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Frank Mintz
Argentine. Déposition au procès contre les tortionnaires des camps de concentration
Article mis en ligne le 15 janvier 2010
dernière modification le 1er janvier 2010

Déposition au TOF2 [Tribunal oral fédéral n°2] du lundi 14 décembre 2009 de María Esther Tello, mère de Paul Daniel Tello et de Raphaël Arnaud Tello (le troisième fils Marcel Tello a disparu à Córdoba, quelques jours avant le putsch militaire), durant le procès contre les tortionnaires des camps de concentration d’Atlético, Banco et Olimpo

Nouveau contexte et différences avec l’ouverture du TOF2

María Esther Tello, franco-argentine et personnalité assez connue dans les deux pays, a été appuyée par l’ambassade de France par la présence de l’ambassadeur Jean-Louis Asvazadourian et du secrétaire chargé des Droits de l’homme Guillaume Mounier à l’ouverture du procès, à Buenos Aires le lundi 7 décembre. Cette action de la France a été renforcée par la déclaration du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, le 11 décembre. Nous avons, de façon permanente, apporté notre soutien au gouvernement argentin depuis sa décision en 2003 d’invalider les lois sur l’impunité et d’assumer ainsi courageusement son devoir de mémoire.

Notre Ambassade à Buenos Aires porte un intérêt constant à ce procès et suivra de manière attentive son déroulement, afin de témoigner aux
autorités argentines et aux familles de victimes notre attachement à ce que justice soit faite [1]. Le même jour, l’ambassadeur est allé à l’ouverture du procès des tortionnaires de l’ESMA [École supérieur de mécanique de la marine].

Trois détails étaient particuliers :

La demande, avant le début de la déclaration du premier témoin, de l’avocate de la défense, Véronique Blanco, d’une partie des accusés. Comme ses clients avaient dû se lever à quatre heures du matin pour assister à la séance de la matinée, et qu’une partie de leurs demandes — sur les horaires de repas et d’autres détails — n’étaient pas encore satisfaites, l’avocate demanda que six des accusés puissent se retirer. L’avocat général Alejandro Alagia a allégué qu’il n’y avait pas de certificat médical et que cela n’était pas recevable. La Juge Ana María D’Alessio a accepté que les six tortionnaires se retirent dans une salle contigüe, parmi eux Julio Simón, alias le Turco Julián, bourreau et violeur actif. Neuf sont restés.

Dans le public, la Mère Elia Espen, maigre et grande, s’est levée en disant "Se réveiller à 4 heures fatigue des policiers ! Pour torturer, ils avaient du courage et maintenant ce sont des lâches !" [Erreur de Página 12 sur l’identité de la mère ; bonne transcription de Mu].

Commentaire :

Daniel Feierstein dans El genocidio como práctica social (entre el nazismo et la experiencia argentina), Buenos Aires, 2007, souligne que dans les armées modernes, il existe deux fonctions séparées : mener la guerre, la lutte contre l’ennemi ; obtenir des informations sur la base d’interrogatoires-tortures. Il est évident que, pour le second plan, le courage ne sert à rien, ce qui est utile est la recherche de la douleur d’autrui pour tirer des données le plus vite possible. De là à tomber dans l’indifférence humaine et le sadisme, la frontière est presque inexistante, comme l’a prouvé l’ex président Bush avec l’emploi nécessaire par la CIA-FBI (les différences possibles sont sans importance dans la pratique) de techniques comme la “baignoire” ou début de noyade avec la tête dans un seau ou la cuvette d’un wc, etc.

Par conséquent, il est logique que les ex tortionnaires, partisans d’un coup d’état destiné à régénérer la patrie argentine au nom des valeurs catholiques et nazies, se plaignent à présent de se lever tôt. Il est d’ailleurs peu surprenant qu’ils redoutent d’entendre une mère de deux militants qu’ils ont torturés avec acharnement.

