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La Zone d’intérêt, une revue de presse...
Jean-Marie Tixier
Article mis en ligne le 27 mars 2024
dernière modification le 16 mars 2024

En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. Marcel Proust

Sélectionné au 76e festival de Cannes, le dernier film de Jonathan Glazer a été présenté le 19 mai 2023. D’emblée, le film provoque des réactions extrêmement tranchées. La plupart des comptes-rendus sont élogieux. Adam Sanchez (Gentlemen’s Quarterly France, 20 mai 2023) : "Imposer de l’inconnu dans un moment d’Histoire évoqué sous une multitude de points de vue au cinéma, manier la cruauté en une constituante naturelle de l’existence elle-même, c’est ce qui fait la force surnaturelle du film de Jonathan Glazer". Dans un article intitulé "la sensorialité du mal", Bruno Deruisseau (Les Inrocks, 19 mai 2023) : "Minimaliste, atmosphérique et glaçant, un film sur l’Holocauste magistral par le réalisateur de “Under the Skin”. Un premier choc en compétition officielle". Sous le titre, « The Zone of Interest », un bourreau dans son jardin, Jacques Mandelbaum considère le film comme "Une œuvre d’une grande puissance" (Le Monde, 20 mai 2023). Traçant un parallèle avec Le Fils de Saul de Laszlo Nemes, il arbitre en faveur de Glazer : "Glazer, en ce sens plus lanzmanien que Nemes (quand bien même celui-ci fut défendu par l’auteur de Shoah) la refuse [la représentation] radicalement, et s’installe à quelques mètres de l’horreur, dans le jardin fleuri et dans la maison proprette des Höss." Parallèle qui semble obligé tant il est repris par de nombreux commentateurs ; quant à Jardin, mal, ces deux termes reviennent déjà dans la plupart des articles tout comme le recours à la doctrine "Lanzman".

Inévitablement, la banalité du mal est également convoquée. "The Zone of Interest, la banale idée du mal" est le titre choisi par Luc Chessel et Elisabeth Franck-Dumas pour Libération (20 mai 2023) quand Julien Rousset (Sud-Ouest, 21 mai 2023) s’en sert pour conclure son article : "Jonathan Glazer nous propulse au cœur de la « banalité du mal », dans le contrechamp de la Shoah".

Anaïs Bordages (Slate, 23 mai 2023) termine son article ainsi : "Volontairement cauchemardesque, le film instille un malaise sidérant, dont on a du mal à se départir une fois les lumières rallumées. À Cannes, l’ampleur thématique du film est tellement imposante qu’elle a rendu l’idée d’une compétition avec d’autres films presque futile". Et de fait, le choc est tel que : "Certains crient au chef d’œuvre et beaucoup voient The Zone of Interest au palmarès. Ne pas le retrouver dans la liste des élus du Jury présidé par Ruben Östlund samedi 27 mai serait en effet une grosse surprise et peut-être même une injustice" (Olivier Joyard, pour Numéro le 20 mai 2023). Olivier Joyard considère que le film de Jonathan Glazer est "le premier candidat sérieux à la Palme d’or" et conclut son article ainsi : "Une chose est certaine, le quatrième long-métrage de Jonathan Glazer donne à penser et nous hantera pour longtemps".

Tous les articles s’arrêtent sur le dispositif original mis en place pour ne pas montrer l’horreur : le hors-champ, le hors-c(h)amp pour Les Cahiers du cinéma, bien sûr mais également les dix caméras qui ont filmé en plans larges presqu’à l’insu des acteurs, le traitement de l’image aux couleurs vives et surtout le son capté également grâce à des micros dissimulés dans le décor. "Toutes les scènes domestiques sont tapissées par les bruits de fond du camp, des machines, des cris des SS et des prisonniers", Anaïs Bordages (Slate, 23 mai 2023).

Un seul article propose une critique extrêmement négative du film. Dans Les Cahiers du Cinéma le 22 mai 2023, Yal Sadat prononce un réquisitoire sans appel : après avoir fait le tour des références obligées "(à commencer évidemment par « De l’abjection » de Jacques Rivette)", il nous dit surtout qu’il n’a pas adhéré à l’idée maîtresse du film et partant (c’est un grand classique de la lecture du film) tous les artifices constitutifs de tout film lui sont apparus comme tels.

