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Christiane Passevant
Tue ton patron. Putain d’usine 3
Efix - Levaray (Fetjaine)
Article mis en ligne le 23 mars 2012
dernière modification le 11 mars 2012

« En haut de cette tour, du haut de mon mirador, j’observe et je réfléchis à comment faire. Je suis le ver dans le fruit. Patrons, décideurs, entrepreneurs, boss, crapules, tremblez, je vais faire un exemple… » [1]

Le mirador de le plus haut de La défense, on y est… Univers en noir et blanc, avec le rouge parfois qui dégouline du haut d’une fenêtre.

Ouais, qui n’a pas rêvé de flinguer l’autorité méprisante qui soudain décide
de vous supprimer comme on écarte un pion, une larve ?

Efix dessine, se fond dans l’univers de Jean-Pierre Levaray, de l’usine et, cette fois, du centre quasi virtuel du pouvoir. Les tours de la Défense, quel nom ! Et quel décor ! Quartier des courants d’air ou l’hypocrisie le dispute à
l’allégeance. Tout est glauque avec les sourires courtisans et les costumes,
l’accoutrement nécessaire pour travailler dans les arcanes d’un pouvoir économique dans le style « Perds ta vie à la gagner ».

Tout est là dans le dessin d’Efix, les attitudes, les déguisements, les rictus
des décideurs, les tronches, les gestes, en bref, les faux culs de service, les
« Tout pour le patron », les « je-sais-tout et j’en-ai-rien-à-foutre » si vous n’êtes pas le boss, ceux et celles dont les crocs rayent le parquet… Enfin tout un monde qui s’épie, se sourie, prêt à se massacrer si la promo est en vue… Drôle de monde dans lequel évolue l’univers de la com et de la DRH !
Où chacun et chacune se croit investi-e de l’esprit corporate et gardien-ne de la réussite de la boîte ! Une véritable comédie humaine de l’obséquiosité,
du vide et du faux semblant.

Là-dedans, il y a Paul, Paul Laffargue… Non pas celui du droit à la
paresse
 ! Quoique, l’emprunt était tentant. Lui c’est le héros, il est déjà dans une perspective d’action. Depuis un appartement squatté dans le quartier de la Défense, il échafaude des projets de meurtre de son patron, d’un coup à porter contre le système… Mais de la décision à la pratique
individuelle… Toute une histoire !

Inspirée du roman de Jean-Pierre Levaray, Tue ton patron, paru il y a deux ans, la BD impulse un rythme supplémentaire. Une adaptation dont
l’auteur, Levaray, est le scénariste. C’est vrai que cette histoire en image tient du storyboard tant les images se succèdent et se superposent aux mots. Un film pourquoi pas ?

Putain d’usine, par Efix et Levaray (Petit à petit) a déjà fait l’objet d’une adaptation au théâtre et d’un film documentaire de Rémy Ricordeau.
Dans Tue ton patron, l’univers est sombre, avec des silhouettes en ombres chinoises et des gros plans brutaux. Le texte noir s’inscrit en coup de poing et le graphisme change, s’adapte aux dessins, égratigne parfois la composition pour en accentuer la force. De courtes séquences avec chacune un thème, les anecdotes du roman qui s’enchaînent, mais sans le suivre forcément, prenant une liberté pour conter un récit qui prend alors une dimension différente. « Le salariat, c’est la mort »… Normal dans le bouche de Paul Laffargue. Mais les doutes font vite place aux crises de rage et de révolte.

Dans Tue ton patron, il n’y a plus l’usine où rode la mort, l’usine de produits chimiques, similaire à celle d’AZF, où les instants sont tissés d’ennui, d’angoisse et de fatigue... Cette fois, on est côté du pouvoir.
Sinon à de brefs moments de réminiscence. Celui où un ouvrier un peu allumé lui offre le pistolet d’un anarcho-syndicaliste échangé avec un flic en 1939. « Un combattant de la CNT espagnole lui échange contre la promesse de regarder ailleurs pendant son évasion avec trois anars. » Clin d’œil à la révolution espagnole et à la CNT. Le héros accepte et lorsqu’il est victime de l’un des fameux plans de « sauvegarde de l’emploi », il se rebiffe et pense au pistolet. De prédateur, le patron devient soudain gibier. Action directe, violence contre les violences des patrons : « J’ai comme des désirs de meurtres collectifs, de bombes bien placées. Juste se débarrasser d’eux. Casser tout et recommencer autre chose. »

Dans le décor de la Défense, le héros poursuit son projet, échaffaude son plan, passe par plusieurs transformations, rencontre Malika, reste sur ses gardes tout le temps, joue le jeu avec la faune de la tour.
Passer à l’acte ? Il faut attendre le bon moment.

Il n’est pas dupe : « Je pense à ces ouvriers qui ont séquestré leur boss, à ces Indiens qui l’ont carrément tué.

Un jour, peut-être qu’un patron défoncera la baie vitrée de son bureau, lancé par des ouvriers excédés. »

« Ce jour-là, la terreur changera de camp. »