
Lire Houris de Kamel Daoud aura été pour moi une épreuve. C’est un texte embrouillé construit comme un labyrinthe dans la nuit. Les allers et retours entre les effets et les causes du récit en rendent la lecture difficile et, pour moi, souvent ennuyeuse. Je ne sais pas qui parle et à qui et ce n’est que petit à petit que la lumière se fait.
Le livre est en 3 parties.
La première partie nous présente une jeune femme muette car mal égorgée lorsqu’elle était enfant.
Daoud veut certainement nous faire rentrer dans la confusion et la colère de cette femme, mais les cinquante premières pages donnent souvent envie de reposer le livre et d’arrêter une lecture trop fastidieuse.
Il y a des choses que Dieu nous interdit : enterrer les morts, gémir sur une tombe, égorger une bête de sacrifice, hériter d’une part égale à celle de l’homme, s’épiler pendant le mois du jeûne, montrer ses bras nus ou encore élever la voix, chanter dans la rue, fumer des cigarettes, boire du vin, répondre aux coups de pied. (Page 257)
Toutefois on comprend très vite que c’est un livre qui prend position pour les femmes algériennes. C’est très courageux pour un homme comme Kamel Daoud d’écrire un livre en se positionnant comme femme dans un monde d’hommes, en prenant le parti des femmes soumises à la dictature des hommes. C’est l’ennemi commun, l’islamisme qui rend cette position possible. Mais c’est vraiment fort.
Houris montre que la défaite militaire des islamistes algériens s’est transformée en victoire culturelle. C’est ce qu’écrivait Gramsci, je crois. Le fascisme, et là le mot n’est pas galvaudé, des imams et de leurs fidèles contre les femmes et tout ce que ne rentre pas dans leurs façons de vivre est massif, permanent. Ils n’ont pas pris le pouvoir d’État, mais le pouvoir sur le peuple. Cette confusion entre Islam et Islamisme est maintenant entrée dans les comportements quotidiens de millions d’Algériens et d’Algériennes.
Une fille qui serait allée parler, parler, parler un million et demi de nuit sans jamais s’arrêter et ainsi raconter tout à ma place comme le font les livres à la place des disparus. (Page 154)
La seconde partie montre un libraire itinérant victime du terrorisme et qui veut pouvoir parler de cette guerre malgré l’interdit.
Kamel Daoud revient sur la décennie noire des années 90, sur cette guerre des barbus fanatiques, contre l’État et l’armée. Sur les 200 000 victimes de ce terrorisme qui s’en prenait à tous ceux qui ne vivaient pas selon les règles qu’ils imposaient, et en premier lieu les femmes. L’islam politique violait, capturait, torturait et égorgeait. Et surtout son propos est de dénoncer le fait qu’un accord entre l’État algérien et les islamistes pour revenir à la paix s’est fait de façon à gommer tous leurs crimes et à interdire que l’on écrive quoi que ce soit sur cette guerre.
Sais-tu, toi qui es née avec cette marque incroyable, l’unique preuve de tout ce qui nous arriva en dix ans de guerre ? (Page 192)
Ce livre montre que du coup la guerre de libération, contre la France coloniale, est mise en avant de façon irrationnelle pour ne pas parler de la guerre contre l’islamisme.
La guerre. Elle était présente avec ses bombes, ses décapitations, ses viols de femmes kidnappées et ses cadavres, mais nous voulions tous vivre comme avant, ne pas voir, enjamber les corps et continuer à discuter de tout et n’importe quoi, surtout des femmes et de la pluie rare. (Page 230)
Houris n’est pas un livre destiné à un lectorat français. Il est toutefois un très grand livre, très fort, aux tournures parfois poétiques, écrit avec un style éblouissant. Je pense qu’il va être mal reçu en Algérie. Si un Français écrit un livre pour critiquer en quoi que ce soit l’Algérie algérienne, c’est, parce qu’il est Français, obligatoirement un livre colonial, méprisant, un livre ennemi. C’est le complexe nationaliste du petit homme vers le grand homme.
Alors pour salir le livre de Kamel Daoud il suffira de dire que cet écrivain n’est plus vraiment Algérien puisqu’il vit en France et que son livre est français puisque couronné en France par un prix prestigieux, le Goncourt.