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Miguel Martín
Sans paix, il n’y a pas de révolution possible
Article mis en ligne le 14 mars 2008

Castro l’a dit : “le son des canons résonne en Amérique du Sud”. L’escalade verbale entre Uribe et Chávez semble dépasser le simple effet de style. Des tanks se déploient le long des frontières, des ambassadeurs sont expulsés et les discours et apparitions publiques, en soi déjà très enflammés, augmentent d’un ton la rhétorique de l’affrontement. Ce ne sera peut-être pas pour cette fois, mais il ne fait aucun doute que la situation est alarmante. Les tensions vont peut-être s’apaiser, jusqu’à la prochaine occasion de déchaîner le conflit. J’espère de tout cœur que cela ne se produira jamais ; la perspective de voir deux peuples s’entretuer pour des intérêts d’Etat me répugne, quelles que soient les circonstances. Mais, dans l’immédiat, tout pousse au pessimisme.

Car, en vérité, la rhétorique belliciste favorise autant Uribe que Chávez, et peut-être plus encore ce dernier. Ce qui est certain, c’est que le discours révolutionnaire du Commandante est au plus bas. Après la défaite du 2 décembre, le premier revers électoral qu’il ait subit [1], le mécontentement a commencé à se manifester au sein même du chavisme. Non pas celui qui s’affiche à la télévision en faisant des déclarations grandiloquentes, mais celui du peuple qui s’est abstenu et a causé l’échec de la réforme constitutionnelle, qui n’en peut plus de voir les Mercales [2] mal approvisionnés et les divers Programmes d’assistance et de développement abandonnés, alors que la Bolibourgeoisie [3] se promène en voiture de luxe. Ce même peuple qui ose dénoncer les cas de corruption ou s’opposer à la bureaucratie du Ministère du Travail et qui ne reçoit en échange qu’une volée de plombs de la Garde Nationale. Précisément celui-là même dont les revendications sont qualifiées par les chavistes les plus proches du président de déviations gauchistes ou anarchistes, dont on dit qu’il n’est pas prêt pour le socialisme après neuf ans à attendre de véritables changements, et qui se désespère de voir les œillades lancées par Chávez à la droite ces derniers mois. Ce n’est pas sans raisons que se multiplient, depuis les hautes sphères du pouvoir, les appels à la discipline et à l’union, en prévision des futures élections. Tout cela, bien entendu, accompagné d’expulsions soudaines, sur ordre présidentiel, de ceux qui, au sein du PSUV [4], élèvent la voix, quand bien même ce n’est que pour dénoncer un cas de corruption, alors que ce parti n’est même pas encore constitué, ne possède ni statut ni rien, sauf un comité disciplinaire.

Ce n’est pas la première fois que, lorsque la rhétorique révolutionnaire d’un mouvement populiste s’épuise, ce dernier ait recours à un nationalisme rance, vociférant et agressif. Il constitue le meilleur remède à toute opposition. Car avoir un ennemi externe permet de lui associer toute contestation représentant une menace interne à la stabilité du régime. Cela résout ainsi le problème des opposants, sans aucun doute à la solde de l’adversaire. Cela fait longtemps que l’on utilise ces méthodes au Venezuela : quand ce n’est pas Bill Gates qui implante des puces électroniques sur les gens, c’est untel qui travaille pour la CIA, bref, toujours les mêmes rengaines. En réalité, un conflit ouvert avec la Colombie ne serait qu’un pas en avant dans cette logique. Il pourrait constituer la planche de salut d’un chavisme qui perd le nord et sa base. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de l’empressement du gouvernement vénézuélien, alors que le problème principal est la violation de la frontière équatorienne par des troupes colombiennes, à participer à la dispute et à accroître les tensions en mobilisant des troupes, au lieu de jouer un rôle pacificateur dont le bénéfice diplomatique serait réel.

