Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
La Pâque rouge
Article mis en ligne le 1er mai 2023
dernière modification le 15 juin 2023

C’est écrit par Maximilian Volochine (1877-1932), il y a quasiment juste un siècle, — et c’est écrit en Crimée, où il a été le témoin de la guerre, de la terreur (je devrais dire « des terreurs » — il a sauvé la vie de Mandelstam qui avait été arrêté par les Blancs, mais la terreur rouge a été sans commune mesure) et puis de la famine qui a suivi, et qui a consigné ce qu’il a vu. Le texte, justement, s’appelle « La Pâque rouge »

Pris sur le Facebook d’André Markowicz

L’hiver, le long des routes, les cadavres
Gisaient. Des hommes, des chevaux. Les chiens
Fouillaient les ventres, déchiraient les chairs.
Le vent de l’est soufflait dans des fenêtres
Brisées ; de nuit en nuit, les mitrailleuses
Déchiquetaient des hommes et des femmes
Tremblants et nus. Et le printemps survint,
Malade, rachitique, menaçant
Dans la lumière d’un soleil aveugle.
Des avortons sans bras, sans yeux, sortaient
Des utérus étroits. De la sanie,
Non de la boue, coula le long des pentes.
La neige grise dévoila des os.
Le perce-neige était une chandelle
Les violettes sentaient la pourriture
Et le muguet la décomposition.
Les arbres décharnés que les chevaux
Rongeaient toujours passaient en indécence
Les jambes blanches des cadavres. L’herbe,
Les feuilles rougissaient ; le jeune blé
Portait en lui le poids de la fournaise
Et la nature offrait un seul visage
D’horreur transie.


Les vies fauchées
En pleine chair alourdissaient le vent,
Levaient une poussière tournoyante
Où les vivants sentaient hurler la rage
De tant d’amours, de vies inassouvies,
`De tant de peurs, de haines, de vengeances...
L’hiver régnait pour la Semaine Sainte,
Le printemps rouge vit la Pâque en sang
Mais, là, le Christ n’est pas ressuscité.
21 avril 1920, Simferopol
*