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René Hamm
La faim du monde. L’Humanité au bord d’une famine globale
Hugues Stoeckel (Max Milo)
Article mis en ligne le 8 juillet 2012
dernière modification le 1er juillet 2012

La lecture indispensable du premier ouvrage de Hugues Stoeckel, d’une
exceptionnelle densité informative, nécessite une concentration maximale et la mobilisation de l’ensemble des dendrites qui garnissent nos neurones. On en sort d’autant moins indemne que le professeur de mathématiques
retraité réfute résolument le « devoir d’optimisme », cette « forme
d’aveuglement » que beaucoup « d’écologistes » (?!?) instillent, par
commodité, inconscience ou négation des réalités, dans leurs écrits.

Son propos se rapproche indéniablement davantage des thèses de Bertrand
Méheust [1], de Jean-Christophe Mathias [2] ou de Jean Gadrey [3] que des
« Apartés » de Cécile Duflot [4]. Le Cassandre éclairé jette à bas
« la certitude qu’une conduite collective vertueuse suffirait à nous
assurer un bel avenir ». Pour lui, les fariboles de la « croissance verte »
et du « développement durable » [5], des « solutions dérisoires »
uniquement destinées à « proroger la survie du système », « ne
ralentissent même pas d’un iota la course vers l’abîme ».

Briser le quasi-tabou de la surpopulation

Du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2005, le monde a utilisé un volume
d’énergie (80% par les pays industrialisés, « riches », qui ne
représentent que 20% de la population !) supérieur à celui des cinq
premières décennies du siècle précédent. Alors que les réserves en
brent (35% de la consommation globale), gaz, charbon, uranium…
s’épuisent, les économistes orthodoxes, « nouveaux chiens de garde » [6] omniprésents sur les plateaux des télévisions et des stations
radiophoniques, professent invariablement la fuite en avant, considérant
que la disponibilité en capitaux, la « loi du marché », fixe les bornes
du faisable. Or, selon l’auteur, les « grands » projets ne devraient plus
être évalués en euros, dollars, yuans, mais quantifiés en millions de
tonnes équivalent pétrole ou en « empreinte carbone ».

Contrairement aux leaders de son parti, qui n’affichent qu’une
hostilité de façade au nucléaire [7], le membre, si atypique des Verts, dépeint « l’impasse » de cette filière aussi onéreuse que dangereuse,
en particulier « le pari fou sur la stabilité de notre société » qui
sous-tend la gestion des déchets hautement radioactifs « imposée à nos
descendants sur des centaines de générations ». Il fustige en outre
« l’aberration » du chauffage électrique, que nos gouvernants et EDF ont
surtout favorisé à partir de juin 1981, afin d’écouler les surplus de
courant et de légitimer le recours massif à la fission, au moment où un
contexte moins plombé qu’aujourd’hui eût facilité l’engagement
vers la si cruciale transition énergétique. Je rappelle qu’à
l’époque, celui-ci figurait en toutes lettres dans les fameuses « 110
propositions pour la France » et que la part de l’électricité
d’origine atomique n’était que de 38% ! Comme moi, Hugues Stoeckel
s’insurge des sommes colossales englouties dans la construction des
réacteurs. Si elles avaient été dévolues à celle des éoliennes et aux
économies d’énergie, nos approvisionnements reposeraient largement sur
des ressources régénératives et le casse-tête quant à
l’enfouissement des résidus hyper-contaminés ne se poserait pas.
Pourtant, il égratigne les thuriféraires du tout-solaire. Selon ses
calculs, il faudrait plus de 300 000 kilomètres carrés de capteurs
exposés de façon continue, sans nuages, et perpendiculairement aux rayons
dardés par l’astre du jour pour couvrir la totalité des besoins
mondiaux actuels, dans l’hypothèse la plus sombre où les mieux lotis,
donc nous y compris, ne réfréneraient pas leurs irresponsables habitudes
de gaspillages.

Le coût pour « fabriquer » et transporter les quinze mille
gigawatts de puissance, malaisément stockables en l’état, à répartir
surtout dans les zones désertiques : quelque 600 000 milliards d’euros.
Le délire absolu ! Pour le conseiller municipal de La Petite Pierre [8],
les vecteurs renouvelables ne combleraient jamais la déplétion pas si
lointaine des éléments fossiles pour satisfaire les exigences
surdimensionnées de neuf milliards de terrien-nes à l’horizon 2050.
De quoi susciter débats et controverses ! Le sexagénaire pourfend
l’idée, que j’ai moi-même reprise telle quelle de Jean Ziegler [9],
que l’abondance des denrées vivrières permettrait de nourrir douze
milliards d’individus. Et quand bien même, ne conviendrait-il pas de
juguler l’explosion démographique et de bannir toute « discrimination
positive » envers les familles nombreuses, lesquelles jouissent en France
de privilèges fiscaux pour le moins discutables ? En sus des facteurs
généralement listés par les « lanceurs d’alerte » anti-productivistes
pour expliquer l’accroissement de la famine dans le Tiers-Monde,
l’érudit à contre-courant n’hésite pas à briser un quasi-tabou en y
ajoutant la surpopulation. Car, sans les matières du sous-sol, en instance
de raréfaction, seul un milliard d’êtres humains se sustenteraient à
satiété. À méditer ! Rien qu’en songeant à cet aspect des dégâts
provoqués par le bien mal nommé Homo sapiens, l’urgence d’amorcer une
reconversion mue par une logique radicalement différente vouant les
schèmes de l’ultra-libéralisme aux poubelles de l’Histoire,
s’impose à tout bipède sensé, non ? « L’effet rebond d’une
dénatalité » évacuerait non seulement le spectre d’une pénurie, mais
offrirait également à l’humanité un gain substantiel en espace ainsi
qu’un surcroît d’agrément. L’Alsacien juge sidérant que l’unique
espèce dotée d’un néocortex très développé s’avère incapable de
discerner une limite à sa propre prolifération.