Les génocidaires n’avaient aucun courage, ils se cachaient derrière des alias face à des hommes et à des femmes emprisonnées, presque tous avaient les yeux bandés (sauf les futurs disparus, jetés à la mer depuis des avions). Aujourd’hui, face aux personnes, sur un pied d’égalité de droits, certains ne supportent pas le regard et les paroles d’accusation, comme ce fut le cas devant María Esther.

Tout un symbole dans une société argentine encore très machiste, dans la politique de tous les jours.

Un autre détail, le second étage de la salle était vide. Cela signifie, à mon avis, que les avocates des tortionnaires avaient conseillé aux membres de leurs familles de ne pas assister aux séances, soit pour ne pas montrer des excès d’adhésion au putsch et être expulsés, soit pour ne pas perdre confiance dans les accusés.

Dernier aspect, le jour de l’ouverture du procès, les membres de la Police fédérale étaient distraits, se faisant des signes, communiquant par portable, mais cette fois, ils ont fait montre de capacité d’écoute et de calme, l’un à droite des juges et les deux autres à gauche.

Avant, durant et après la Déclaration de María Esther

María Esther Tello, après une conversation avec Elia Espen au rez-de-chaussée du bâtiment des Tribunaux, rue Comodoro Py, [à Buenos Aires] est arrivée à 13 h 30 pour être enregistrée comme témoin au bureau du TOF2 où elle reçut un accueil aimable et délicat. À 14 h 43, elle fut introduite dans la salle et, après les procédures habituelles de présentation et de serment (abrégées pour éviter des moments de lassitude, comme l’a expliqué la juge Ana María D’Alessio, présidente du procès), María Esther Tello a pris la parole avec sa voix caractéristique de personne souffrant d’aphonie. Elle répondit aux questions de la juge Ana María D’Alessio et de l’avocat général Alejandro Alagia, et trouva le ton, le force et une ironie indirecte, si bien que lorsqu’elle eut fini, un long applaudissement spontané salua son témoignage.

Le public, contrairement à l’ouverture, était peu nombreux ce lundi de début de déposition des témoins contre les tortionnaires. Étaient présents le chargé des Droits de l’homme de l’ambassade de France, Guillaume Mounier, très courtois et attentif, une journaliste française, les Mères de la place de Mai, Elia Espen, Nora Cortiñas et Mirta Baravalle, les six petits-fils de María Esther, la fille de Marcelo et un neveu petit-fils membre du Frente Popular, Darío Santillán, une représentante de l’Association des ex détenus et disparus, deux compagnes de la Biblioteca Libertaria José Ingenieros (grâce au contact de Sarita M.), un journaliste d’une agence de presse qui notait avec sérieux et plusieurs personnes, une vingtaine de personnes au total.

Déclaration de María Esther Tello. 14 h 45

Juge Ana María d’Alessio : María Esther pouvez-vous relater au Tribunal les circonstances de la disparition de vos fils ?

—  Paul Daniel Tello et Raphaël Tello ont été arrêtés le 31 mai 1978. Comme j’étais à l’étranger, je l’ai su par une lettre d’Alfredo Seoane [2] où il m’informait du pillage de leurs domiciles, la présentation d’un habeas corpus par leur tante, María Delia Tello. Mon fils Marcel avait déjà disparu à Córdoba, peu avant le putsch du 24 mars. Comme nous sommes d’origine française, nous avons tous la double nationalité argentine et française.

Pour survivre j’ai misé sur l’espoir, sur apprendre à attendre. Nous avons répété le même parcours qu’avec Marcel, en Argentine et en France.

Avec des Argentins, nous avons créé le Cosofan, Commission solidarité de membres des familles [de détenus] et association contre la torture, et une autre commission avec des camarades français. Tous les jeudis, comme les Mères de place de Mai à Buenos Aires, nous nous réunissions devant l’ambassade argentine à Paris et nous demandions une audience avec l’ambassadeur et jamais il ne nous a reçus.

