Entre identité et identitaire

Les dérives, individuelles et collectives, taxées d’identitarisme sont le fait de gens dont l’identité est fragile, à la mesure du volume de leurs vociférations pour tenter de le masquer.
L’identité est nécessaire à la construction de l’individu qui va devoir s’inscrire dans une histoire collective, il faut être pour devenir.

Nécessité et égarements

Les dérives, individuelles et collectives, taxées d’identitarisme sont le fait de gens dont l’identité est fragile, à la mesure du volume de leurs vociférations pour tenter de le masquer.

L’identité est nécessaire à la construction de l’individu qui va devoir s’inscrire dans une histoire collective, il faut être pour devenir.

Carte d’identité de Georges Bataille

L’identité est la permanence de la représentation de soi, qui s’acquiert progressivement, par l’identification de ses propres perceptions et ressentis confrontés aux manifestations, conscientes ou non, provenant du milieu dans lequel il se développe. Le petit humain y réagit par ses modes d’adaptation disponibles (confluence, introjection, projection, rétroflexion, déflexion, selon la terminologie gestaltiste). Il élabore ainsi son Moi, ce complexe protéiforme qui nous permet d’être comme sujet non assujetti.

Un Moi peu ou mal structuré, du fait d’accidents de développement d’origines multiples, familiales, transgénérationnelles, historiques et culturelles, vicissitudes de vie diverses, abus, traumas et stress, sera amené, pour tenter d’éviter une perte d’identité, qui serait de l’ordre de la dissociation jusqu’à la psychose, à se cliver en occultant la part destructrice.

Celle-ci sera progressivement projetée sur d’autres, identifiés comme représentants du mal (ou du bien suprême inaccessible, comme les leaders sauveurs), et pourra également resurgir à travers des symptômes somatiques plus ou moins lourds, tendant à la conscientiser ou du moins à la présentifier.

Il est parfois possible que des dynamiques de l’inconscient profond collectif, les « archétypes » de la psychologie analytique, viennent, à travers de fortes épreuves, réparer ces fêlures psychiques, comme le « kintsugi », la jointure à l’or japonaise, et élargissent la conscience.

Mais cette résilience n’est pas toujours acquise, et son processus complexe ne dépend pas de la volonté du sujet, de sorte qu’il est à craindre qu’une telle construction psychique vulnérable ne devienne aisément la proie d’aspects négatifs de ces dynamiques, s’en retrouve « possédée » au sens archaïque du terme, en en vivant éventuellement les richesses exaltantes, mais aussi les pires tourments, conduisant à les faire porter à d’autres, proches ou non, ou à une instance extérieure, dans une pathétique tentative de s’en exonérer, qui ne fonctionne jamais mais peut causer de gros dégâts.

Le texte de Jung sur « Wotan » dans « Aspects du drame contemporain » permet d’entendre cette dynamique de possession individuelle et collective.
Si une personne menacée par ce type de souffrance, tout en parvenant à rester dans le registre névrotique sans basculer dans une pathologie plus lourde, opte pour s’affilier à un groupe qui rassure son être au monde, étaye son identité, il importe d’en entendre la nécessité temporaire, ce qui n’excuse aucune dérive, mais peut servir de tuteur à l’arbrisseau fragile avant qu’il ne se renforce et s’autonomise, si tant est qu’il ne sombre pas dans la dépendance.

L’affiliation à ces collectifs dépersonnalisants du type confessionnels, sportifs, nationalistes et autres communautarismes, fait vite oublier dans l’ivresse partagée la dignité d’être humain, semblable et différent.

Une œuvre au noir créatrice

Le chemin pour s’en dégager, l’individuation, passe par une descente intime dans ses propres enfers, qui n’est jamais garantie, mais s’aide d’être accompagnée par un ou une semblable ayant éprouvé cette expérience.

