Mon père a subi les camps de concentration, en particulier le tunnel de Dora. Je sais donc de source sûre ce qu’un conflit armé peut entraîner comme dérives mortifères. C’est pourquoi, plutôt que combattants, j’ai toujours préfère l’expression « cons-battus », et les cimetières en sont remplis. Les monuments aux morts en France donnent des noms pour certaines guerres, mais les guerres il y en a toujours eu, même après la « der des der ». celle de 14-18. Les gouvernants nous prennent de tous temps pour des imbéciles, toujours prêt à devenir de la chair à canon. Et si on n’obtempère pas on se fait fusiller... pour l’exemple.
C’est pourquoi je suis devenu objecteur de conscience, opposé à l’usage collectif des armes, bénéficiant d’un statut voté en 1963. Le choix de s’engager ou de déserter était enfin reconnu officiellement, une démocratie réelle n’est possible que si le citoyen peut s’opposer à un enrôlement dans une guerre qu’il jugera inutile. Or je n’ai jamais rencontré dans l’histoire humaine de guerre qui ait montré sa nécessité. C’est pourquoi les commémorations françaises de la 1ère guerre mondiale, de la deuxième guerre mondiale ou de la guerre d’Algérie m’ont toujours semblé des hommages à la bêtise humaine qui a défilé sous un drapeau au son des canons. Alors, comment puis-je voir cette cérémonie médiatisée et mise en scène pour les 80 ans de « la libération » ? Mon sentiment profond, c’ est d’abord une complète indifférence : pourquoi mettre en avant quelques centenaires alors que ce qui est le plus parlant sur quelques plaques, c’est cette litanie des morts (le plus souvent très jeunes) lors de ce débarquement en Normandie.
Ce qui me soulève le cœur, c’est la récupération politique qui est faite du D-Day par les présidents des grandes puissances ; Emmanuel Macron en particulier ne fait qu’utiliser l’évènement pour parler de la guerre en Ukraine, du conflit à Gaza et des enjeux du scrutin européen. Jamais pour proclamer la fin de toutes les guerres. Je constate que le chancelier allemand Olaf Scholz est associé à cette commémoration alors que son pays était à cette époque maintenant lointaine l’ennemi déclaré. Pourquoi ne pas avoir fait autrefois l’union des peuples au lieu de toujours penser militarisation ? L’Union européenne essaye par exemple de chercher aujourd’hui la paix pas d’autres moyens que la guerre. Qu’il y ait des élections européennes le 9 juin 2024 montre parfaitement la pacification des relations entre la France et l’Allemagne. C’est une réelle avancée qu’on n’aurait jamais du éclipser par un retour 80 ans en arrière, 6 juin 1944. Ce n’est pas l’entrée des troupes alliées en France qui ouvre la voie à la démocratie et à la liberté. Cela n’a pas marqué définitivement « la fin du système barbare du national-socialisme et de son hystérie raciste » comme le voudrait Olaf Scholz. La montée actuelle de l’extrême droite en France comme en Allemagne montre clairement qu’aucun débarquement ne met un terme à la connerie humaine.
Précisons ma pensée. Un objecteur de conscience n’est pas en soi un tire-au-flanc. Refuser l’usage des armes n’est pas non plus un refus de se défendre. Le problème de fond, c’est le manque de conscience des citoyens. Je note qu’Hitler n’est arrivé au pouvoir qu’avec l’assentiment des Allemands. Je note que la France a fait des guerres colonialistes en Indochine et en Algérie sans demander l’avis du peuple. L’invasion de l’Ukraine par Poutine n’a pu se faire qu’avec l’accord global des Russes. Si tout le monde était objecteur de conscience, on résisterait avec succès à l’autoritarisme des gouvernants. Si tout le monde était objecteur de conscience, il n’y aurait plus de guerre. Le changement se fait d’abord par l’action individuelle. Encore faut-il qu’un jeune puisse se déclarer objecteur de conscience lors de la JDC (journée défense citoyenneté) obligatoire. C’est paradoxalement interdit, prétextant de la fin (temporaire) de la conscription.
Encore faut-il que la recherche de la paix se concrétise au niveau collectif. Si nos dirigeants étaient conscients de l’impasse historique à laquelle nous a mené le fait d’aimer semble-t-il nous entre-tuer, ils remplaceraient le principe obsolète « si tu veux la paix, prépare la guerre » par son alternative : « Si tu veux la paix, prépare la paix ». Candidat à la présidence de la république, j’annoncerai dans mon programme que la France ne veut plus être un pays supérieur aux autres disposant d’un droit de veto unilatéral.
J’abandonnerai l’appartenance au bloc militaire que constitue l’OTAN qui ne peut que nous entraîner dans une spirale de la violence. Je confierai tout l’appareil militaire français aux mains de l’ONU, nos soldats auraient des casques bleus. On ne s’engagerait pas pour faire la guerre au nom d’une « patrie », mais comme membre d’une force internationale d’interposition dans les conflits armés. Et bien sûr j’engagerai de façon unilatérale un désarmement nucléaire complet de la France. Autant d’argent qui pourra être utilisé à de meilleures fins que le massacre potentiel d’énormément de civils.
Comme l’exprimait en 1934 Albert Einstein, pacifiste convaincu, « nous aurons le destin que nous aurons mérité ».
Michel Sourrouille (objecteur, 1971)