Bien évidemment, Uribe profite aussi de la confrontation. Il a œuvré pour saboter le dialogue avec la guérilla, pour empêcher la libération des otages et pour n’apporter, comme seule solution au conflit, que la voie militaire (ou favoriser son maintien, ce qui revient au même). C’est avec ce discours qu’il est arrivé au pouvoir, et il cherche déjà le moyen de réformer la Constitution afin de pouvoir être réélu – il y a vraiment des coïncidences effrayantes. Sinon, que l’on m’explique où est l’intérêt de tuer le médiateur dans la libération de Betancourt quelques jours avant l’annonce de sa possible libération. Uribe a ainsi clairement montré qu’il préférait une guerre en règles à un accord pacifique. Depuis toujours, il mène une politique agressive en faveur des paramilitaires, assimilant les tentatives d’organiser une société civile vivante et active – une nécessité impérieuse en Colombie après soixante ans de conflit – à un soutien à la guérilla. Encore un exemple de la façon d’utiliser un ennemi existant pour persécuter ceux considérés comme une menace. Et cela avec l’appui des Etats-Unis, qui seraient les premiers bénéficiaires d’un conflit plongeant le Venezuela dans une longue guerre. Il n’y a rien de plus plaisant pour le pouvoir établi que le consensus et Uribe l’exploite jusqu’à la corde. A tel point que les uribistes accusent de guérillero tout individu critiquant le gouvernement, sans parler des syndicalistes, des défenseurs des droits de l’homme, etc. Uribe fait de son pouvoir personnel un enjeu, aux dépens des colombiens qui se voient désormais menacés, d’un côté par la perspective d’une guerre, de l’autre, par un retour à une campagne d’attentats aveugles de la part des FARC. Peu de peuples au monde doivent souffrir autant de leurs gouvernants que le peuple colombien.

Finalement une guerre ne servirait qu’à maintenir les deux dirigeants au pouvoir, chacun agitant les chiffons de couleurs qui émeuvent tant les nationalistes, des drapeaux qui sont ici cruellement semblables. Tandis que le peuple exsangue, au cœur d’une guerre qui n’est pas la sienne – il n’en a qu’une à mener, celle de classes – pleurerait ses enfants, victime de l’injustice, de la faim et des hostilités. Une chose est certaine : ni les bourgeois, ni les politiciens, ni les bureaucrates n’iront se battre.

Mais dans le cas du Venezuela, il y a un aspect supplémentaire. Il ne fait aucun doute qu’en cas de guerre, il en sera fini de la révolution. Une fois encore, les politiciens de tout poil troqueront l’espoir d’un peuple contre de petits miroirs colorés, en l’occurrence avec des balles et des coups de machette. En cas d’affrontement militaire, rien n’est plus simple que d’intensifier les appels à la discipline, que de discréditer ceux qui osent prendre une initiative sans que le gouvernement n’en soit à l’origine ; rien n’est plus simple que de modifier les priorités, de passer de la construction du Socialisme du XXIe siècle à la victoire de la guerre. Le socialisme ? On verra plus tard, quand on pourra, si on peut. On l’a déjà constaté en Espagne. Au final, on se retrouve sans révolution, sans guerre et on s’est bien fait avoir.

Comme toujours, la seule solution à la folie des gouvernants réside dans le peuple, dans une marée révolutionnaire qui balaye, des deux côtés de la frontière, démagogues, populistes et corrompus et qui se consacre à la construction d’une société civile forte, depuis la base, indépendante d’un pouvoir qui se survit à lui-même ; dans une société auto-organisée, révolutionnaire par volonté et par nature, internationaliste et solidaire, dépourvue de leaders charismatiques, et qui reconnaisse que les peuples colombiens, vénézuéliens et équatoriens sont frères, qu’ils partagent de nombreux points communs, parmi lesquels la souffrance et leur désir de paix et de justice. Pour commencer, il est nécessaire de ne pas se laisser tromper par des proclamations belliqueuses et de refuser radicalement la guerre entre les Etats, toutes les guerres, sauf celle entre les classes. La mobilisation pour la paix devra débuter dès que résonneront les premiers roulements de tambour. Après, il sera trop tard.

Miguel Martín

Source : www.nodo50.org/ellibertario

Traduction : Thierry Libertad