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NéoTotalitarisme — acronyme : néoTot.
Définition et description.
Article mis en ligne le 17 décembre 2023
dernière modification le 16 mars 2024

Depuis quelques décennies, nous assistons à un changement sémantique important concernant le totalitarisme. H. Arendt a qualifié de système le totalitarisme. Fondation intellectuelle longtemps indépassable, mais centrée sur l’Allemagne nazie et l’URSS dont les thèmes principaux correspondent à une époque, tout en servant de matrice au changement progressif du totalitarisme.

Totalitarisme : l’ADN des temps modernes

Le totalitarisme se distingue de la monarchie absolue ou de la tyrannie par des caractères spécifiques qu’il faut garder à l’esprit avant d’affronter le néoTot.

  1. Le terme désigne deux systèmes politique particulier : le fascisme/nazisme et le régime soviétique ou chinois.
  2. D’autres formes de dictatures ne présentent pas de caractère essentiel du totalitarisme ainsi géolocalisé.

Les principes fondamentaux du totalitarisme.

  1. L’autoritarisme excluant tout pluralisme.
    1. Parti unique comme meilleure méthode de représentativité, libérant des vices et des faiblesses de la démocratie avachie et corrompue.
    2. Violence extrême dans la domination des populations et présence disproportionnée de l’emprise sur les moeurs et les idées.
    3. Abolition du privé par un système d’encadrement polymorphe.
  2. L’Idéologie sert de constitution réelle, malgré un formalisme démocratique.
    1. Système de pensée totalisant. Parti unique => Pensée unique.
    2. Culte du chef ou de la cellule gouvernante.
  3. Atomisation et massification, deux caractéristiques en apparence contradictoires, mais qui permettent d’établir un holisme efficace. Le tout veut le bonheur du particulier. Les réfractaires sont expulsés, les méthodes ne manquent pas.
    1. Rôle essentiel de la communication devenue propagande. Le muselage des moyens de diffusion est complet.
    2. Système éducation contrôlé et destiné à former de la main-d’œuvre et la future élite discipliné capable de faire tourner le système.
  4. Économie d’état adossé à un scientisme planifié sorte de taylorisme revisité.
    1. Dans le cas du soviétisme la propriété privée est réduite à sa portion congrue.
    2. Le nazisme évita cette erreur, malgré sa labellisation de national-socialisme. Il sut s’appuyer sur les industriels et distribuer des terres dans les pays conquis (Pologne).
  5. Théorie de l’état niant la société civile ou la manipulant par des institutions dédiées.
    1. Etat et Parti se fondent. "L’Etat, c’est moi" devient "l’État, c’est le Peuple", comprendre le Parti.
  6. Syndrome d’autodestruction. Les tensions sociales refoulées et les luttes intestines acharnées contiennent des germes d’auto-destruction. Situation un peu comparable au féodalisme.
    1. La complexité croissante et la militarisation, comme, à la fois, nécessité intérieure et promesse d’imposer le modèle totalitaire amène le totalitarisme à ses limites opérations.
    2. Le modèle chinois reste une énigme, peut-être la conséquence de sa tradition confucéenne.

Le néo-totalitarisme : le Capital décomplexé.

Une "nouvelle vague", tel un tsunami, déferle sur nous. Certains se réjouissent de la libération des contraintes domestiques, d’autres constatent avec effroi l’offensive actuelle et n’estiment pas la portée des dangers encourus.

Cette rubrique veut alerter les nostalgiques de l’anti-fascisme, les pourfendeurs de l’extrême-droite (sans savoir ce dont ils glosent), les adorateurs de la Sainte-Terre outragée, les islamo-gauchistes manichéens alliés aux idoles de la décolonisation, les éco-terroristes de la bassine, les ultra-féministes partisanes d’une nouvelle société de classes genrées… sur les dangers qu’ils contribuent à reprendre. La déferlante wokiste masque les enjeux actuelles.

Les propositions suivantes tentent d’identifier les grands axes de l’offensive néoTot afin de mieux adapter les ripostes nécessaires. Elles sont aussi un appel à contributions.

Les prémisses : fusion du néo-libéralisme et néoTot.

D’abord, posons qu’il n’y a pas de ruptures épistémologiques entre les deux phases du totalitarisme. Le processus de sécularisation fonctionne, mais certains fondamentaux prennent leur autonomie et ils effectuent un changement de régime.

Du côté de l’idéologie profonde.

Les désastres du XXème siècle ont, à la fois bloqué et favorisé, les débuts du renouvellement du libéralisme classique.
L’économie de guerre et le socialisme mirent l’État en première ligne de front. Le retour de la "paix" et la chute du communisme favorisent l’épanouissement des latences néo-libérales.

