas déboucher sur l’objectif principal « quitter le Caire, aller vers Gaza », et donc qui ne pouvait que se perpétuer jusqu’au départ du groupe pour la France ; en quoi cela n’a –t-il pas joué dans l’échec des négociations que d’autres organisations poursuivaient pour tenter des départs vers Gaza ? , mobilisation aussi qui risquait de faire oublier l’ objectif qui n’était pas l’Egypte et la dynamique de groupe de plus en plus forte qui glissait vers une action pour eux mêmes, glissement vers une autosatisfaction de leur action. A ma connaissance ils sont aussi sortis de leur campement par petits groupes pour une action sur les pyramides, une devant la mosquée El Azhar, et ils se sont aussi mêlés aux autres actions.
Malgré ces interrogations, je tire mon chapeau à ceux qui ont tenu ce siège ; j’aurais pu être des leurs, je n’y étais pas de par mon inscription et non par choix comme je l’ai expliqué plus haut, comment aurais je vécu les choses, je ne sais pas, en tout cas je ne serais pas sans doute dans cette position de recul, d’interrogation que j’ai aujourd’hui de part le rattachement autre dans lequel j’étais.
Il y a eu de grandes manifestations, et d’autres plus petites qui naissaient ici et là en fonction des évènements ; il suffisait de quelques personnes pour s’attirer un cordon de police, mais qui laissait faire tant que ce n’était pas sur la rue (par exemple les résidents de l’hôtel lotus se sont retrouvés interdits de sortir le jour de la grande manifestation du 31decembre, ils ont alors décidé de s’exprimer dans la rue sur le trottoir de l’hôtel). La technique des forces de police était d’encercler de plusieurs rangées d’homme le plus rapidement possible les premiers manifestants, pour éviter que cela prenne de l’ampleur et pour faire écran avec les passants. Ce qui limitait souvent à 200 ou 300 le nombre de manifestants. Mais les manifestations duraient plusieurs heures, sans qu’il n’y ait de dispersion par la police !
Pour citer les principales manifestations, il y eut : l’ambassade de France bien sûr en permanence, une sur les bords du Nil avec des bougies en commémoration des 1400 morts de gaza, une devant le siège de l’ONU, une devant le syndicat des journalistes et à leur appel suivie d’une manifestation des Egyptiens dénonçant le mur égyptien et la venue de Netanyaou au Caire ce jour là, une devant l’ambassade d’Israël,...une sur la grande place Midan el Tahir proche du Musée égyptien,.. à la sortie de la prière de la Moquée El Azahr. Rassemblement avec bougies également devant une autre mosquée, déploiement d’une immense banderole sur la pyramide de Khéops…les slogans dénonçaient principalement le blocus de gaza, Israël, l’appel au boycott.
A côté des manifestations, il y eut un mouvement de grêve de la faim, démarré par Hedy Epstein, 85 ans, Américaine, seule survivante de sa famille du génocide, jeûne qui fut suivi par une trentaine de personnes.
Il y eut les tentatives de départ vers Gaza qui furent multiples, collectives ou par petits groupes. Côté CCIPPP , 5 bus furent trouvés suite à x négociations (les entreprises avaient ordre de ne pas affréter des bus aux marcheurs), mais nous dûmes faire demi tour après une à deux heures de route. J’ai moi même participé à une tentative par petits groupes ; 24 heures très riches d’expérience et de contacts avec des Egyptiens, mais échec à 200km du Caire.
Il y eut l’organisation par le CCIPPP d’une réunion avec des egyptiens (merci à l’organisation car cette soirée restera pour moi un point essentiel de cette marche). En faisant rapide car il vaut mieux en parler de vive voix, il y a une très forte attente de collaboration sur la question du blocus et du mur entrepris par l’Egypte, solidarité aussi sur le boycott , remerciements chaleureux sur nos multiples manifestations au Caire,( ils se félicitaient que nous n’ayons pu poursuivre la marche ), regret de ne pas avoir été associé en amont à la préparation de cette marche (point de divergence entre organisations cité plus haut)
Il y eut des contacts avec des correspondants à gaza, mais je n’en sais pas plus, je peux citer des remerciements du PCHR et des regrets de ne pas nous recevoir (centre palestinien pour les droits de l’homme), des remerciements d’Ismaël Haniyeh (chef du gouvernement provisoire de Gaza) adressés par téléphone aux manifestants aux portes d’Eretz en Israël.

