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Nestor Potkine
La Vérité : solide ou liquide ?
Article mis en ligne le 31 mars 2011
dernière modification le 5 février 2011

Trust us, we’re experts. How industry manipulates science and gambles with your future, soit Faites-nous confiance, nous sommes des experts. Comment l’industrie manipule la science et joue avec votre avenir, de Sheldon Rampton et John Stauber (Tarcher Putnam).

Par Nestor Potkine, admirant la solidité de M. Sandman et les liquidités de Rio Tinto

LA VERITE : SOLIDE OU LIQUIDE ?

À un journaliste qui lui posait une embarrassante question, « si on vous laisse le choix, qui servez-vous, votre client ou la vérité ? », John Scanlon, un spécialiste de la communication qui a travaillé pour les marchands de tabac, répondit : « Vous essayez toujours, vous servez toujours la vérité. Mais… la vérité est souvent, vous savez, elle n’est pas toujours un solide. Elle peut être un liquide. Ce qui semble être vrai ne le reste pas toujours quand nous l’observons, quand nous le disséquons, quand nous le regardons sous un autre angle… De quelle vérité parlons-nous, votre vérité ou ma vérité ? »

Il ne s’agit là que de l’une des nombreuses merveilles de Trust us, we’re experts. How industry manipulates science and gambles with your future, soit Faites-nous confiance, nous sommes des experts. Comment l’industrie manipule la science et joue avec votre avenir, de Sheldon Rampton et John Stauber (Tarcher Putnam). Avec clarté, avec sérieux, avec esprit, ce livre expose les méthodes par lesquelles l’industrie ment, par lesquelles elle nous fait prendre des vessies pour des lanternes ; l’amiante pour du sucre candi, la silicose pour un rhume, et le réchauffement climatique pour la majestueuse succession des cycles cosmiques. En effet, l’industrie n’utilise plus, ou plus guère, de méthodes aussi éhontées que celles de la Standard Oil de 1924.

Au fait que, dans l’usine qui produisait le plomb destiné à devenir l’additif de son essence, 5 ouvriers soient morts en cinq jours et 35 autres soient frappés de « démence sévère », Standard Oil répondit, par la bouche de superviseurs, que « ces hommes sont devenus fous probablement parce qu’ils travaillaient trop dur. » Une usine similaire, pour Du Pont de Nemours, reçut un nom poétique : « la maison des papillons ». Car l’un des signes de la démence sévère induite par l’empoisonnement au plomb est une hallucination visuelle, souvent interprétée par ses victimes comme une masse de papillons.

Non, la modernité, la pointe du progrès, est bien plus sophistiquée : prenons l’exemple de Peter Sandman, un « spinmaster » (maître mystificateur), tentant de rabibocher l’image des grandes compagnies minières en Australie. Rampton et Sauber ont repris une présentation
qu’il donna en 1998 devant 400 grands pontes des plus importantes compagnies minières mondiales, lors de l’Annual Environmental Workshop of the Mineral Council’s of Australia. Il expliqua doctement, et publiquement, à ces amis de l’environnement qu’un produit ou une compagnie doivent être perçus comme l’un des grands archétypes humains. Par exemple, « le Héros ». Le héros, celui qui ramène au camp les richesses du monde. Mais, note Sandman, cela fait des décennies que vous jouez ce rôle, et ça ne marche plus.

Alors, « David contre Goliath » ? David, vous Rio Tinto (des milliards et des milliards de dollars dans l’or, l’uranium, l’aluminium, etc.) contre le méchant Goliath, les titanesques écologistes ? Mmmm… ça ne marchera pas.

Tiens, et si vous essayiez « le Pécheur Pénitent » ? Non, ça ne marchera pas non plus, vous êtes trop vus comme des menteurs (évidemment, Sandman ne l’a pas dit comme ça).

Non, ce qu’il vous faut, c’est « le Monstre Encagé ». Sandman expliqua :
« le Monstre Encagé » consiste à ne pas prétendre que vous allez mieux vous conduire parce que la grâce écologiste, humaniste, socialiste vous a touché. Non, cela consiste à prétendre que les écologistes ont gagné, que les peuples primitifs dont vous saccagez les terres ont gagné, que les règlementations ont gagné ; cela consiste à admettre que vous en êtes malheureux, mais que à présent, malheureux ou pas, vous êtes forcé, coincé, contraint de bien vous tenir.

Citons-le verbatim :

« Vous avez deux posture possibles. Soit vous êtes libres de violer et de piller autant que vous le voulez, mais par bonheur vous n’en avez pas l’inclination. Ou alors vous en avez l’inclination et vous continueriez volontiers à violer et piller si vous en aviez la possibilité, mais par bonheur vous ne pouvez plus le faire sans en être puni. (…) Je crois que c’est la seconde attitude qui est la vôtre, et je suis certain que cette seconde attitude est vendable. Je n’arrive pas à imaginer pourquoi vous insistez tant que c’est la première qui est la vraie, excepté que c’est celle qui ménage votre amour-propre, qui diminue votre propre indignation. Mais encore une fois, quelle indignation voulez-vous vraiment diminuer ? La vôtre, ou celle de vos critiques ? Que voulez-vous, marquer des points ou vous enrichir ? »