DE PELLOUTIER A HITLER suite
conclusions provisoires

Après avoir travaillé sur l‘histoire des syndicalistes, des anarchos-syndicalistes et même de certains anarchistes qui ont collaborés avec le régime de Pétain :
j’essaie ici une interprétation.

Elle est certainement fragile, anachronique, mais elle s’appuie sur une expérience personnelle du syndicalisme (syndicat du commerce CFDT dans les années 1980).

Par ailleurs, ces constatations dépassent le syndicalisme et peuvent englober beaucoup de démarches militantes, politiques ou associatives.

J’émets plusieurs hypothèses qui ne se contredisent pas, mais sont peut-être cumulables :

1° La professionnalisation syndicale
2° Le dévouement qui autorise le pouvoir
3° La concertation avec l’ennemi de classe
4° L’anticommunisme des années 30
5° Le pacifisme après la guerre de 14
+ L’opportunisme et l’antisémitisme.

1° La professionnalisation
Si vous vous spécialisez dans un domaine du syndicalisme, par exemple le juridique, l’économie, les relations internationales…, vous devenez vite indispensable, professionnel, reconnu par vos pairs, avec un réseau de relations. Permanent, vous vous éloignez de la condition ouvrière ou salariée et il devient difficile de « retourner à la base ». Délégué élu ou mandaté, vous devez alors vous représenter à chaque fois pour conserver votre poste. Tous les systèmes de représentation vont jouer avec cette ambiguïté. Comme il n’y a pas assez de candidats qui ont de l’expérience, on reprend les mêmes. Il n’y a plus de rotation des mandats ou de nouvelles candidatures qui émergent.

2° Le dévouement.
Plus que l’intérêt privé c’est le dévouement qui me semble être l’élément le plus important dans cette démarche de délégation syndicale. Vous « défendez » d’autant plus la condition ouvrière ou salariale que vous vous éloignez matériellement. Mais ce dévouement du permanent l’autorise, puisqu’il « sait », à prendre sur ses mandants une forme de pouvoir, considérés comme « ne sachant pas ». Vous pouvez en arriver à les trouver amorphes, indifférents, spontanéistes, dilettantes… pendant que vous vous battez pour les défendre.

3° La concertation.
Vous êtes alors amené à mener des négociations avec le patronat, ses juristes, ses avocats… ses représentants. Ce qui veut dire discuter, mais aussi déjeuner dans de beaux bureaux moquettés avec des gens importants qui flattent votre égo en vous acceptant comme un interlocuteur valable, voire raisonnable. Vous pouvez à juste titre, vu votre représentation syndicale, votre poids, vous sentir faire partie du même monde au moment même où vous vous éloignez du vôtre.

4° L’anticommunisme.
Le syndicalisme que vous défendiez avant la guerre de 14, celui de la charte d’Amiens et de l’autonomie syndicale par rapport aux partis politiques, est remis en cause très violemment par le communisme qui apparait, après 1920, comme utilisant le syndicalisme comme une courroie de transmission pour le Parti. Avec la mainmise du PCF sur la CGT vous vous retrouvez minoritaire dans un syndicat que vous considériez comme le vôtre. Votre anticommunisme vous amène à considérer l’indépendance syndicale face aux partis politiques comme une neutralité syndicale face à l’État.

5° Le pacifisme après la guerre de 14.
Vous étiez sorti de la boucherie de 14 fermement décidés à ne plus jamais soutenir la guerre, quelle qu’elle soit. Vous avez donc soutenu les accords de Munich (avec le néosocialiste Déat) en 1938. Or, un an plus tard, vous voyez les bellicistes du PCF se targuer de pacifisme après la signature du pacte germano-soviétique. Ce brusque virage ne fait que vous conforter dans un pacifisme intégral.

Nous avons donc les 5 éléments qui vous ont construits avant l’effondrement de 1940.

On peut y rajouter une pincée d’opportunisme, car après tout, si l’ennemi social vous propose le Ministère du Travail ou une délégation institutionnelle quelconque pourquoi la refuser.

Et si on y rajoute l’antisémitisme de certains d’entre vous, comme un René Chateau ou un Francis Delaisi…
Voire un attrait ancien pour le fascisme italien comme un Hubert Lagardelle…
Ou pour un rapprochement avec Allemagne comme un Maurice Wullens…
Alors je crois que tout est réuni pour la collaboration avec Pétain et Laval.

Et là, vous allez avaler des couleuvres.
Et là vous finirez dans les poubelles de l’Histoire.

Caillou, 20 mai 2025