La sortie en salles

Lorsque le film sort en salles à la fin du mois de janvier 2024, les réactions (préparées depuis Cannes ?) sont identiques. "Un film difficile, immense, essentiel" pour François Lévesque, Le Devoir, le journal québécois du jeudi 18 janvier 2024. Pour Les Inrocks (samedi 27 janvier 2024), Ludovic Béot développe le point de vue de Bruno Deruisseau à Cannes et conclut son texte par : "Puis, traversant les couloirs du temps grâce à un flash-forward nous projetant aujourd’hui dans le musée d’Auschwitz et de ses agents d’entretien au travail, le film formule un questionnement aussi contradictoire que philosophiquement redoutable sur la protection des empreintes de l’Histoire. Celles, nécessaires, des victimes mais aussi les vestiges et les armes des bourreaux, et la part d’indécence que leur conservation implique au nom du devoir de mémoire". A l’autre bout du spectre, pour Marianne du 30 janvier, Olivier De Bruyn se livre à une démolition systématique sous le titre : ""La Zone d’intérêt" de Jonathan Glazer : une invitation (sans intérêt) chez l’exterminateur d’Auschwitz".

Pour Ecran large (lundi 29 janvier 2024), Antoine Desrues consacre un long texte (9000 signes) sous le titre critique d’un immense choc de cinéma. Le mensuel gratuit d’information culturelle édité par mk2, TROIS COULEURS, choisit, pour approcher "le contexte de cette œuvre radicale", un entretien avec Johann Chapoutot qui, fort de son expertise, adoube La Zone d’intérêt : "C’est un film très pertinent, à la pointe de ce qui se fait en sciences humaines et sociales sur la Shoah". Sur le choix de laisser le camp de concentration hors-champ, Johann Chapoutot juge que "c’est d’une grande intelligence". Tout comme le fait de laisser peu d’espace à la question de "l’idéologie antisémite et raciste" parce que le film "montre qu’on n’a même pas besoin de ça. On sait que c’est en toile de fond, mais l’idéologie raciste n’est que la conséquence de ce regard sachlich [1] sur le monde. Dans le système nazi, vous n’êtes qu’une chose, performante ou non. L’utilité est un critère ontologique fondamental qui dicte si vous avez le droit de vivre." Et Johann Chapoutot de rappeler que "Les premières victimes des nazis sont des Allemands, non juifs, stérilisés en masse à partir de 1933 parce qu’ils sont fous, handicapés ou malades et n’ont donc aucun intérêt". Pour conclure, Margaux Baralon lui pose une dernière question, la question opportune sur notre temps, la seule qui vaut en définitive : "Que raconte La Zone d’intérêt du monde contemporain ?". Question à laquelle Johann Chapoutot, l’auteur de Libres d’obéir (2020) est ravi de répondre. "C’est un film sur le carriérisme consumériste, utilitariste et égoïste, érigé encore aujourd’hui en valeur cardinale du capitalisme, mais aussi sur la réification".

Le webmagazine culturel Lokko a demandé, également, à Johann Chapoutot de livrer son expertise sur le film au cours d’un long et riche entretien (plus de 20000 signes !) dans lequel il a eu la possibilité de développer son point de vue. Faute d’images des assassinats dans les chambres à gaz, le choix de Jonathan Glazer lui semble le seul possible : « Du point de vue de la déontologie historique et de l’éthique humaine, le cinéma ne peut pas se référer à des images de la réalité de l’assassinat par le gaz. Glazer fait preuve de tact et d’intelligence en laissant cela hors champ ». Johann Chapoutot rapproche La Zone d’intérêt de La Conférence [2]  : « Ce sont deux films jumeaux, sortis à quelques mois d’écart (en 2022 et 2023), ce qui dit beaucoup de l’esprit du temps, du nôtre en l’occurrence ». Ce qui lui permet de développer une de ses thèses majeures : la continuité entre le nazisme et l’esprit du capitalisme… D’autant que les techniques mises en place par Jonathan Glazer (caméras et micros cachés comme dans une émission de la téléréalité) jettent un pont avec aujourd’hui : « Par ce dispositif, Glazer nous fait rentrer visuellement dans l’hypermodernité médiatique et nous invite à réfléchir à notre rapport à la technique. En employant ce procédé issu de la téléréalité, il suggère subtilement que nous sommes contemporains de ce que nous voyons, et que nous sommes aussi les héritiers directs de cette prédation et de ces crimes, que nous perpétuons sous d’autres formes. Il crée une proximité et une intimité très gênantes avec cette famille. »

Ce sont, sans doute, cette proximité et cette intimité recherchées par le réalisateur qui se trouvent à l’origine du rejet de certains spectateurs. En ce sens, on pourrait même mettre au crédit du film les réactions absolument négatives… Un rejet d’auto-défense pour refuser toute forme d’identification avec ces personnages haïssables.

