Conférence donnée le 7 décembre 2006 à la librairie Résistances, à Paris. Tanya Reinhart en était l’invitée avec son compagnon, le poète Aharon Shabtai.
(Traduction, présentation, notes et transcription Christiane Passevant)
Dans la situation mondiale actuelle, une des questions essentielles est : Comment faire face aux États criminels qui bafouent les lois internationales ? Il est clair qu’Israël est un de ces États qui viole régulièrement toutes les lois internationales.
Il y a deux ans, la cour internationale de justice a condamné la construction d’un mur de séparation jugé contraire aux lois internationales et soulignait que, si Israël voulait construire ce mur, cela devait se faire sur son territoire, à l’intérieur de ses frontières et non sur les terres palestiniennes.
En 2005, Israël a évacué les colonies de peuplements de Gaza et a signé un accord donnant le libre accès à la population palestinienne de Gaza à la Cisjordanie, à L’Égypte et à la Jordanie. Israël n’a respecté aucune des clauses de cet accord et a fait de la bande de Gaza une prison à ciel ouvert.
Pendant l’été 2006, sous prétexte d’une provocation locale, Israël a brutalement attaqué le Liban, détruit les infrastructures du pays et ravagé tout le Sud en expérimentant des armes nouvelles, mais personne n’a tenté de d’arrêter cette attaque et ces destructions. De toute évidence, Israël est un danger pour la paix dans le monde, et nous ne sommes pas seul-e-s à le dire. À ce propos, dans un sondage effectué auprès de la population européenne, Israël venait en tête de liste des pays dangereux (53 %), bien avant l’Iran et la Corée du Nord.
Dans un monde soucieux de justice, la conduite d’un tel État aurait déjà été sanctionnée pour avoir bafoué le droit international comme d’ailleurs d’autres pays l’ont été. Pourtant ce sont les Palestiniens qui sont sanctionnés avec un boycott des aides qui les affame depuis janvier 2006.
Il y a un an et demi, le monde occidental se félicitait de la démocratie mise en place en Palestine avec l’organisation des élections. Après la disparition d’Arafat, enfin la démocratie était possible en Palestine ! Jimmy Carter témoigna dans l’Herald Tribune que les élections s’étaient déroulées démocratiquement, dans la transparence, que la victoire des urnes était reconnue par l’ensemble de la population, y compris par ceux qui les avaient perdues. Il serait impensable ailleurs de sanctionner des élections faites dans les mêmes conditions. Mais Israël dicte et les autres pays obéissent, répétant que les Palestiniens doivent remplir trois conditions. Première condition : le Hamas doit renoncer à la violence. Une exigence difficile à comprendre puisque tout le monde a constaté que le Hamas a respecté une trêve d’un an et demi. Le Hamas s’étant justement engagé à remplacer la lutte armée par la lutte politique et le processus électoral. Depuis février 2004, le Hamas a respecté la trêve et n’a pas mené d’actions terroristes. De source israélienne, le Hamas n’a pas participé au lancement de roquettes Qassam, sauf pour répondre aux attaques israéliennes durant l’été 2006. Seconde condition : le Hamas doit reconnaître tous les accords conclus entre Israël et l’Autorité palestinienne, notamment les accords d’Oslo. S’agissant de ces accords, le Premier ministre palestinien, Ismaël Haniyeh a déclaré au Washington Post qu’il fallait garder en mémoire, si l’on se réfère aux accords d’Oslo, que ceux-ci stipulaient, en 1993, la création d’un État palestinien en 1998. Or, depuis les accords d’Oslo, Israël a doublé le nombre de ses colonies dans les territoires occupés, et annexé davantage de terres palestiniennes en expropriant des Palestiniens. Israël n’a donc, pour sa part, respecté aucun des accords. Troisième condition : reconnaissance d’Israël par le gouvernement du Hamas. Mais s’il y a reconnaissance, elle doit être mutuelle. En 1988, pendant la conférence d’Alger, les Palestiniens ont approuvé la solution de deux États, ce qui signifiait accepter que la Palestine soit reconnue sur les 22 % de son territoire initial - c’est-à-dire reconnaître l’État d’Israël dans les frontières de juin 1967. En revanche, Israël n’a jamais reconnu les droits des Palestiniens dans les 22 % de la terre initiale. Les Palestiniens ont déjà fait des concessions pour la paix, c’est à Israël d’œuvrer pour une reconnaissance mutuelle.
Pour revenir aux élections, il n’est pas question d’amalgamer le choix de vote et la religion. À l’heure actuelle, seul le tiers des Palestiniens est musulman pratiquant. Pour la majorité, le vote ne repose pas sur des convictions religieuses. La volonté de la population palestinienne a été d’élire un gouvernement qui puisse mettre fin à l’occupation. Le véritable enjeu est de changer les conditions de vie et une situation de plus en plus insupportable. Le gouvernement précédent a échoué dans sa mission de mettre fin à l’occupation.