Une répercussion apparut en France, avec le soutien de l’Association française de chrétiens contre la torture. Tous les jeudis, que le soleil tape, qu’il pleuve dru, qu’il neige fort, ils étaient avec nous. Des artistes français se sont associés à nous comme Catherine Deneuve, Yves Montand. Ces manifestations ont été infructueuses, mais elles nous ont beaucoup réconfortés.

Nous avons déposé des plaintes devant la Justice française, Amnesty International, mais elle sont demeurées sans réponses. En revanche, la répercussion a été grande. Mes fils étaient ouvriers de l’industrie navale [d’abord ils étaient charpentiers]. J’ai demandé le soutien de la CGT et de la CFDT, les deux syndicats les plus importants de France, du Syndicat du Bois des États-Unis. J’ai été invitée par un Syndicat de Charpentiers de Norvège.
Nous avons tout fait pour les rechercher.

Avocat général Alejandro Alagia : Pouvez-vous préciser comment étaient vos fils ?

— Ils ont fait leurs études au Colegio Nacional de La Plata [centre scolaire laïc et gratuit, avec des enseignants universitaires]. Nous sommes tous de La Plata. Paul Daniel a étudié l’architecture et Raphaël la philosophie. Ils se sont fiancés, ils ont eu des enfants, j’ai des arrières petits-enfants. Ils
avaient le sens de la responsabilité.

La responsabilité, la vie libre, sont des valeurs qu’ils ont appris à la maison.

Comment étaient mes fils ?

Ils faisaient de la natation dans la piscine du Colegio Nacional, du rugby, ils aimaient la musique. Ils avaient un amour pour la vie, pour leurs enfants.

Avocat général Alejandro Alagia : En tant que travailleurs, étaient-ils membres d’une organisation de travailleurs ?

— Ils avaient appris les valeurs de leurs parents, la défense des plus défavorisés. Ils ont connu, avec leurs parents qui étaient des travailleurs sociaux dans le département d’extension universitaire de la Plata, la vie des travailleurs ruraux, des petits propriétaires ruraux, les “chacras ».

Ils avaient appris dès leur plus tendre enfance les conditions sociales de ce pays. Leur père était syndicaliste et avait travaillé dans le port [de Buenos Aires], dans l’industrie frigorifique Armour [à Berisso], et il était journaliste. Pour ma part comme institutrice, j’avais participé à la création du premier syndicat d’éducateurs de la province de Buenos Aires.

En commençant à travailler, ils ont eu des contacts avec d’autres ouvriers, ils ont commencé à voir ce qui se passait dans les usines. Ils ont connu la répression de la dictature sur le groupe des délégués au chantier naval de Río Santiago [à Ensenada près de La Plata].

Avocat général Alejandro Alagia : Ont-ils été délégués syndicaux ?

— Je ne le sais pas. Mes fils m’écrivaient. Paul Daniel évoquait comment la propagande de la dictature — “Ils ont dû faire quelque chose, il doit y avoir une raison [3] ” — était nichée chez les gens.

Oui, ils avaient défendu les droits des travailleurs. Comme dans les multinationales où des chefs d’entreprises donnaient la liste des délégués à la police.

Ils menaient une vie engagée, assumée, courageuse. Car le gouvernement de la dictature désirait livrer les richesses du pays aux enchères et à la pire des offres.

Avocat général Alejandro Alagia : Comment avez-vous connu le destin de vos fils ? Connaissez-vous d’autres camarades de vos fils ?

— J’ai dit que c’est par une lettre d’Alfredo Seoane que j’ai su l’enlèvement et le pillage de leurs biens, des miens et de ceux d’Elsa Martínez et de Hernán Ramírez, également disparus. Les voisins d’Elsa et de Hernán m’ont dit que pendant une semaine ils ont tout emporté dans une camionnette.