La dichotomie posée lors de la présentation à Cannes se retrouve dans les articles ou les émissions. Sous un chapeau rappelant que "Lauréat du Grand prix du Festival de Cannes 2023, il est l’un des films les plus marquants de ce début d’année", Le Masque & la Plume ne tranche pas. Sur quatre avis, deux défendent le film quand deux autres sont extrêmement négatifs. Ariane Allard "salue un très grand film, malaisant et plus que nécessaire" et Charlotte Lipinska est "saisie par un film qu’elle juge d’une efficacité redoutable". En revanche, Xavier Leherpeur est "extrêmement gêné par un film aussi abject que dangereux" et Pierre Murat regrette que "Jonathan Glazer soit passé à côté de son film".

Philosophie Magazine du jeudi 08 février 2024 adopte la même posture en évitant de choisir. Soit Michel Eltchaninoff "Pour : l’inquiétante étrangeté de la maison nazie" qui trouve le film "parfaitement réussi". Et Martin Legros "Contre : l’intérêt n’est pas le ressort de la barbarie nazie". Sur ce point, Johann Chapoutot lui a déjà indirectement répondu dans son entretien pour le magazine Trois Couleurs…

Dans une certaine mesure, les blogs de Médiapart font de même. D’une part, une lecture positive le 3 février 2024. Jean-François Demay défend le film : "En filmant le quotidien du commandant d’Auschwitz et de sa femme dans l’espace fermé de leur jardin, le cinéaste montre l’horreur sans images violentes. L’abjection gît alors dans la lumière, dans les mots échangés, dans le déni qui a participé à l’organisation du génocide." Il convoque Jean-Luc Godard qui écrivait dans Les Cahiers (n°146, août 1963) : "Le seul vrai film à faire sur eux […], ce serait de filmer un camp du point de vue des tortionnaires, avec leurs problèmes quotidiens." Prescription à laquelle Jonathan Glazer semble avoir obéi…

Sous le titre, "La Zone d’Intérêt, anatomie d’un ratage", le samedi 10 février 2024 Maud Assila prend l’exact contre-pied. D’évidence, la participation affective n’a pas fonctionné et, dès lors, toutes les conventions apparaissent comme telles : "pas un camp d’extermination mais un parc d’attraction", plus loin, "des reconstitutions en carton pâte" ou encore "Glazer ne travaille pas dans le film sur l’ellipse, mais bien sur l’ajout". La projection joue alors à plein. A aucun moment dans le film, il n’est mentionné la qualité de la femme avec laquelle Höss va avoir une relation sexuelle. Pourtant, Maud Assila y voit "la visite d’une prostituée polonaise". De même, rien n’est dit sur ce qui se passe entre Hedwig et l’homme qui pénètre dans la même pièce qu’elle, ce qui n’empêche pas Maud Assila de conclure à "l’adultère avec un artisan de la maison". Enfin, la militante à Réseau salariat ne supporte pas qu’Hedwig soit représentée comme "une sorte de mégère sans éducation, à la démarche catastrophique". Démarche travaillée par Sandra Hüller… "Moralement et politiquement, le parti pris interroge. Que Höss fût un nouveau riche constitue-t-il une circonstance aggravante ?"

Dans Télérama, samedi 10 février 2024, Valérie Lehoux demande à la philosophe Myriam Revault d’Allonnes de nourrir de sa réflexion le film Jonathan Glazer qui "attire les foules et continue de susciter des débats". Répondant aux questions de la journaliste, la philosophe effectue une analyse théorique bienvenue de la formule utilisée à l’envi sur "la banalité du mal" : elle "n’est pas un concept, elle ne recouvre ni une thèse ni une doctrine". Pour elle, "C’est plutôt une expression. Elle [Hannah Arendt] l’a utilisée de façon presque métaphorique pour tenter de rendre compte de la figure singulière que prenait le mal au XXᵉ siècle, à savoir les crimes de masse".

