Ce matin-là, Jean-Marc avait décidé de se réveiller tôt, pour aller prendre un bain sur sa plage préférée de Kalamaki. Cependant, vers cinq heures, il fut tiré de son sommeil par un drôle de bruit. Puis, il eut vaguement l’impression que son lit, habituellement si confortable, était monté sur roulette ! Il ne s’affola pas trop. Depuis qu’il vivait à Athènes, il avait pris l’habitude des récurrents tremblements de terre dans la région. Minimes ou plus importants, selon leur degré d’impact sur l’échelle de Richter. Plusieurs fois dernièrement, l’épicentre s’était situé dans l’île voisine d’Eubée. Les ondes de choc se faisaient alors sentir, jusqu’au centre d’Athènes.
Il en avait déjà vécu une demi-douzaine. Légèrement préoccupé, il ne réussit pas à se rendormir et décida de se lever. Il prit sa douche et son petit déjeuner normalement. Il n’avait pas changé d’avis sur son programme de la journée. Mais, il préféra avant tout, aller jeter un petit œil jusqu’au mur virtuel, afin de voir si rien n’avait bougé dans le périmètre de l’Acropole. En effet, une idée saugrenue lui était venue en tête. Il avait été très impressionné à la lecture du récit de Christos Chryssopoulos, La destruction du Parthénon. L’auteur y rappelait l’existence d’un manifeste, Il faut faire sauter l’Acropole, lancé en 1944, par un certain Yorgos Makris. Ce dernier était alors, le président du Cercle surréaliste athénien et le « patron » du Mouvement des annonceurs du chaos ! C’était sans doute une idée absurde mais… « Les cyborgs sont tellement robotisés et si peu respectueux des arts qu’ils sont bien capables, eux aussi, d’avoir décidé de faire sauter l’Acropole. Non par « posture » surréaliste, mais tout simplement parce qu’elle ne représente rien de spécial pour eux », s’était dit Jean-Marc. Il en fut pour ses frais. Le Parthénon, toujours aussi crâne, était bien à sa place et toujours aussi lumineux sous le soleil matinal.
Quelque peu rassuré, il reprit sa route vers la plage. « S’il s’agit bien d’une petite secousse sismique, il sera bien temps de découvrir l’étendue des dégâts, en chemin ». Tout était normal dans le quartier sud de Kalithea. En revanche, parvenu à la hauteur de Paleo Faliro, il fut obligé de s’arrêter. Un drôle de spectacle s’offrait à lui. Des cyborgs, qui d’ordinaire paraissaient si impassibles et indifférents, semblaient soudainement avoir été frappés d’une folle agitation. Autour d’eux, les trans, leurs subordonnés, se démenaient comme autant de petits diables. « Tiens, et si je débaptisais les trans pour les appeler, dorénavant, les « hilotes ». Devant les cyborgs, on dirait qu’ils ont le même statut que les hilotes des spartiates : des individus dépendant entièrement d’eux, de véritables esclaves-marchandise, oui ! ».
De plus, habituellement si « droits dans leurs bottes », les cyborgs s’agitaient et semblaient exécuter une sorte de danse autour de la tête des hilotes. « C’est marrant, on dirait que les hilotes ne maitrisent pas bien le langage gestuel de leurs maîtres ! ». Pourtant après ce qui semblait être des palabres, les hilotes formèrent une chaîne « semi-humaine ». Elle s’étendait sur un périmètre d’environ, à vue de nez, un kilomètre carré. À l’intérieur duquel, ayant réussi à se pencher, Jean-Marc aperçu les traces d’un effondrement de terrain. Ou, plus exactement, un gigantesque trou où gisaient pêle-mêle, débris de macadam, canalisations, réverbères brisés et autres carcasses de voitures défoncées. Tandis qu’il contemplait les dommages, un hilote s’approcha de lui. Sans ménagement, il lui intima cet ordre, en langage humain, qui plus est, en français dans le texte (!) : « Restez où vous êtes. Ne bougez plus. Et restez calme ». Et ce fut tout. Jean-Marc très surpris et dans un réflexe tout humain, se tourna alors vers l’hilote en question et lui demanda avec la plus grande humilité : « Mais, que s’est-il passé ? ». Comme répondant à un ordre, l’hilote détourna le regard, tout en continuant à lui barrer le passage. « Si les ondes de choc ont atteint plus fortement le front de mer que le centre-ville, c’est certainement que le tremblement a eu lieu sur l’île d’Egine ou sur une de ses voisines ? »
N’attendant rien de plus de la part des hilotes (encore moins des cyborgs) et n’ayant plus rien à faire dans les parages, Jean-Marc, plus que perplexe, se résolu à regagner ses pénates …
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