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Le retour du cinéma italien ? (suite)
Pranzo di Ferragosto / Le Déjeuner du mois d’août (1)
de Gianni di Gregorio
Article mis en ligne le 16 avril 2009
dernière modification le 17 mars 2009

Le Déjeuner du mois d’août (Pranzo di Ferragosto) [1] de Gianni di Gregorio est une comédie ironique et tendre qui renoue avec les grandes comédies italiennes de l’âge d’or, confirmant ainsi le renouveau du cinéma italien [2].

L’histoire est simple et surprenante et défie tous les défis de la production qui a pronostiqué qu’un « film avec des personnes âgées, ça n’intéresse personne. Ce n’est pas commercial. » Comme quoi il est difficile d’anticiper sur l’engouement du public, puisque ce film à petit budget remplit les salles et qu’il a fallu décupler le nombre de copies pour répondre à la demande de distribution. Une jolie réussite pour un film où le sourire est la constante et où les comédiennes et les comédiens n’ont pas fini de nous étonner.

Gianni vit avec sa mère dans le vieux quartier du centre de Rome. La vieille dame l’accapare et supporte à peine qu’il sorte pour retrouver de vieilles connaissances. C’est l’été, l’époque des vacances et des migrations estivales vers la campagne et les plages. La fête de l’Assomption (Ferragosto en italien) a perdu son caractère religieux, le 15 août est devenu une fête profane qui vide les grandes villes de sa population, mais se pose alors le problème des personnes âgées. Il n’est pas toujours aisé de les faire voyager pour une courte période. La veille de cette fête, le gérant de l’immeuble, demande à Gianni de s’occuper de sa propre mère pendant le week-end du 15 août en échange de ses impayés vis-à-vis de la copropriété. De fil en aiguille, Gianni se retrouve avec quatre vieilles dames, issues de milieux sociaux différents, qui n’acceptent pas aussi facilement la cohabitation. La garde va s’avérer pleine de surprises, fertile en rebondissements et en situations cocasses. Et Gianni va se rendre compte que ses « quatre mères » improvisées ont une énergie étonnante, une personnalité forte et qu’il n’est absolument pas question de les infantiliser.

Gianni di Gregorio : J’ai vécu dix ans avec ma mère, alors âgée entre 80 et 90 ans. Je suis fils unique et en Italie, en principe, les mamans sont très attachées à leur unique enfant, surtout si c’est un garçon. Mon épouse et mes filles vivaient dans un autre appartement et je demeurais avec ma mère qui ne pouvait pas vivre seule. Durant ces dix années, j’ai découvert la force des personnes âgées, leurs passions, leurs désirs, leur enthousiasme parfois bien plus intense que le mien.

Au cours de l’été 2000, le gérant de l’immeuble, responsable du syndic, m’a proposé de garder sa mère durant les vacances du 15 août en échange de mes dettes de copropriété. J’ai refusé. Mais cela m’a cependant fait réfléchir à la situation : que se serait-il passé si j’avais accepté de garder sa mère en même temps que la mienne ? L’idée du film vient de là. Il est vrai qu’en Italie, notamment dans les grandes villes, le problème des personnes âgées, qui souvent vivent dans les familles, devient crucial au moment de l’été et impose une organisation afin de ne pas les laisser seules.

L’idée est née immédiatement et j’ai donc écrit tout de suite quelque chose. Mais lorsque j’ai fait lire le script à des producteurs, tous m’ont découragé : « Un film avec des personnes âgées, ça n’intéresse personne. Ce n’est pas commercial. ». J’ai donc abandonné le projet dans un premier temps. Bien des années plus tard, j’ai trouvé le financement et j’ai retravaillé le scénario. C’est le réalisateur Matteo Garrone [3] qui a produit le film avec un petit budget [4]. Il m’a vraiment poussé à le réaliser et c’est grâce à son courage que ce film existe aujourd’hui.

Je dois dire que je connais bien Matteo Garrone. Je travaille depuis toujours dans le cinéma, comme scénariste, et lorsque j’ai connu Garrone, j’ai été très touché par sa manière de filmer, de fonctionner et, bien que qu’il soit mon cadet de vingt ans, je lui ai demandé de travailler sur ses projets.

— Tous les personnages du film sont réels. Ce ne sont pas des professionnels, ils existent vraiment.