Fort opportunément, Myriam Revault d’Allonnes reconnaît : "Certes, je possède tous les codes qui me permettent de décrypter le film". Ce faisant, elle introduit un facteur essentiel : l’existence de publics différenciés qui devraient être pris en compte dans l’analyse de la réception du film, de tout film, mais en particulier de celui-ci qui fait appel à des connaissances historiques et théoriques…

Signes des temps sur France-Culture a consacré son émission du 4 février à la question Est-il possible de représenter la Shoah ? sous-titrée Du cinéma de Claude Lanzmann au film de Jonathan Glazer. Pour répondre à cette question, Marc Weitzmann avait invité Sylvie Lindeperg, Ophir Lévy et Michaël Prazan [3] soit trois points de vue à la fois autorisés et complémentaires : nous sommes bien sur France-Culture !

Professeur à La Sorbonne, Sylvie Lindeperg est l’Universitaire spécialiste incontestée de la question. Maître de Conférences en Études cinématographiques à l’Université Paris 8, Ophir Lévy mène des recherches "sur les formes sonores en lien avec les représentations de la guerre". Quant à Michaël Prazan, il cumule les qualités pour s’exprimer sur la représentation de la Shoah. Auteur d’une thèse intitulée L’écriture génocidaire : l’antisémitisme en style et en discours [4], il a réalisé plusieurs documentaires sur le génocide notamment Einsatzgruppen, les commandos de la mort (2009 - prix du meilleur documentaire du Jewish Motifs International Film Festival de Varsovie en 2010), Das Reich, une division SS en France (2015). Dans La passeuse des Aubrais, 1942 (2017), il revient sur le parcours de son père sauvé par Thérèse Léopold, la passeuse, et évoque également celui de son grand-père, Avram Prazan, juif polonais immigré dans les années 1920, arrêté le 14 mai 1941 lors de la rafle des Juifs étrangers de l’est parisien dite "rafle du billet vert" et mort, ainsi que sa femme Estera, à Auschwitz…

Tous les trois reviennent sur le dispositif mis en place, le seul possible, le hors-champ du lieu du crime : "Le point de vue est très clair" pour Sylvie Lindeperg. Elle "considère que l’enjeu de départ est tout à fait passionnant et donne lieu à dispositif qui, à la fois, sert le film et, peut-être, à un moment le piège". Le piège est induit par "la construction du récit" dans la mesure où le spectateur ne voit Höss que comme un administrateur zélé (voire obsessionnel : il pense systématiquement à éteindre lorsqu’il quitte une pièce), et peut être conduit à le considérer comme "un criminel de bureau qui prend son téléphone pour envoyer des ordres". En revanche, comme le spectateur ne quitte pratiquement pas l’espace domestique, la maîtresse de maison occupe le centre de la fiction et incarne parfaitement la complice du bourreau. "La performance de Sandra Hüller est exceptionnelle".

Le traitement est cohérent : refus du naturalisme avec des couleurs saturées, les caméras et les micros cachés et un son mono qui refuse la spatialisation tout en proposant une forme de représentation du crime (Ophir Lévy). Michaël Prazan développe le choix esthétique qu’il juge "radical" : que des plans fixes avec un seul mouvement de caméra, le travelling qui suit Hedwig dans son potager. S’il reconnait au film "une certaine force indéniable", il avoue également : "je serai incapable de dire ce que moi personnellement j’en ai pensé en réalité". Un aveu qui fait du bien après les jugements (positifs ou négatifs) la plupart sans appel de la part de journalistes ou pas, mais tous omniscients !

Fort de son expérience, Michaël Prazan va défendre avec détermination la nécessité de prendre en compte la différence fondamentale entre documentaire et film de fiction d’une part et l’existence de publics différenciés d’autre part : "Lanzman, avec Shoah, instaure une doxa de la non-représentation. Mais attention encore une fois, on n’est pas dans de la fiction. La fiction a une autre fonction et d’autres enjeux, d’autres contraintes. Il y a différents registres parce qu’il existe différents publics. La question de la transmission n’est pas une question indifférentes surtout aujourd’hui où elle se pose avec une acuité fondamentale". Rappel fort opportun ! Michaël Prazan rejoint de plus Jonathan Glazer qui dans Télérama n°3864 du mercredi 31 janvier déclarait : "Les derniers survivants sont en train de s’éteindre. Par ailleurs, il est peu probable que mes enfants s’asseyent devant les neuf heures de Shoah. Je n’ai pas fait ce film par sens du devoir, mais je pense que chaque génération doit s’interroger sur la façon de reformuler cette tragédie. Je me suis efforcé de trouver un nouveau paradigme pour un nouveau public".

