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Documentaire
Bienvenue à Hébron/Welcome to Hebron (1)
de Terje Carlsson
Article mis en ligne le 28 novembre 2008
dernière modification le 23 septembre 2009

Pour voir des extraits de Bienvenue à Hébron / Welcome to Hebron

http://www.youtube.com/watch?v=X9nWCvDG8NE&fmt=18

Le Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier propose depuis plusieurs années des documentaires de très grande qualité. Cette année encore, pour sa trentième édition, une sélection très intéressante a été présentée au public, et notamment sous le thème Israël/Palestine, deux documentaires remarquables, Bienvenue à Hébron  [1] de Terje Carlsson et Pour voir si je souris de Tamar Yarom [2]. Le choix de montrer ensemble ces deux films participe de la volonté de comprendre une situation de plus en plus intenable. Ce sont deux visions différentes, deux axes différents d’approche certes, mais une même aliénation et un même enfermement construits sur l’occupation d’une population par une autre. Les questions évoquées dans les deux documentaires se font l’écho d’une souffrance et du piège stérile d’une situation sans issue.

Quelles sont les conséquences de la militarisation de la société israélienne ? Quels en sont les effets directs sur les relations sociales et sur les personnes, occupées et occupantes ? Quelle est la part d’institutionnalisation de la violence, justifiée et entretenue par une propagande de la peur ? Les deux films montrent simplement, crûment, les effets d’une situation politique complexe avec, en toile de fond, une violence inouïe et banalisée. L’originalité des deux films réside d’abord dans le choix de l’angle pour aborder la situation, c’est le point de vue des femmes qui permet une réflexion profonde sur l’occupation, la responsabilité collective et la manipulation des esprits. C’est aussi des regards de l’intérieur, regards qui se croisent, à contre-courant des images habituelles, monopolisées la plupart du temps par les hommes.

Pour la réalisation de son documentaire, Bienvenue à Hébron , Terje Carlsson a passé trois ans dans cette ville, et Christine Chamoun, qui l’a assisté et a coordonné les entretiens avec les femmes, un an et demi. Leur travail est minutieux, les entretiens permettent de pénétrer la réalité quotidienne des problèmes vécus par les Palestiniens et de prendre la mesure de la « haine de l’autre » qui est développée chez les enfants des colons. Fait d’autant plus insupportable que ce sont des adolescentes contre des adolescentes et que la violence est ordinaire, banale.

Or, est-il possible de construire une société (ou deux sociétés voisines) sur une base de violence latente de la part d’une partie de la population sur l’autre ? Dans Bienvenue à Hébron , la relation occupant/occupées est au centre de la problématique de la région. Elle décide des droits et de l’absence de droits sans qu’il soit possible d’opposer un quelconque argument à l’arbitraire et à la déraison. On peut écrire sur une porte « Gazez les Arabes » ou lancer à un groupe de jeunes filles palestiniennes « À mort les Arabes » et, en même temps, se déclarer victime de la vindicte internationale. Le phénomène connu du « Blaming the victims » est certainement la clé du comportement en partie inconscient des enfants qui subissent la propagande extrémiste des colonies.

Aux enfants qui crient « Israël est notre pays, il n’y a pas de Palestine ! », que répliquent les soldats ? Rien. « Je vois, dit l’un d’eux à la jeune Palestinienne blessée par une pierre, mais on ne peut rien faire. » Ce sont 600 colons et 4 000 militaires qui font la loi dans une ville de 150 000 Palestiniens. Yehuda Shaul, qui a passé 14 mois de son service militaire à Hébron, décrit le rôle des soldats : « Tu envahis une maison dans la vieille ville pour faire sentir ta présence. Tu fais du bruit, tu tires en l’air pour dire : “c’est nous les chefs” ! C’est le moyen d’opprimer, d’occuper des civils. »

De son côté, Leila commente : « Il suffit que tu dises que tu es Palestinien pour que tout le monde te considère comme un terroriste. » Et elle ajoute : « Pour un soldat, je suis une menace. » En effet, c’est la vision propagée, les enfants sont fouillés aux checkpoints et les commerçants doivent vite dégager le marché au bon vouloir des autorités militaires. La responsabilité de la situation n’est pas à reprocher seulement aux colons explique Yehuda. « Le nettoyage, la “stérilisation” des rues est faite par les soldats. Tout fait partie de la politique ici. On doit maintenir la colonie au milieu de la ville. 600 colons au milieu d’une ville de 150 000 Palestiniens. Pour que les colons vivent une vie normale, les “fantômes” autour d’eux doivent payer le prix. Ce ne sont jamais les colons qui payent le prix, c’est toujours les Palestiniens. »
Et ils payent le prix fort. « Personne ne connaît la réalité sur les Palestiniens et les Israéliens », affirme Leila. Peut-on d’ailleurs imaginer que les soldats, qui laissent les colons faire la cueillette des olives dans les jardins palestiniens de Tel Rumeida, empêchent les Palestiniens de ramasser leurs fruits dans ces mêmes jardins ?