  1. Hayek, von Mises, Milton Friedman activent une nouvelle conception du monde basée non plus sur l’État, mais sur l’individu comme moteur économique.
  2. Le capitalisme privé prend sa revanche. Toutefois, pour concurrencer les économies étatiques, les grandes entreprises se constituent en multi-nationales afin de consolider leur pouvoir.
  3. Après les vaches maigres, le veau gras de la consommation amorce une mutation fondamentale. La chute du communisme généralise le mouvement. L’idéologie globaliste apparaît.

Ces pistes méritent une attention particulière.

Totalisation et Machination.

La stabilité de la guerre froide permet la pleine réalisation des potentiels. Les racines du néoTot s’installent sans vergogne au grand bonheur des usagers

Le NET (Nouvel Esprit Technologique.)
    1. François Laruelle dans son livre homonyme [1] développe cette thèse centrale. Le néoTot s’accapare du mythe du progrès et des instruments techniques.
    2. Le NET dépasse le côté phénoménal de la technologie pour prendre une dimension systémique.
    3. Le lien entre science et technique devient fusion. Le terme techno-science sous-entend technologiste ce que le NET n’est pas.
    4. Le NET instaure un système irradiant tous les domaines du monde contemporain globalisé.
    5. Le NET devient un a priori, sa non-existence est impensable.

Le concept de NET ouvrent de nombreuses piste de travail pour cerner la réalité matérielle du néoTot.

Le SEN (Saint-Empire Numérique.)
    1. Le SEN prolonge naturellement le NET. La logique infernale de la technique se déploie sans rencontrer de véritable résistance.
    2. Le couplage avec le consumérisme met en scène le néoTot. L’intrication des trois composants relève de la physique quantique. Ce constat qu’il faut décrire minutieusement complique les réponses réfractaires.
    3. Nous assistons à la résurgence de la métaphysique triomphante. https://divergences.be/ecrire/?exec=rubrique&id_rubrique=847
    4. La Machination ouvre plusieurs fronts. La lecture de Jean Vioulac permet de comprendre l’ampleur de la tâche. https://lundi.am/Revolution-et-Destruction-l-obstacle-fasciste
    5. La totalisation et la pulsion globaliste ( y compris en Russie qui dénonce, pourtant, l’Occident pervers) avancent à marche forcée. La vigilance et le dépistage seraient une démarche utile afin de démasque les turpitudes incessantes. De courtes notes littéraires ou non conviendraient parfaitement.

Le corpus idéologique.

Il s’agit même d’un credo à l’ancienne : " Je crois au NET, au SEN, et à ses Algorithmes."

Individualisme et Massification
    1. Le christianisme nous livra l’individu comme unité de base de la conscience. La foi et le salut sont individuels avant tout. Cela ne contredit pas l’appartenance au Corpus mysticum (Église future matrice de la Nation).
    2. Individu se décline en plusieurs notions : sujet, subjectivité, égo, moi, corps propre. L’abondance brouille un peu les pistes. Des définitions précises permettraient d’éviter les quiproquos.
    3. L’individu est devenu à la fois la cellule primaire de l’esprit démocratique (égalité : un individu = un vote) mise en évidence par Tocqueville et un absolu quasi transcendantal de la modernité.
    4. L’individualisme devenu progressivement consommateur, inaugure une tendance lourde du néoTot. L’atomisation (individualisation et non individuation) engendre une déstructuration du social, du politique et de l’économie. Les électrons libres se re-socialisent sous forme de micro-identités grâce aux réseaux dit sociaux.
    5. La massification sert à créer un marché composé de micro-communautés identitaires, ersatz nécessaire au néoTot.
État / Nation revisité : néoTot et question de l’État

L’éclosion du l’individualisme effraya les censeurs et les penseurs holistes.

    1. Hegel caricatura à l’extrême ce besoin compulsif de maîtriser les volontés individuelles au profit de l’État compris comme une réalisation de l’individu par la transcendance de l’État.
    2. Hegel et ses épigones n’auront cesse de mâter les particularités pour les incorporer de force dans des entités supérieures ( État, Prolétariat, Bourgeoisie, Clergé). L’holisme et le totalitarisme se nourrissent au sein de la sainte Totalité et de l’Absolu.

La doctrine néo-libérale conçoit les institutions, les entités collectives (état, nation, tribu…) comme des freins à l’épanouissement d’un capitalisme libérateur. L’individu/capitaliste libertarien sert de matrice à cette révolution.