À mon retour en Argentine, je me suis présentée à la Conadep [Commission nationale sur la disparition de personnes]. C’est là que j’ai su quelles personnes avaient été avec mes fils. Le gouvernement français a désigné un avocat en France, Miquel, et en Argentine, Horacio Méndez Carreras, qui avec une extraordinaire gentillesse, m’a aidée. J’ai appris peu à peu comment avait été la captivité de mes fils.

Avec les lois de Point Final et d’Obéissance due ; les « Caras Pintadas » [4], la grâce accordée
par Menem qui a libéré les Juntes, je suis repartie en France. J’y ai entamé un procès. Le juge Roger Le Loire a agi de façon merveilleuse. Des témoins sont venus d’Argentine, les mêmes que ceux qui ont déposé dans plusieurs autres procès en Argentine et en Espagne. Quand je suis allée voir le juge pour ce qui était à mon avis du retard, il m’a montré les pièces légales : plusieurs grandes piles dans une armoire. Durant trois jours il y a eu un témoignage sur la vie quotidienne dans ces camps. Le récit le plus horrible qu’il m’ait été donné d’écouter.

Je ne vois pas ici le Turco Julián ! s’exclame María Esther qui ne pouvait pas savoir qu’une avocate avait réussi à écarter six des tortionnaires.

María Esther évoque les prisonniers enchaînés obligés d’aller aux toilettes tous ensemble selon un horaire imposé.

À la fin de leur captivité, un camarade a entendu que, lors du passage d’une rangée de prisonniers enchaînés, dont mes fils, des gardiens disaient "Ne leur donnez pas à manger parce qu’après ils vomissent" [5]. On les droguait. Ces êtres [en regardant les accusés qui évitaient de la regarder] le savent parfaitement.

Le récit impressionna le juge lui-même, et aussi la greffière. Paul Daniel avait été torturé plusieurs jours durant, des heures et des heures au point qu’il ne pouvait pas marcher et on le traînait à nouveau pour être torturé.

— Durant le procès, après trois jours de témoignage, j’ai remercié le camarade Mario et il me répondit "Merci à toi, pour les fils que tu nous as donnés". Et j’ai offert mon foulard de Mère de place de Mai au juge Le Loire.

Ce fut un des moments les plus forts de ma vie. Ces tortionnaires, ce moment d’émotion, ils ne peuvent point le connaître.

Hebe de Cáceres, est venue me voir et m’a dit que se trouvant dans le camp de Banco, en juillet, avec le froid [6], avec des crises d’asthme, dormant à même le sol, Raphaël lui fit passer sa seule couverture, en lui disant qu’elle ne se fasse pas de souci, car ils étaient deux dans son tube [7] et se chauffaient mutuellement.

Ensuite Tito Ramírez (qui avait été professeur d’architecture de Paul Daniel) me raconta qu’il avait travaillé comme esclave. On l’avait libéré. Et il vint me voir à Paris.

Avec l’affaire Astiz [8], infiltré parmi les exilés pour espionner, nous avions appris à nous méfier. Quand il me téléphona [Tito], je lui ai demandé de passer le jeudi pendant la manifestation face à l’ambassade argentine. C’était une mesure pour contrôler ceux dont nous savions dans quel but ils venaient. Lorsqu’il arriva, il me dit “J’aurais fait pareil”.

Après avoir été torturé, ils l’ont laissé par terre et il a entendu "Tito, c’est nous les Tello, tu peux être tranquille !"

Cela montre la qualité humaine de nos disparus. Ils conservaient ce trait de solidarité, comme chez nous, au milieu des vexations et des humiliations qu’ils subissaient, et cela jusqu’au dernier moment.

Avocat général Alejandro Alagia : Pouvez-vous donner les noms d’autres camarades ?

María Esther cite en plus de Hebe de Cáceres, Oscar Eliçabe, ses belle-filles Mariana et María del Carmen, Rufino Almeida, Elsa Martínez et Hernán Ramírez.

— J’ai omis de dire qu’il y a d’autres témoins, les travailleurs du chantier naval où ils ont été arrêtés [9], et comme c’était le 31 mai, mes fils ont été dépouillés de la paie qu’ils venaient de toucher.