En Egypte nous avons vécu un blocus, une forme de siège, nous en avons fait l’expérience à notre niveau et cela n’a pas été facile à vivre (tout est relatif !) ; et chaque fois que nous tentions de sortir de ce siège, c’était un profond enthousiasme, un élan d’énergie, une forme de renaissance de reprendre le chemin vers Gaza (je pense particulièrement aux visages rayonnants que nous avions, paraît-il, quand nous avons démarré d’Ismaliah pour Al Arish (notre équipéee de quatre personnes), avec nos foulards sur la tête, au fond de notre voiture à vitre teintée, conduite par un Egyptien complice que nous avions rencontré dans cette ville ; mais aussi quand les cinq cars du Collectif national ont quitté le Caire précédemment pour une tentative qui elle aussi a échoué.) Chaque fois que nous devions faire demi tour, c’était une profonde déception, un abattement, après lequel il fallait réagir, rebondir.
Enfermement aussi parce que toujours suivis ou encadrés par la police civile ou non, nous devions toujours être sur nos gardes, déjouer les forces de police, pour nous réunir, pour mener nos actions.

Que se passait-il côté Israël ?

J ‘ai eu des échos directs par Kim une volontaire d’IWPS actuellement à Harés dans la maison où je me suis rendue au printemps et par Dominique un membre du Collectif 69 qui était également côté Israël.
Le 31 décembre, comme en Egypte, comme à gaza, des manifestants se sont regroupés au check point d’Eretz (au nord de la bande de gaza) ; 1500 personnes majoritairement des Arabes d’Israël ( Palestiniens Israéliens) à l’initiative de la manifestation, des Israéliens anticolonialistes, et des internationaux . Malgré un mur, un no man’s land, des barbelés entre eux, ils ont entendu les manifestants côté Gaza, et leurs voix et leurs slogans ont pu se mêler. Quelle émotion de part et d’autre !
Côté Egypte nous espérions entrer à Gaza par Rafah, mais nous nous sommes retrouvés à 400 km et là côté Israël ils se sont retrouvés tout près !
Une autre manifestation a eu lieu à Tel Aviv le 2 janvier à l’initiative des Israeliens anticolonialistes elle a regroupé 1000 à 2000 personnes, forte représentation de jeunes, présence forte de la police (à la différence d’Eretz) . Nombreuses prises de parole Nuri Peled, Uri Avnery….
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Un mot de conclusion
Je ne regrette nullement d’avoir participé à cette marche pour gaza, elle était pour moi vitale, je ne pouvais supporter d’être dans le silence par rapport à ce blocus, en cette date anniversaire.
Il est indéniable que ce fut difficile à vivre, qu’il y a aussi eu une profonde déception de ne pas atteindre le but que nous avions, même si nous savions qu’il était presqu’utopique.

- a-t-on brisé le silence ?
- a-t-on dénoncé ce blocus ?

 a-t-on soutenu les palestiniens ?

Mais aussi a-t-on bien fait de mobiliser tant d’énergie par ce passage par l’Egypte ?
Etait-il possible de faire mieux, d’être plus efficace compte tenu de notre pluralité et du contexte politique ? A tout cela je pense qu’il n’y aura pas de réponse, et cela faisait partie de ce type de mobilisation.
Nous sommes revenus forts de ce rassemblement international, qui a mobilisé des gens venus de partout, même d’Australie, d’Afrique du Sud…des gens de tous les âges.
Mais le rebondissement n’est pas facile, quand je lis les nouvelles depuis notre retour : les bombardements d’Israël qui ont repris sur la bande de gaza, les violations de droit qui s’amplifient en Cisjordanie, la construction de ce mur souterrain égyptien !.. (20 à 30 mètres de profondeur sur 10 km de long pour bloquer et inonder les tunnels palestiniens qui sont les seuls moyens de survivre à Gaza face à ce blocus qui dure depuis plus de deux ans, opération entreprise sous la pression d’Israël, avec des financements américains, des techniciens français ! )

Au lendemain de Copenhague, au lendemain de ce grand rassemblement de solidarité avec la Palestine, malgré aujourd’hui le peu d’impact en apparence sur les politiques des mouvements d’opinion publique, je continue à croire à la mobilisation de la société civile.

Et pour finir cet appel très chantant que j’ai entendu des américains lors de la première manifestation et que j’ai trouvé très beau

Hi Gaza, dont’you cry
Palestine will never die
(Gaza ne pleure pas , la Palestine ne mourra jamais)