    1. La critique de l’État fait partie intégrante de la pensée libertarienne, elle en est même un pivot central.
    2. Le néoTot veut détruire la nation comme cadre économique et politique.
    3. Il remplace les anciennes croyances ou idéologies par une ambitieuse promotion de la liberté individuelle poussée à l’extrême.
    4. Tout ce qui peut lui nuire est critiqué radicalement, par ex. le racisme ne fait pas parti de leur boîte à outils.
    5. Les regroupements du type Union Européenne cadre parfaitement avec leur démarche et il consacre d’énorme budget aux lobbyings.
    6. Le néoTot promeut de nouvelles idées détournant des anciens concepts :
      1. La démocrature plagie la démocratie considérée comme formelle, lourde à manipuler et immobiliste. En fragmentant la société et l’économie, il pense nettoyer le paysage.
      2. En cela, il sert aussi de paravent à l’activité des grands opérateurs économiques mondialisés qui financent les "fragments".
    7. La justice, le droit, l’armée…tout passerait sous sa coupe.
    8. Le néoTot a la puissance d’un système et les armes de la métaphysique.
    9. Il manipule sans vergogne toutes les lubies, les dérives idéologiques.
    10. Il joue le rôle d’un perturbateur endocrinien qui dérègle la mécanique classique des mœurs : wokisme, racialisme. Les flux migratoires sont une arme de déstabilisation idéale :

La sphère-néoTot a déclaré la guerre totale aux puissances qui tentent de contrecarrer sa marche triomphante.

Segmentation du marché générationnel.

La fragmentation devenue une arme consubstantielle, le néoTot adapte son discours à destination de tous les publics. Pas une particule sociale ne doit lui échappée.

    1. Le jeunisme est son oraison favorite. Il atteint parfois le niveau d’une lutte des classe d’âge.
    2. Les boomers n’échappent pas à ses avances.
    3. Du berceau au crématorium (cimetière pour certains), il brasse large. Notre argent et nos petits tentations l’intéressent. Pas nouveau, mais efficace.
Haine de la nature : l’écologie politique.

Surprise ! le néoTot hait la nature, l’ultime cible de sa prétention à dominer. S’il le pouvait, il se verrait bien en Créateur : une occasion de corriger ses erreurs laxistes. L’homme n’est pas fiable, trop de liberté nuit.

    1. Humain, trop humain, la machine corrigera les défauts congénitaux.
    2. Pour fonctionner et se reproduire la machination repose sur une masse de consommateurs avides et heureux.
    3. Objectif : l’homme transformé. Vaste sujet des artéfacts instruments aux phénomènes trans. Un seul but : bien dans ma peau.
Écologie comme préservation du Capital.

L’intelligence dominatrice ne peut faire l’impasse, avec l’aide de l’IA, sur les dérives du capital industrialiste. Pour durer le néoTot se prend pour Monsieur Propre.

    1. L’artificialisation touche aussi bien le corps que la terre. Le progrès a généré et amplifié des excès nuisibles à la reproduction du capital et à son renouvellement.
    2. La course aux nouveaux appuyée par un marketing effréné a démultiplié les faux besoins et les investissements libidinaux sur les objects techniques. Résultats : pollutions diverses et variées et surtout course exponentielle à l’énergie devenue première cause mondiale du " réchauffement climatique " .
    3. A grand renfort d’études scientifiques et d’institutions labellisées du type GIEC (largement financée donc non indépendante), le néoTot parvient à transformer un fait en effet, au nom du principe de causalité.
      La modélisation fonctionne sur des problématiques restreintes. Vouloir étendre son application à des phénomènes comptes et mondiaux relève de l’escroquerie scientifique. Un exemple local : l’aménagement de la baie du Mont Saint-Michel basé sur des modélisations certifiées conformes n’a fait que déplacer le phénomème d’envasement. Résultat : des milliards pour satisfaire un tourisme de masse.
    4. Mettre sur le dos de l’anthropocène la situation actuelle est un réductionnisme idéologique hypocrite. De toute façon, le mode de production capitalistique ne peut pas survivre sans profanation continue de la nature. Il faut donc gérer les changements technologiques nécessaires à la pérennité du système par la plus vieille et efficace recette de la peur comme stimulant de la domestication. La propagande tourne à plein régime. La Cop 28 illustre le propos.
    5. De toute façon, là encore, il ne faut pas désespérer Billancourt et les sociétés émergentes qui, elles aussi, veulent bénéficier des avantages acquis dans le noyau central du système.
    6. On assiste au passage d’une pensée écologie comme mode de vie (Ellul, Dumont, Thoreau…) à une politisation du mouvement : l’écologisme politique, forme affinée de l’escrologie typique du néoTot.
    7. L’écologie de type ruraliste avec une dose de transcendantalisme (Emerson et autres courants religieux souvent puritains et anti-matérialiste) a servi de modèle à la fabrication d’un écologisme perverti et manipulé. On assiste à un nouveau mode impérialiste du néoTot. L’apparition du droit à / de l’environnement sert de marqueur.