« Gabegies faramineuses »

À l’instar du sociologue helvétique précité, il s’indigne des onze
mille milliards de dollars que les États occidentaux ont réuni sur trois
ans pour sauver du naufrage les parasites financiers après la faillite, le
15 septembre 2008, de la banque Lehman Brothers, officiellement liée à la
« crise des subprimes » [10], alors qu’ils mégotent ignominieusement
pour débloquer les trente milliards qui suffiraient pour éradiquer la
faim, du moins à court terme. Il s’agit donc bien d’un « assassinat » [11] qui frappe trente-six millions de personnes par an (toutes les cinq
secondes, un enfant de moins de dix ans). Que l’accès à la nourriture
constitue une prérogative inaliénable, gravée dans le marbre de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre
1948 à Paris par l’Assemblée générale des Nations Unies, les
spéculateurs et spoliateurs, ivres de cupidité, ainsi que les dirigeants
politiques qui cautionnent leurs criminelles exactions s’en fichent comme
d’une guigne ! La moitié des victuailles produites ne rassasie qu’un
milliard et demi d’individus, soit 22% de la population. 40% des
céréales cultivées et 75% des surfaces arables sont dédiées aux
animaux d’élevage qui finiront en tranches ou boulettes dans les
assiettes des carnivores de l’hémisphère nord.

Par ailleurs, qui avait noté que l’O.N.U avait déclaré 2011 « Année
internationale de la forêt » et que cette dernière est « célébrée »
chaque 21 mars [12] depuis 1972, sous l’égide de l’Organisation pour
l’alimentation et l’agriculture, domiciliée à Rome ? Tous les ans,
environ treize millions d’hectares disparaissent : coupes illégales par
des trafiquants, saccages imputables à l’extraction de l’or et du
cuivre, à la « libération » de pâturages pour le bétail, à la
construction de routes, de barrages, d’oléoducs, ainsi qu’à la
plantation de soja (Argentine Brésil, Paraguay…) ou de palmiers pour
l’huile (Indonésie, Malaisie, Thaïlande…). La déforestation, qui
pèse pour environ 17% dans les émissions de gaz à effet de serre,
impacte très négativement le ruissellement des eaux, accentue
l’érosion des sols, affecte la fertilité de ceux-ci et porte une
atteinte gravissime à la biodiversité. Parmi les solutions susceptibles
d’enrayer les dommages mentionnés en ces lignes et ces « gabegies
faramineuses », le retour à la polyculture avec, à la clé, le recyclage
des déchets organiques, et « la requalification de la production agricole
en service prioritaire excluant toute accumulation de profits », en
boostant l’essor du bio. La réorientation d’un secteur si déterminant
pour notre survie gripperait le business et les stratégies expansionnistes
des grands trusts, lesquels ont inondé le marché de 85 000 substances
chimiques de synthèse. Autre signe de coupable égarement : les
agrocarburants. Ainsi, pour un 4x4 roulant à l’éthanol, un plein de
80 litres engloutit 220 kilos de maïs, l’équivalent de la ration pour
un campesino mexicain durant douze mois.

Il conviendrait de diviser immédiatement par quatre notre « empreinte
écologique » [13] en nous recentrant vers les biens et services vraiment
vitaux. Constatant que la délégation des pouvoirs à des élu-es et
gouvernants qui arrêtent des décisions échappant, pour l’essentiel, au
contrôle des citoyen-nes confine à un « régime oligarchique » [14],
Hugues Stoeckel estime que « tout choix de production devra être validé
en tant que réponse à un besoin prioritaire par l’échelon
approprié ». Il n’oublie pas de critiquer le budget militaire [15] dont
l’objet consiste à « détruire des vies à grande échelle » de même
que le commerce des armes [16], des objections complètement étrangères
aux pontes d’Europe Écologie/Les Verts [17]. Préconisant le
rétablissement de frontières étanches aux capitaux et marchandises afin
d’assécher les paradis fiscaux, il proclame sa foi en « un mondialisme,
nullement antinomique avec le localisme, ni avec la diversité linguistique
et culturelle ». Les dilemmes qu’il énonce ne souffrent aucune
ambiguïté : « la récession sans fin ou l’organisation démocratique
d’une décroissance solidaire, la pénurie belligène ou la sobriété
équitable ». Combien de nos contemporain-es se déclareraient disposés
à accepter un partage authentique, défini comme « la proscription de la
liberté de s’enrichir au détriment d’autrui », et la frugalité comme
« sort commun », à « changer leurs modes de vie à l’aune des
périls » ?...