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Jean-Marie Muller
Le meurtre est la question posée
Article mis en ligne le 13 mai 2008
dernière modification le 22 février 2024

« Nous ne saurions rien, écrivait Albert Camus, tant que nous ne saurons pas si nous avons le droit de tuer cet autre devant nous ou de consentir qu’il soit tué. […] Le meurtre est la question. »

« […] Je partage totalement l’affirmation selon laquelle le peuple palestinien a droit à la solidarité de tous ceux qui ont le souci de la justice. […] Á l’évidence, le peuple palestinien est victime de l’occupation et de la colonisation mises en œuvre par l’État d’Israël avec la complicité de la communauté internationale. Mais, aujourd’hui, notre analyse doit aussi être fondée sur un autre fait non moins incontestable : aucune solution ne pourra être élaborée sans qu’il soit tenu compte de la présence sur cette même terre de Palestine du peuple israélien. Cela non pour des raisons de droit, mais pour des raisons de fait. […]

 » Ce ne sont donc pas les exigences de la justice, mais les contraintes de l’histoire qui doivent nous conduire à accepter le fait accompli de la présence des Israéliens en Palestine. […]

 » Dès lors, “le principe de réalité” doit s’imposer et permettre de discerner le désirable, le possible et l’impossible. Le drame, c’est qu’il subsiste encore, parmi les Palestiniens, une forte minorité qui refuse toute coexistence avec Israël. Au demeurant, une minorité analogue subsiste également en Israël qui refuse la coexistence avec la Palestine. […]

 » La paix ne sera possible que lorsque Israël aura reconnu toutes les injustices et toutes les souffrances que “le fait accompli” de leur présence en Palestine aura causé aux Palestiniens. […]

 » Un autre principe majeur doit fonder notre analyse : aucune solution imposée par la violence n’est et ne sera possible. […]

 » Mais le fait demeure que la résistance palestinienne s’enferme elle-même dans une impasse pour autant qu’elle croit encore devoir recourir à la violence. […]

 » Or le réalisme nous oblige à reconnaître que cette violence est parfaitement contre-productive. In-opérante. Im-puissante. In-efficace. La violence palestinienne ne peut avoir pour effet que de provoquer et de justifier une violence israélienne extrême. […]
 » Nous concluons un marché de dupes lorsque, sous prétexte d’être solidaires de la résistance des Palestiniens, nous feignons d’affirmer notre solidarité avec leur violence. S’accommoder de cette violence, ce n’est pas être solidaire de la résistance des Palestiniens, c’est être complice de leur malheur. […]

 » … les Palestiniens ont perdu la guerre. Quand la guerre est perdue, il ne sert à rien de vouloir la continuer. […] Cela étant, les Israéliens n’ont pas gagné la paix. Pour cela, il leur faut d’abord reconnaître les droits inaliénables des Palestiniens à vivre sur leur terre. […]

 » Cela étant, nous ne saurions dénier toute responsabilité aux Palestiniens dans les affrontements fratricides… […] Quand des Palestiniens tuent d’autres Palestiniens, que devient notre solidarité ? N’est-elle pas aussi dérisoire qu’impuissante ? Aussi inconvenante qu’inopérante ? […] Comment être solidaire du meurtre fratricide ? […]

 » En définitive, il me semble que l’urgence absolue, c’est que les Palestiniens décident de renoncer à la violence. […] Nul doute que ce renoncement à la violence ferait apparaître la cause palestinienne dans toute sa clarté aux yeux de l’opinion mondiale et vaudrait aux Palestiniens une solidarité internationale sans commune mesure avec ce qu’elle est aujourd’hui. […]

 » Chacun reste dans sa logique qui est la logique de la violence. Une logique de mort. Et chacun dira qu’il n’a pas d’autre choix. Que ce choix lui est imposé par le choix de l’autre. C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux. […]

 » Le délaissement unilatéral de la violence de la part des Palestiniens n’apparaîtrait pas comme un acte de faiblesse, mais comme un acte de force. Reconnu comme tel, il prendrait complètement à contre-pied l’État d’Israël dont la puissance militaire, qui constitue toute sa force dans un affrontement violent, deviendrait inutile. Cela aurait également l’avantage de permettre aux réseaux israéliens et juifs de militant(e)s pour la paix d’étendre largement leur audience au sein de la société civile d’Israël et dans le monde. Cela pourrait s’avérer décisif. Car la violence israélienne est aussi un processus suicidaire. […]

 » Reconnaître la responsabilité palestinienne dans la tragédie de la violence, ce n’est pas minimiser la responsabilité israélienne. L’une et l’autre n’obéissent pas au principe des vases communicants. […]

 » Les militants pro-Palestiniens s’indignent de l’indifférence de la communauté internationale sans comprendre que, pour une large part, cette indifférence se nourrit précisément de la violence palestinienne. L’idée prévaut au sein de la majorité silencieuse qu’“il faut bien qu’Israël se défende”. […]

 » Pour autant, ce renoncement à la violence devrait être tout sauf un renoncement à la résistance. […]

 » … le choix du renoncement à la violence […] parce qu’ils ont conscience qu’une telle affirmation les rendrait suspects, aux yeux de beaucoup des leurs, d’être traîtres à la résistance palestinienne. […]

 » Il faut ici prendre en compte le fait que […] s’est développée une véritable « culture de violence » au sein du peuple palestinien. Le recours à la violence appartient à son imaginaire.] [La tâche, mais elle est gigantesque, est donc de déconstruire cette culture de violence et de construire une culture de non-violence. […]

 » Est-ce possible ? […]

 » Cependant, l’action non violente remarquable menée par les habitants de Bil’in constitue un réel espoir. […]

 » J’ai bien conscience que ce discours sur le renoncement à la violence est difficilement audible pour un grand nombre des militants pro-Palestiniens français. […]

 » Les revendications mises en avant par la Plate-Forme des ONG françaises pour la Palestine sont toutes justifiées en théorie. […]

 » Cela étant, il reste que les objectifs avancés par la Plate-Forme sont justes au regard du droit international. Par principe, le respect de ces exigences formulées par les Palestiniens ne dépend pas de la décision des Palestiniens, mais de la décision des Israéliens. Les Palestiniens sont les demandeurs, les Israéliens sont les décideurs. Ce qui appartient aux Palestiniens, c’est de décider quelles sont les initiatives qu’ils peuvent prendre pour créer les conditions politiques qui permettraient de réaliser ces objectifs. Doivent-ils, pour cela, recourir à la violence ? Les faits ont déjà apporté une réponse négative à cette question. Et, comme nous le savons, les faits sont têtus. La réponse des faits, c’est non seulement que la violence ne fait pas progresser la justice, mais qu’elle la fait reculer. Le renoncement à la violence apparaît donc comme l’une des conditions sine qua non pour atteindre ces objectifs. Mais le renoncement à la violence, au-delà de son impact immédiat sur l’opinion publique, ne pourrait se suffire à lui-même. Il permettrait précisément d’inventer et d’expérimenter les méthodes d’une stratégie de résistance non violente. […]

 » Les Palestiniens qui la choisiront peuvent espérer poser des jalons qui seront utiles quand crimes et ruines auront suscité, face au désastre, une prise de conscience mondiale. […]

 » Et chacun des deux camps ennemis va continuer à justifier ses meurtres par ses morts. […] »

Jean-Marie Muller, 7 mars 2008.


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