Sur place, « on perçoit la situation de façon différente » constate Christine Chamoun qui nous a accordé un entretien pendant le festival de Montpellier. « On doit continuer à vivre avec tout ça, dit Leila dans Bienvenue à Hébron, si on ne s’habitue pas, on sera en colère tout le temps. »

Christine Chamoun : Quand on habite en Palestine, on perçoit la situation de façon différente parce qu’on la vit au quotidien. La question en fait qui se pose est : comment l’occupation affecte la vie quotidienne de ces enfants ? C’est ce qui a motivé la réalisation du film et Terje avait cette question sans cesse en tête. Il a voulu se concentrer sur les femmes parce que, dans les medias occidentaux, c’est toujours l’homme arabe, agressif, avec les pierres, qui est montré, mais jamais les femmes. C’est pourquoi, il s’est concentré sur les femmes et sur cette jeune fille, Leila, qui est volontaire et a une forte personnalité. Ce qu’il a aimé chez elle et Feryal, sa mère qui est enseignante à l’école de Cordoba [3] à Hébron, c’est que ce ne sont pas des victimes, ce sont des femmes fortes qui vivent et gèrent une situation difficile. C’est ce qui donne une part d’espoir dans le film. La situation est très dure, mais Leila ne se décourage pas.

Larry Portis : Cette famille est exceptionnelle ?

Christine Chamoun : On m’a déjà posé la question, et je pense que non. La personnalité de Leila est exceptionnelle, mais j’ai rencontré d’autres jeunes filles à Hébron, tout aussi fortes. Leila n’est pas la seule.

Larry Portis : Ce courage, cette capacité de faire front à toutes les difficultés, est-ce typique des Palestinien-ne-s ?

Christine Chamoun : C’est intéressant ce que vous dîtes, je suis d’origine libanaise, et quand on vit une situation de conflit, il est vrai que cela forme. Les Palestinien-ne-s avec tout ce qu’ils ont vécu, c’est aussi leur façon de survivre et de faire face. La différence entre les hommes et les femmes — et je trouve cela très intéressant à Hébron —, c’est que l’occupation a ôté leur dignité aux hommes. Ils se sentent complètement affaiblis par l’occupation. Ils ne peuvent plus protéger leur famille et sont presque apathiques. Certains marchent même le dos courbé, alors que les femmes n’ont pas le temps de s’appesantir sur leur ressenti, elles doivent gérer la famille, en assurer la cohésion, s’occuper des enfants…

Larry Portis : Les hommes sont plus humiliés ?

Christine Chamoun : Oui, parce que le rôle de l’homme, spécialement au Moyen-Orient, est d’être le protecteur de la famille, le chef de famille. Si on lui ôte ce rôle, il se sent perdu.

Larry Portis : Est-ce que cela les rend moins machos ?

Christine Chamoun : Moins machos, non. Certainement pas, mais ils ne savent plus comment gérer la situation. Le rôle des femmes est de préserver la famille, d’en assurer les liens. C’est très intéressant dans le contexte d’Hébron parce que toutes les femmes que j’ai rencontrées sont extraordinaires.

Christiane Passevant : Avez-vous constaté une différence entre les femmes qui vivent à Hébron une situation particulièrement difficile et les femmes qui sont dans les camps en Cisjordanie ou, encore pire, dans la Bande de Gaza ?

Christine Chamoun : Je ne suis pas allée à Gaza et, honnêtement, pas très souvent dans les camps palestiniens, mais je pense que oui. Pour moi, c’est différent. La ville d’Hébron est divisée entre cette petite enclave, sous contrôle israélien, et la plus grande partie qui est palestinienne. Les femmes vivant dans cette enclave ont un regard différent, une force qui leur est commune. Leur quotidien ne ressemble pas à celui des autres femmes, elles ont chaque jour des soldats israéliens à leur porte.

Christiane Passevant : Est-ce qu’il y a des familles monoparentales à Hébron ? Par exemple des familles dont le père est en prison ou décédé ?

Christine Chamoun : Absolument et elles sont nombreuses. Les familles, comme celle de Leila, sont souvent séparées par les conditions imposées par l’occupation. Le père de Leila n’est pas dans le film parce qu’il travaille à Ramallah et ne revient que tous les deux mois dans sa famille. Il est très difficile de trouver du travail et ce sont des femmes qui gèrent le quotidien. Le père est loin, il ne rentre pas souvent et cela leur donne une certaine autonomie.

Christiane Passevant : Où se passe la scène lorsque les jeunes filles sont attaquées et caillassées et que l’une d’elles est blessée par une pierre ?

Christine Chamoun : C’est en revenant des cours. Ce type d’incident est hélas fréquent puisque les familles palestiniennes et les familles israéliennes sont voisines. L’école de Cordoba se trouve au-dessus de la colonie israélienne et c’est le seul chemin possible pour les élèves. Les familles israéliennes, qui habitent Hébron, utilisent les enfants comme agresseurs. Et ce qui est très gênant dans cette scène, c’est que ce sont des enfants qui agressent d’autres enfants. Les enfants israéliens, qui sortent de l’école avant les Palestiniens, les attendent pour les attaquer.

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