Le 24 août 2009, Rafael Spósito — alias Daniel Barret — s’est éteint à l’âge de 57 ans, à Montevideo (Uruguay), dans le quartier d’El Cerro.
Si ce camarade est peu connu en Europe, son nom était familier pour nos compagnons latino-américains. Daniel Barret, à la vie militante largement remplie, se distinguait par sa capacité à analyser le continent latino-américain et l’évolution du mouvement anarchiste. Sociologue et militant dans son association de quartier, il participa à divers regroupements libertaires en Uruguay, dont la Fédération Anarchiste Uruguayenne, même s’il s’en éloigna ensuite, critiquant la notion d’"anti-impérialisme" et le concept pseudo-libertaire de "pouvoir populaire", si utile à la gauche institutionnelle sud-américaine. Il participait à la vie de la revue El Libertario de Caracas et salua en 2007, les positions prises par l’IFA contre la "Révolution bolivarienne" du Vénézuela.
S’il fut l’auteur prolixe d’une centaine d’articles, brochures, livres écrits sous divers pseudonymes, de textes trop peu diffusés en dehors du "mundillo" latino-américain, ce fut toujours dans un but pédagogique, mais sans concessions pour le gauchisme, parasite de l’anarchisme latino-américain. Selon lui, l’anarchisme devait se livrer à une critique radicale du pouvoir et garder une éthique intransigeante de la liberté. Le texte qui suit est un hommage à ce camarade disparu.
Daniel
« Mais la clé du changement social et les sujets révolutionnaires par excellence, en consonnance avec un horizon qui se propose d’abattre toutes et chacune des relations de domination, ne peut se trouver autre part que dans les mouvements sociaux de base qui se constituent, en leur conscience et dans leurs luttes, comme d’authentiques alternatives au pouvoir. Mouvements partout, d’origines diverses et avec leurs propres péripéties : l’héritage du vieux mouvement ouvrier, bien sûr, dans ses syndicats, ses coopératives et ses comités de gestion ; mouvements de chômeurs qui ont été expulsés du monde du travail et à qui maintenant l’État et le capital ne peuvent offrir aucune réponse ; les successeurs contemporains, aussi, de cette clarté estudiantine qui proclamera à Cordoba (Argentine), en 1918, l’heure de l’insurrection et qui maintenant peuvent se rejoindre avec d’autres mouvements de jeunesse de diverses origines ; communautés indigènes qui, toujours et avec plus de force persistent dans leur résistance séculaire ; mouvements de paysans qui lancent leurs cris pour conquérir la terre afin de la travailler et pour la liberté ; groupements urbains et conseils de voisins d’orientation "municipaliste" qui réclament un espace de décision qui leur soit propre
et formulent leur vocation à administrer les villes de ce continent ; mouvements, enfin, écologistes, de femmes, de jeunes, des droits humains, antimilitaristes, de contestation culturelle, etc...
Autant d’espaces de recherche, d’élaboration, d’antagonisme et depuis lesquels animer des pratiques d’agitations, recréer des projets alternatifs et mettre l’accent sur des orientations vers un changement social révolutionnaire. S’il est toujours possible de parler de sujets, on ne peut pas faire moins que de les trouver dans cette trame dense et horizontale de mouvements qui, d’une façon ou d’une autre, expriment les possibilités de ce qui prend de l’ampleur et des dérives libertaires qui s’y trouvent.
Associés aux mouvements sociaux de base, constitués fondamentalement et normalement à partir d’une certaine condition commune, se forment aussi divers types de regroupements, inspirés habituellement par des définitions idéologico-politiques et des projets plus sélectifs et avec un rayon d’influence plus important de discours et d’action.
Ces regroupements sont essentiels dans n’importe quelle étape de changement social révolutionnaire ; ils peuvent s’en éloigner avec leurs décisions, lui apporter ses propres contenus et lui offrir ses énergies militantes. Mais si le changement social révolutionnaire doit avoir un signe distinctif et une orientation de type libertaire, il est utile que ces regroupements ne prétendent pas s’attribuer à eux-mêmes un rôle d’avant-garde ou de conduite incontestable ni ne se proposent comme la conscience externe avancée des mouvements sociaux de base.
Ces regroupements ont un champs spécifique d’actions et des tâches qui leurs sont propres, que les mouvements sociaux de base ne sont jamais en condition d’assumer ; mais il est vital que cela n’implique pas la substitution des uns par les autres et non plus l’adoption d’un schéma suivant lequel ces derniers ne seraient rien de plus que la courroie de transmission des premiers. Avant cela, ces regroupements réalisent leur meilleure contribution quand ils se conçoivent eux-mêmes comme des instances de soutien et d’appui ; avec des objectifs particuliers et bien délimités , respectables de façon exhaustive, mais toujours quand ils démontrent qu’ils sont capables de mettre leur patrimoine révolutionnaire accumulé à disposition des mouvements sociaux de base, de favoriser le renforcement de ces derniers sans renoncement et de les potentialiser tout en ne renonçant pas à leur propre rôle ».
Rafael Spósito (1952 - 2009)