Un large succès

Tout comme la publication de lectures contradictoires (le pour et le contre !), le recours à l’autorité dit l’embarras des journaux à formuler un point de vue qui ne divise pas (trop) leur lectorat. Car l’attente est grande et le succès du film l’atteste bien. Dans Télérama du 06 février 2024, sous le titre "Box-office : vif intérêt pour “La Zone d’intérêt” dans un contexte morose", Bertrand Lott note : "Le film de Jonathan Glazer divise les critiques, pas le public. Avec près de 200 000 entrées, il réalise un exploit inattendu dans une période où la fréquentation baisse". Et dans Box-Office, le 7 février 2024, Tanguy Colon : "La Zone d’intérêt confirme son très bon démarrage en bouclant une première semaine à 220 000 entrées – et près de 240 000 en comptant les avant-premières".

A Pessac, Le Jean-Eustache organise depuis plus de dix ans une université populaire, l’Unipop, d’abord sur le cinéma puis ensuite sur l’histoire (en lien avec le Festival du Film d’Histoire). Depuis la rentrée 2021-2022, l’Unipop s’exporte grâce à une captation sur place et une vidéo-transmission dans d’autres salles de cinéma : c’est l’Unipop de ville en ville. La soirée du 12 février débutée par la projection de La Zone d’Intérêt a été suivie d’une intervention de Nicolas Patin, maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne et spécialiste de l’Allemagne et de la Seconde Guerre mondiale ; elle a été retransmise dans 40 cinémas à travers la France [5].

D’emblée, Nicolas Patin justifie les choix qu’il a été contraint de faire car "ce film regorge d’informations essentielles, de moments clés". Il s’est donc focalisé sur deux axes : d’une part, Les bourreaux nazis et la Shoah et d’autre part, Une histoire de haine et d’indifférence. Pour Nicolas Patin, "Glazer a réussi à atteindre dans les différentes représentations cinématographiques de la Shoah cette apogée constituée par Shoah et Le Fils de Saul. Glazer effectue un tour de force reconnu par le festival de Cannes et réussit à s’inscrire parmi les plus grands, dans cette indicibilité du génocide grâce à une forme qui relève du cinéma expérimental."

Les organisateurs de l’Unipop de ville en ville ont tiré le bilan de cette soirée exceptionnelle : "Cette soirée Unipop a attiré près de 2 700 spectateurs dont 547 à Pessac, constituant environ 12 % des entrées de la journée pour ce film, distribué par Bac Films. Depuis le lancement de la saison 1 de l’Unipop de ville en ville, cette performance représente le plus grand succès jamais enregistré par les salles".

Après avoir obtenu, le grand prix au festival de Cannes en mai 2023, trois prix aux Bafta (British Academy Film Awards) le 18 février 2024 prix – meilleur film britannique, meilleur film en langue étrangère et meilleur son – La Zone d’intérêt a été sacré meilleur film étranger et meilleur son lors de la 96e cérémonie des Oscars qui s’est déroulée ce 10 mars 2024 à Los Angeles. Cette moisson de prix, le succès en salle, la polémique et les affrontements théoriques et idéologiques attestent que le film de Jonathan Glazer a rempli une mission : contraindre à penser l’impensable !

Après la remise de la précieuse statuette à Los Angeles, Jonathan Glazer a résolument inscrit son film dans le présent : "Les choix sont faits pour nous faire réfléchir et réagir dans le présent, pas pour qu’on se dise dans quelques années ’regardez ce qu’ils ont fait’, mais pour qu’on se dise maintenant ’regardez ce qu’on fait’. Notre film montre là où a pu mener la déshumanisation la plus terrible. Et cela a forgé notre passé et notre présent. Aujourd’hui, nous nous tenons devant vous comme des hommes qui réfutons notre judéité et l’Holocauste détourné par une occupation qui a mené à une guerre impliquant tant d’innocents. Qu’il s’agisse des victimes du 7 octobre en Israël ou de celles des attaques incessantes qui se déroulent à Gaza, elles sont toutes des victimes de cette déshumanisation."

Déclaration qui a provoqué l’ire des défenseurs d’Israël et a engendré une nouvelle polémique…

Jean-Marie Tixier
Maître de Conférences honoraire – Université-Montesquieu Bordeaux
Président cinéma Jean-Eustache Pessac