Nous abordons, ici, un vaste chantier aux contours polémiques, mais indispensables.

Le Droit, le trou noir de la pensée libertaire.

Parent pauvre de nos préoccupations, le droit mérite que nous y prêtions une attention particulière.

    1. Du grec dikè," usage, manière d’être " englobe donc toutes les " déterminations de la liberté ", selon Hegel. Il inclut l’idée de réparations entres les individus (droit privé) ou les groupes (droit public). Il est de naissance une technique.
      Il recouvre toujours l’idée de puissance de l’individu sur lui-même ou de celle de Dieu. Il comporte un aspect individuel indubitable.
      Progressivement, il devient norme jusqu’à devenir un normativisme (des nominalistes à Kelsen).
    2. Est-il naturel ou un artéfact humain ?

Nous constatons, de nos jours, un mouvement contradictoire de prolifération juridique et une dégénérescence de l’état de droit. Accompagnée, d’une tendance du politique à se défausser sur le juridique.

Ressourcer la pensée libertaire passe par le chemin douloureux dans les arcanes du Droit, de la Loi. Notre batterie conceptuelle présente des vides dommageables. Le néoTot s’appuie sans vergogne sur les arguments juridiques afin d’endormir et légaliser ses fondamentaux ?

Esthétique du NéoTot.

Comme toute métaphysique et tout système totalisant, le néoTot mobilise la puissance des images et de l’esthétiques afin de mettre de l’huile dans les engrenages et de créer un environnement identifiable. L’histoire de l’art nous apporte de nombreux exemples.

    1. Quatre étapes principale : le rituel (iconodulie), l’aristocratique, esthétisation du monde, enfin le transesthétique du capitalisme avancé.
    2. L’inflation et le délire du marché de l’art illustre parfaitement cette dérive.
    3. Le néoTot investit tous les champs de l’art.
      1. L’architecture est l’illustration parfaite du processus : des cathédrales aux colonnes de Buren.
      2. Avec les grands magasins et les centres commerciaux le capitalisme s’équipe des armes de la consommation de masse heureuse, le " Bonheur des Dames " réalisé.
      3. Le design devient un art du consommable.
      4. Fonctionnalité et beauté opérative permet au merchandising de devenir une science complémentaire au markéting. Avec le contenu on vend aussi le contenant. Suprême aliénation du goût.
    4. Enfin, s’installe un suprématisme esthétique dont on perçoit sans cesse la prégnance dans la vie quotidienne spectacularisée.

Ces quelques pistes inspireront, j’espère, des contributions passionnantes.

Résister : l’interminable combat.

Cet exergue extraite de l’Observatoire Situationniste (15/12/2023)
 [2]
met le doigt sur la blessure (à la longue presque un stigmate) dont souffre les lambeaux du mouvement ouvrier et particulièrement la composante libertaire victimes de biens des illusions : mobilisation/trahison de 1914, le putsch léniniste de 1917, la grande braderie du congrès de Tours 1920, l’euphorie trompeuse du Front popu, le stalinisme, l’invasion de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, la chute du Mur, l’anticolonialisme dévoyé, Mai 68. Chaque étape marque au fer rouge le condamné.

Face au néoTot, nous affrontons une nouvelle campagne de domestication, d’autant plus insidieuse qu’elle s’appuie sur des instrumentations de plus en plus sophistiquées. D’autre part, les Trente Glorieuses ont largement acclimaté le travailleur/consommateur aux plaisirs de la servitude volontaire.

    1. La désobéissance civile a tendance à devenir un dérivé des bénitiers de la bien-pensante. De plus, actuellement elle n’engage que des bonnes paroles. Sa réactivation nécessaire recrute des âmes bien trempées.
    2. Résistance technologique : pas de smartphone, pas de GPS, pas de capteur Linky, pas de prélèvement automatiques, pas d’électrification généralisée… liste à compléter. Les réfractaires deviendront des zombies bons pour la psychiatrisation en cours.
    3. Insoumission, objection de conscience devenues obsolètes faute de conscription demandent de redéfinition.
    4. L’abstinence électorale vertueuse, mais narcissisme, requiert un mouvement collectif pour atteindre, d’abord, une visibilité et une efficacité. Un changement du droit électoral est un préambule. " Voter dur, mais voter dans le trou ".
    5. Désengagement des pièges-à-cons  : militance automatique, suivisme envers les nouveautés piégeuses : wokisme, écologie dite profonde ou radicale, antifasciste passéiste, électoralisme désespéré.
    6. Fuir le tout politique arriéré.
    7. Surtout, revenir aux fondamentaux et les adapter aux contingences néoTot.
    8. Ouvrir sa palette d’informations aux tendances lourdes de l’époque pour les comprendre avant de les décortiquer.