Ils sont arrivés dans une voiture et une camionnette sans plaque d’immatriculation et ils ont emmené tout le monde : Paul Daniel et Raphaël dans le coffre de la voiture et les travailleurs dans la camionnette. Durant le trajet, ils se sont arrêtés et ont fait un simulacre de fusillade de mes fils.

Et les camarades de travail les ont crus morts. Tant et si bien qu’ils sont allés présenter leur condoléances à mes belle-filles lorsqu’elles ont été libérées.

Avocat Yanzón : María Esther voulez-vous parler de vos belle-filles ?

— Le plan d’extermination prévoyait d’effacer l’identité des personnes.

Mariana [épouse de Raphaël], du fait qu’elle avait vu son mari torturé ainsi que son beau-frère, lorsqu’on lui demandait comment elle s’appelait, elle ne pouvait pas retenir [le N° ou le chiffre] et on lui cognait dessus à nouveau.

Elles ont été libérées de nuit, sur une route.

Quand María del Carmen a été détenue, les enfants ont été laissés aux voisins.

Avocat Yanzón : Elles avaient identifié Colores et le Turco Julián.

— Oui et elles ont pu reconnaître le lieu de Banco parce que toutes les deux sont architectes.

Elles ont dit “Il y avait ici un mur”, on a creusé et le mur est apparu.

Juge Ana María d’Alessio : Dans la liste des tortionnaires, vous souvenez-vous de leurs surnoms ?

— Kun Fu, Colores, le Turco Julián, Anteojitos, Rolón.

Avocat Hernández : Alfredo Seoane était-il un ami de la famille ?

— Oui. C’était un homme âgé d’environ soixante ans.

Avocat Hernández : Qui a établi l’habeas corpus ?

María Delia Tello.

Avocat Hernández : Vos belle-filles ont-elles vu vos fils ?

Oui, c’est indiqué dans les dépositions. On leur a permis de se dire adieu.

Avocat Hernández : Quel âge avait vos fils ?

25 et 29 ans.

Avocat Hernández : Et votre fils disparu à Córdoba ?

— 25, il était entre les deux autres et a disparu deux ans auparavant.

15 h 44 la juge Ana María d’Alessio donne la parole aux avocates de la défense.

Avocate Valeria Corbacho : Outre leur activité syndicale, vos fils faisaient-ils partie d’une organisation politique et démocratique ?

— Ils ont participé à la lutte étudiante, syndicale. María Esther se tait quelques secondes, recule légèrement en arrière dans son fauteuil et ajoute : durant la dictature ils appartenaient à Resistencia
Libertaria [10].

Avocate Verónica Blanco : Avez-vous présenté une plainte à la commission internationale latino-américaine des Droits de l’homme ?

— Oui et j’ai été également à Genève à une réunion de l’ONU.

Avocate Verónica Blanco : Avez-vous reçu une réponse officielle ?

— Il y eut de nombreuses réponses négatives.

Avocate Verónica Blanco : Privées ?

— C’étaient des réponses collectives.

Juge Ana María d’Alessio : Y-a-t’il d’autres questions ?

Avocat général Alejandro Alagia [?] : Quel a été le résultat du procès en France ?

— J’ai commencé le procès en 1998 avec le juge Roger Le Loire et le matériel de Horacio Méndez Carreras. Et l’affaire a beaucoup avancé.
J’ai dit au juge que ce procès était bizarre pour deux raisons. D’abord parce que l’on disait que Kissinger avait autorisé la répression en Argentine. J’avais un extrait de
La Nación ou d’un autre quotidien sur ce sujet. Ensuite parce que je ne connais pas d’autre pays où on ait besoin de l’autorisation d’un ministre étranger.

Roger Le Loire convoqua Kissinger lorsqu’il était à Paris au Ritz [11], mais il ne vint pas et quitta aussitôt la France.

