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Nestor Potkine
De la noblesse française en 2005
Article mis en ligne le 30 juin 2007
dernière modification le 19 juin 2007

QUE LES GROS SALAIRES BAISSENT LA TETE
JEAN-LUC PORQUET
Editions Michalon

Depuis la nuit du 4 août 1789, les privilèges de la noblesse sont éteints. Correct ? Non ? D’accord : le nabot meurtrier, puis Louis et Charles, puis La Poire, puis Badinguet. Reprenons : depuis le 4 septembre 1870, les privilèges de la noblesse sont éteints.

Mais si la noblesse, celle à parchemins, n’a plus de droits particuliers, alors, pourquoi ces ducs, ces princes, ces grands feudataires quasi-souverains, rebaptisés du vilain mot de « pédégé » ? Car ce sont eux les nouveaux Grands Hommes dans l’Etat, eux les puissants devant qui l’on tremble, les hommes à suites, les hommes à serviteurs, les hommes dont un mot décide du destin de milliers, de centaines de milliers d’autres. Les ducs et les princes, en 1250, avaient droit de vie et de mort sur leurs serfs. Les pédégés, en 2005, décident de l’emploi de dizaines de milliers de personnes, ils décident que tel lieu recevra tel ou tel poison, qu’en tel lieu on se livrera à telle ou telle activité, ils financent les guerres et paient leurs intendants, George B. ou Jacques C., pour mater la canaille. On objectera la différence principale entre les ducs et les pédégés : les premiers naissaient ducs et ne perdaient jamais cette qualité, tandis que l’on n’est pédégé que quelques années, après avoir travaillé très dur très longtemps (surtout si l’on s’appelle /Arnaud/ Lagardère ou /Edouard/ Leclerc ou /Serge/ Dassault) et l’on passe ces années à trembler qu’un conseil d’administration houleux ne vous licencie.

Voire.

Le livre plus qu’utile de Jean-Luc Porquet « Que les gros salaires baissent la tête » aux Editions Michalon (18 euros) rétablit la vérité.

Jean-Luc Porquet a un esprit logique, qui se retrouve dans la composition de ses livres. Il commence donc par exposer la situation ; voyez le titre du chapitre 2 « Comment en vingt ans, ils ont multiplié leurs salaires par vingt ». Ce qui, certes, appelle une justification. Porquet en a remarqué 8 (aussi peu valables les unes que les autres, mais très fréquemment utilisées quand même) qui feront chacune la matière d’un chapitre : J’ai 150 000 personnes sous mes ordres, je le mérite bien, je prends des risques, je suis rare donc cher, parce que ça stimule, Zidane gagne plus que moi, les impôts me prennent tout, si vous insistez je déménage. La manière efficace dont Porquet démolit chacun de ces arguments idiots, comme s’ils étaient Berlin en 1945 et lui Joukov commandant à des divisions entières de sarcasmes, de remarques pertinentes, de chiffres impitoyables, est de loin ce qu’il y a de plus savoureux dans ce livre déjà bien mené de bout en bout. Les dix chapitres suivants traitent des petites astuces du métier, telles que le « golden hello » ou le « comité de rémunération ». Ensuite, Porquet explique « Comment changer un peu pour que rien ne change », soit les cinq opérations cosmétiques par lesquelles le club des cinq millions d’euros par an protège son gagne-pain (cinq millions d’euros, c’est le bas de la pile. En haut, c’est vingt millions d’euros. Toujours par an.) Enfin, parce que la tradition a du charme, voici, groupés sous « Et ça continue ! » les quatre derniers chapitres : de la propagande, des héritiers, de l’inégalité, de la technostructure. Dans la conclusion, Porquet, sans doute légèrement agacé par ses lamentables sujets d’étude, les fait parler : « Voulez-vous le fond de notre pensée, en un mot ? Le voilà ; si nous touchons des sursalaires, c’est que nous sommes des surhommes. Et si vous touchez si peu, c’est que vous êtes des sous-hommes. Des sous-hommes trop payés pour ce qu’ils font, d’ailleurs ! Méritez-vous vraiment votre paye ? Vous devriez vous interroger. Etes-vous sûrs que ce n’est pas vous, la multitude des salariés, qui êtes des privilégiés ? Avouez-le : c’est vous qui gagnez trop, qui campez sur vos acquis, sur vos minima sociaux, vos retraites garanties et vos soi-disant droits sociaux arrachés par vos luttes ! (...) Mettez-vous bien ça dans la tête : vous êtes libres dans l’isoloir, libres devant la télé, libres dans les allées des supermarchés. Voilà qui devrait vous suffire. »

Nestor Potkine