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Théorie de la violence, George Labica

Contenu et critique d’un livre majeur de la pensée marxiste sur la violence.

Article mis en ligne le 27 février 2023
dernière modification le 20 novembre 2023

⠀ ⠀ ⠀ DE LA VIOLENCE Georges LABICA
⠀ ⠀ ⠀Vrin 2007. et Delga, 300 pages.

⠀ Titre alléchant par un universitaire galonné et idéologue encarté dans un marxisme orthodoxe, ex-prof honoraire à la l’université de Pékin. Ouvrage typiquement académique dans la forme : très documenté, bien chapitré, notes impeccables. Le fond ne sort pas de la vulgate marxiste-léniniste œcuménique. Tous les poncifs défilent avec quelques analyses intéressantes, mais souvent reprises de travaux universitaires.
Je reprends le découpage des chapitres.

⠀ ⠀ ⠀INTRODUCTION.

⠀G.L constate que la V. est protéiforme, elle présente trois caractéristiques : elle est profuse, diffuse et confuse. Il existe des « violences appréciées comme non-violentes – ex. la chirurgie. Au nom de la civilisation bien des V. furent commises.

⠀La prolifération des types de V. et les tueries de masse du XXième siècle ont mobilisé une palette de plus en plus grande de spécialistes.
Le taux de V. monte-il ? Pas évident, elle se diversifie, au fur et à mesure de son indéfinissabilité. « Elle est co-extensive de l’apparition de la race humaine » (p.13). Position ambiguë, pas de violence chez nos ancêtres pré-humains ? Darwin aurait-il fantasmé ?

⠀« C’est pourquoi, au néolithique, avec l’avènement de la civilisation, la violence est apparue comme profondément néfaste pour le corps social, dont le contrat avait pour fonction de la tenir en lisière, faute de pouvoir l’éliminer totalement » (P.13-4). Dès cette période, les chefs, la hiérarchie, se l’attribuent afin de préserver leur statut. Belle époque « la force se distinguait de la violence, au point d’en être le rempart » (p.14). Rapidement, religions et philosophies la rejettent (?), mais se gardent le droit de l’utiliser au cas par cas afin de se préserver. La v. pour le bien contre la v. du Mal. En résumé « la V., avec un grand V, n’existe pas ».

  • Pour plagier les Tontons flingueurs, elle n’existe que « façon puzzle » dont on ne pourrait assembler les pièces.En résumé « la V., avec un grand V, n’existe pas »..Sa conceptualisation serait donc impossible.

⠀Un mot sur les doctrines de la N.V qui « affirment pouvoir résoudre les problèmes de la v. par des moyens qui ne l’impliqueraient pas et dont l’ambition est de la tenir à l’écart » (p.14). G.L distingue trois types de v. : « la basique, la réactive et la répressive ». Il organise son exposé en chapitres analytiques pour aboutir au concept de « violence structurelle ou systémique. »

⠀ ⠀ ⠀ Chapitre I : Du côté du livre de Job.

⠀G.L utilise comme première démonstration, le Livre de Job, la terrible histoire, d’origine akkadienne et sumérienne, voire babylonienne. Job ne serait pas juif, mais un homme bon (juste ?), pour G.L, il est arabe et palestinien (Génial). D’où l’importance symbolico-politique [1]de commencer sa réflexion par ce personnage persécuté par le Dieu monothéiste. D’ajouter : un arabe incarne la perfection des ancêtres du peuple élu. Job, « le Juste, l’absolument Juste, injustement frappé …est la victime de la plus injustifiable des violences ». Les choses mises au point, G.L pioche avec ardeur dans le texte et dresse un tableau des horreurs vécues par Job. Mais le dénouement de l’histoire rassure ; « Dieu donne raison à Job » et « Yahvé rend tout à Job en double ».
⠀Selon G.L le Livre de Job représente « la véritable matrice des débats et du vocabulaire même, dont la notion de violence est le foyer » (p.25).