Gianni di Gregorio : Oui. Le Viking par exemple est un vieil ami, le docteur également. D’ailleurs l’ordonnance qu’il apporte dans le film est une ordonnance pour sa mère, tout à fait réelle. Le gérant le l’immeuble est interprété par un comédien de théâtre.

Christiane Passevant : Comment avez-vous trouvé les personnes âgées ? Vous avez organisé un casting ?

Gianni di Gregorio : Une des dames est ma tante. Elle a 90 ans. Pendant deux mois, je suis allée la voir, la courtiser avec des membres de l’équipe. Et elle m’a dit : « mais, qu’attends-tu de moi ? ». Je lui ai finalement parlé de mon projet et lui ai demandé si elle voulait jouer dans le film. Elle a accepté car, en fait, c’était son rêve de toujours d’être une actrice. La femme qui joue le rôle de ma mère est une amie de la famille. C’est une femme forte, une véritable personnalité, et j’étais sûr de ce qu’elle pouvait faire dans le film. Pour les autres dames, j’ai fait paraître une annonce : « recherche femmes de 80 ans pour un film ». J’ai auditionné une centaine de femmes et c’était formidable. Toutes ou presque étaient magnifiques et nous en avons ensuite choisi quatre. C’était amusant de travailler avec elles. J’ai d’ailleurs gardé les bouts d’essai.

Nous avons tourné dans mon appartement, car le budget du film était très serré. Aujourd’hui, louer un appartement à Rome pour un tournage coûte très cher et ce n’est guère facile. Le lieu principal de tournage est donc chez moi, mais comme l’appartement était meublé plutôt en contemporain, il a fallu le remeubler à l’ancienne.

Christiane Passevant : Ce film, comme vous l’avez évoqué tout à l’heure, est à contre courant de la mode. Parler, montrer des personnes âgées n’est pas dans l’air du temps. Certes, on voit leur isolement dans le film, mais c’est surtout leur vivacité, leur curiosité, leur énergie qui ressort. Elles sont même révoltées et refusent le fait qu’on les parque, en quelque sorte.

Gianni di Gregorio : Tout à fait. En fait j’ai voulu parler de ce thème assez sensible en faisant passer le message sur le ton de l’ironie.

Christiane Passevant : En ce qui concerne votre rôle, celui du fils, on n’en sait pas grand-chose socialement. A-t-il travaillé auparavant ? On a l’impression qu’il a toujours été aux ordres de sa mère et qu’il n’est pas mature. Vit-il à ses crochets ? On a du mal à imaginer son parcours, sa vie affective ou familiale en dehors de sa mère.

Gianni di Gregorio : Mon idée pour ce personnage était qu’il avait toujours vécu avec sa mère, ou qu’il était toujours retourné à la demeure maternelle. C’est un peu inspiré de ma vie, car ma mère voulait que je sois toujours auprès d’elle. Elle avait pourtant des aides, mais elle me voulait à ses côtés. Le personnage doit rester avec sa mère, sans autre alternative.

— Vous tenez un rôle important dans le film et je crois que vous avez pris des cours d’art dramatique en étant jeune.

Gianni di Gregorio : J’ai étudié dans une Académie, très connue en Italie, pour être metteur en scène et acteur, mais ensuite je n’ai jamais joué. Peut-être par timidité ou par les hasards de la vie ? Je me souviens que pendant certaines scènes que je jouais, celle de Macbeth par exemple où le personnage parle de ses mains entachées de sang, tout le monde riait. Cela a duré un an. Dès que je montais sur scène pour jouer un rôle tragique, tout le monde hurlait de rire, et je me demandais pourquoi. J’en souffrais et, au bout de deux ans, le professeur m’a dit de ne pas m’en faire et d’accepter le fait que j’étais un acteur comique. J’avais le talent d’être comique.

— Vous avez changé le scénario sous la pression de vos comédiennes ?

Gianni di Gregorio : Oui, je l’ai mis de côté dès que j’ai compris que les dames réinventaient l’histoire que j’avais écrite et en la transformant en quelque chose de bien plus intéressant. Nous avons donc suivi l’histoire, mais, caméra à l’épaule, nous les avons surtout suivies. Il fallait s’adapter à elles. D’ailleurs, celle qui joue ma mère dans le film refusait parfois de tourner parce que la scène ne lui plaisait pas. Il fallait alors imaginer des trouvailles pour enrichir le scénario. Elle était têtue, comme ma mère.


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