« L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même » disait très justement Élisée Reclus, mais la Nature, cette Grande-mère archaïque, n’est pas toujours bien disposée, elle donne la vie comme la mort, les joies et les tourments qui vont avec.
La charge de l’humain est de traverser ces épreuves, conscients de nos limites, nous dégageant progressivement de la toute-puissance originaire, de la « position schizo-paranoïaque » pour évoluer vers la « position dépressive », comme les a caractérisées Mélanie Klein.

Cette position dépressive n’est pas négative quand le sujet suffisamment structuré peut l’assumer, elle est conscience des limites et de l’ambivalence, du bien et du mal en soi, intégrés et non plus projetés, et de la persévérance des émergences inconscientes transformatrices, créatrices, révolution permanente intérieure, sans perdre de vue que rien n’est jamais définitivement gagné.

C’est un premier pas dans la connaissance de soi, le « Gnothi seauton » du fronton de Delphes, le retournement d’Élisée Reclus.

Il est certain que ceux et celles qui se réfugient dans l’identitarisme quel qu’il soit, même « anarchiste » ou se prétendant tel, seront outrés par cette perspective, « révoltante » au sens où elle suppose d’effectuer une révolution, intérieure avant d’ouvrir sur l’extérieur, de ne plus accuser l’autre, mais d’admettre que la vie puisse nous remettre en cause dans nos fondements et certitudes, nous qui avons prétendu réduire l’inconscient sous le joug de notre rationalité ou la désinvolture de nos jouissances. Ces supports, nécessaires à notre complétude, montrent vite leurs limites quand ils sont mobilisés comme évitements.

Ce n’est pas la révolution qui accouchera de « l’homme nouveau », mais l’homme transformé par les prises de consciences qu’il aura pu assumer qui révolutionnera la situation sociale, par sa seule présence au monde, débarrassée du passage à l’acte.

L’histoire ancienne se renouvelle

Comme l’a mis en évidence Jacques Cauvin (Naissance des divinités, naissance de l’agriculture. La Révolution des symboles au Néolithique) à partir de ses recherches paléo-anthropologiques, ce ne sont pas des pressions matérielles, extérieures, qui ont ouvert à des changements technologiques et sociétaux, comme le voudrait la doxa marxiste, mais bien l’inverse, des mouvements évolutifs dans les représentations symboliques, qui sont intervenus bien antérieurement à leur actualisation concrète, dans une patiente maturation.

Cauvin a établi la place de l’imaginaire dans les mécanismes de l’évolution humaine, l’importance du culturel dans les développements, et posé l’abandon de l’économique comme facteur déterminant dans l’analyse.

On peut regretter l’« Âge de pierre, âge d’abondance » exposé par Marshall Sahlins, montrer que la révolution néolithique a amené l’accaparation du sol et les conflits en émanant, ainsi qu’un certain nombre de grandes pathologies. Le retour en arrière vers le paradis perdu est très peu probable, à moins d’une catastrophe qui anéantisse la civilisation et nous ramène effectivement à un « âge de pierre », ce qui n’a rien d’exclu tant que la nostalgie nous possède, bien que toutefois dans « Ethnographies des mondes à venir », Philippe Descola et Alessandro Pignocchi ouvrent une voie pour sortir de ce clivage.

Auparavant, quand Sabina Spielrein proposait « La destruction comme cause du devenir », elle avait bien l’intuition de ce qui foisonne dans l’âme humaine, mais Freud rejettera l’idée, avant d’en faire cinq ans plus tard la base de sa « pulsion de mort », son « thanatos », sans citer son inspiratrice, trop marquée à son goût par Jung, son thérapeute avec qui elle avait pu dépasser sa psychose.

Nous restons avec cette incertitude, ce doute, avec comme support pour nous soutenir l’accès à la fonction symbolique, vivante, accès assuré par les rêves, la fonction onirique, en particulier, si nous acceptons de ne pas en intellectualiser l’interprétation, et simplement de les accueillir, sans naïveté ni fascination, mais avec cœur. Cela sans oublier Winnicott, qui, dans « Jeu et réalité », nous rappelle que la fiabilité du cadre thérapeutique permet d’y vivre un espace de jeu, car « jouer est une thérapie en soi »

Yves, de Montreuil.