Ensuite, un autre juge a repris l’affaire et et a établi une liste de répresseurs à extrader.

Quand le Président Néstor Kirchner est venu à Paris [en 2003], je lui ai demandé une audience et lui ai dit que les restes de mon fils Marcel étaient dans une fosse commune à Córdoba et que les médecins légistes n’avaient pas de fonds pour l’identification à partir de l’ADN. Les légistes ont ensuite reçu de l’argent du gouvernement fédéral et aussi de la province de Córdoba.

C’est maintenant le point culminant de mes aspirations. Tout comme mes fils avaient le droit constitutionnel de renverser une dictature [12], je réclame la localisation des restes de mes fils.

[Tout en fixant les accusés] Ils savent où se trouvent les cadavres et doivent le faire savoir s’ils se sentent citoyens de ce pays.

Avocate Verónica Blanco : Savez-vous que les témoins ont droit à une réparation ?

— Oui. On répète en Argentine la procédure appliquée en Allemagne avec les Juifs.

Le Turco Julián voulait convaincre Hebe de Cáceres des [vertus du nazisme].

Juge Ana María d’Alessio : Je vous demande pardon, mais cela ne concerne pas la question.

— Oui.

16 h. Juge Ana María d’Alessio : Lors des procès en Espagne et en France, des gens ont-ils déclaré avoir vu vos fils ?

— C’est le cas de Franco Sotarel, Rufino Almeida, María del Carmen, Mariana.

Ce fut ensuite le tour de Marcelo Damián Senra qui le fit brièvement et presque à contrecœur.

Commentaires à la suite des déclarations

On peut en déduire que les juges ont choisi de placer comme premiers témoins les personnes venant de l’étranger, de France pour María Esther et d’Espagne pour Marcel. Simultanément les juges pouvaient s’attendre à ce que cette première déclaration de María Esther aller beaucoup apporter sur
les plans éthique et politique et aussi juridique.

Le premier aspect est parfaitement exposé par le ou la journaliste
de Mu :

Les réponses de María ont été précises et ce sera sûrement un des témoignages les plus pénétrants pour la résolution de cette affaire. Elle a narré des faits qui semblaient sculptés dans sa mémoire par le feu de l’éternité, sans hésitations et sans contradictions, en ajoutant tout un ensemble de noms, de dates et de précisions. Avec la sûreté que lui donne l’oubli inadmissible, et par moments, avec ce qui paraissait une gorge baignée de larmes, María Esther exigeait de ses filets de voix un complet témoignage.

Soulagée, après de multiples tensions les jours précédents, à la lecture de ce que Mu a publié, María Esther s’est rendu compte qu’aussi bien pour l’enlèvement de ses fils sur leur lieu de travail que pour les tortures dans les centres clandestins et le probable vol de la mort, il existe des témoins et des
témoignages suffisants pour permettre une inculpation pour crimes contre l’humanité.

Après 33 ans de lutte, de doute et d’attente, María Esther a accompli de son vivant la défense et la reconnaissance juridique de la militance de deux de ses fils. Une chance que de nombreux parents de disparus n’on pas eu et il est à souhaiter que ceux qui continuent à lutter puissent l’avoir.

Les conditions carcérales sont privilégiées en Argentine pour les génocidaires. Par exemple le général Luciano Benjamín Menéndez [un des responsable de la disparition de Marcel] condamné à trois peines à perpétuité dont deux en prison avec des délinquants, ne cesse de faire des allers et retours entre la situation d’arrêt domiciliaire et de prison de droit commun dans de bonnes conditions.

Mais le poids social de l’opprobre, de la honte est fort sur ceux qui prétendaient apporter la régénération morale dans le pays. Comme la défaite de la guerre des Malouines est lourde pour des militaires qui se vantaient de remporter des victoires sur le Chili ou la Grande Bretagne, comme ils l’avaient fait contre la guérilla, en oubliant un détail comme des connaissances élémentaires de stratégie militaire.