Le gouvernement du Hamas représente la volonté du peuple palestinien et ses représentants disent aux autorités israéliennes : « Vous n’avez discuté que des enjeux liés à la sécurité d’Israël et des intérêts de votre pays avec vos partenaires palestiniens. À partir de maintenant, notre gouvernement représentera les intérêts de la population palestinienne comme vous ceux de la population israélienne. »
Au-delà du Hamas et de sa politique, il se passe aujourd’hui une chose inimaginable. Le peuple palestinien subit un véritable étranglement et est poussé à la famine par le monde. Israël a confisqué les droits de douane appartenant aux Palestiniens avec l’assentiment international. Mais bien pire encore, l’Union européenne qui était une source importante d’aide a annoncé avoir gelé celle-ci, y compris l’aide octroyée aux associations non gouvernementales qui travaillent avec la population sur place.
Il faut comprendre que cet argent européen ne dépend pas de la charité. Selon la convention de Genève, il incombe à l’occupant d’assurer la survie et la santé de la population occupée. Israël ayant refusé d’appliquer la convention de Genève, l’Union européenne se substitue à Israël et assure à sa place le devoir de l’occupant. L’Europe ne peut donc pas se déclarer libre de ces obligations. À l’inverse de ce qui est dit, l’Union européenne a cette responsabilité puisqu’elle accepte qu’Israël ne remplisse pas un rôle établi par la convention de Genève. Les conséquences de ce blocus européen sont dramatiques et touchent, en premier lieu, les services de santé. Le non-paiement des salaires entraîne l’effondrement d’une économie déjà dépendante. À Gaza, c’est encore pire, les conditions sanitaires sont inexistantes, il n’y a pas d’électricité, de ramassage d’ordures, le système de santé est inopérant. Les gens meurent tous les jours faute de soins en raison des sanctions des puissances occidentales. Les élections palestiniennes et la victoire du Hamas sont le prétexte pour continuer une politique israélienne de plus en plus dure vis-à-vis de la population sous occupation.
Israël prétend n’avoir aucun interlocuteur palestinien, Arafat n’était pas un interlocuteur valable, Mahmoud Abbas non plus et maintenant le Hamas est rejeté. Israël joue avec la vague états-unienne d’islamophobie et utilise ce courant afin de poursuivre le harcèlement de la population palestinienne.
Israël n’a pas l’intention de rendre les territoires palestiniens occupés, donc son unique politique est de désespérer les Palestiniens par la terreur, la destruction et leur faire accepter l’occupation comme la futilité de leur existence. Pour y parvenir, il faut détruire le système social et politique, le gouvernement, les institutions et les infrastructures de la société palestinienne. Tous les territoires occupés doivent devenir une prison à ciel ouvert comme la bande de Gaza. Tout est fait pour que la Cisjordanie soit dans la même situation, gérée par des collaborateurs en accord avec l’État d’Israël.
Il faut le savoir, ceci se passe avec l’aide et la collaboration de l’Europe. Il n’est pas seulement question de l’ignorance et du laisser-faire de l’Europe vis-à-vis des habituelles violations israéliennes, il est à présent question de collaboration active de l’Europe. C’est l’Europe, avec les Etats-Unis et Israël, qui affame les Palestiniens, brise la résistance palestinienne, détruit leur système politique et permet le bombardement des populations civiles. J’insiste sur les conséquences car il est de la responsabilité de tous les individus de faire pression sur le gouvernement français, sur le Parlement européen pour lever les sanctions à l’encontre de la population palestinienne. Les sanctions doivent s’appliquer à Israël et non aux Palestiniens.
Que pouvons-nous faire ? Si cette période paraît particulièrement désespérée, il ne faut pas se décourager. Dans mon livre, L’Héritage de Sharon, j’explique que ces trois dernières années ne sont que victorieuses pour la politique israélienne de Sharon. Pendant cette période, l’opposition à la politique israélienne s’est amplifiée dans l’opinion publique mondiale même si cela ne transparaît pas dans la politique des gouvernements ou dans les médias. En dépit des pressions du lobby israélien, du silence des médias et du chantage à l’antisémitisme, tous les sondages effectués montrent que les populations sont contre la politique israélienne. Dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis, Israël est le pays le plus haï. La propagande a échoué car elle n’a pas réussi à influencer la conscience des opinions publiques internationales. Les notions de justice, de loi internationale, de solidarité avec les opprimés, n’ont pas disparu des consciences. L’évacuation des colonies de peuplements de Gaza s’est faite sous la pression des Etats-Unis. Je suis convaincue que notre lutte a un effet, pas sur les gouvernements, mais sur l’esprit des individus. Nous représentons la majorité des gens. Cette lutte semble parfois futile, mais elle est très importante et elle a des effets. Si la cause palestinienne connaît des moments difficiles, elle ne disparaîtra pas, nous finirons pas gagner.