⠀En référence à Grégoire le grand, « il voit dans la souffrance de Job la figue du Christ et celle de l’Église, également éprouvées » (id). Job démontre « qu’il n’y a nulle relation nécessaire entre le bonheur et la vertu, entre le malheur et le péché. » Saint-Thomas, Kant ou Kierkegaard voient en lui une figue de la sincérité, « le modèle de celui qui accuse et qui proteste ».
⠀G.L fait l’inventaire de la postérité littéraire de Job : Claudel, Hugo… : Job devient le « porteur du sens du monde » (p.28). Aussi, postérité lexicale : jobard, jobarderie, jobbe, enjobardé. [2]. Péguy « Les armes de Satan c’est la jobarderie ».
Il conclut le chapitre : « la souffrance et le malheur demeurent investis d’une obscurité qui ne saurait être dissipée » (p.31).
Job démontrerait l’inutilité de la violence puisque ses persécuteurs sont châtiés et d’autre part il est « l’absolue métaphore » du Système qui se met en place.

⠀Choisir la figure de Job est justifié, mais occulte un aspect important : celui de la violence des dieux nationaux des contrées du M.O (Baal, Marduk…) ayant servis de modèle à la construction du monothéisme, passage d’un Dieu ethnique à un Dieu unique et universel, à la fois violent, jaloux et vengeur.

  • ⠀En mettant en avant Job, G.L évite de souligner le rôle déterminant du monothéisme dans la sacralisation de la violence dans la mentalité occidentale. En quelque sorte, il sauve les meubles, car cette violence doit garder aux yeux du courant de pensée dit « socialo-révolutionnaire » toute sa sacralité et sa force symbolique pour soulever les foules opprimées. (Cf. Les derniers chapitres).

⠀ ⠀ ⠀Chapitre II : Du côté des martyrs.

⠀Partant de l’idée que le « Livre de Job est au cœur de l’œuvre de Bosch », G.L se lance dans une vaste analyse de la peinture. Démarche intéressante, car elle aborde une autre facette de la culture occidentale. La violence se fait spectacle, transgression ou apologie des martyrs. Les Piéta expriment le dolorisme inhérent au christianisme. Les Piéta et les multiples œuvres relatant le supplice des martyrs offrent un large panorama des violences possibles avec un mélange de douleur et de volupté avec une forte de sublimation de la douleur en délivrance. (Pathos dont nous assumons l’héritage).

⠀« La haine-fascination pour la chair et le masochisme de la conscience de culpabilité du christianisme ont alimenté et renouvelé constamment le goût des souffrances en donnant lieu à de véritables orgies visuelles, axées sur les multiples formes de supplices. Les martyres représentent un sujet de premier choix ». Le choc des photos mieux que les mots. Les accortes jeunes martyres érotisent le thème de la mort. Les saints terrassent les dragons ; le sang coule, le gore émeut et promeut la Foi.

⠀La mise en tableau de la lutte entre le Bien et le mal (Enfer et Paradis) domine prouvant, ainsi, que le monothéisme (christianisme, mais aussi islam) reste fasciné par le manichéisme. St Augustin n’a pas réglé la question.

⠀Le thème des Vierges à l’enfant interdit, jusque dans ses expressions les plus ouvertement mystiques, de faire le départ (partage) entre le religieux et le charnel, entre la foi et l’érotisme » (p.52). A juste titre, G.L signale que le christianisme est aussi une vaste entreprise de recyclage du judaïsme, des traditions et des déités de son environnement méditerranéen.

⠀ ⠀ ⠀Chapitre III : Du côté de la démence.

⠀ Ici, G.L analyse la tragédie grecque haut-lieu des turpitudes des dieux et des hommes. Le destin remplace Yahvé dans la vaste entreprise de jobardisation. La mythologie grecque et le théâtre des grands tragédiens ne connaissent pas le péché originel, les desseins impénétrables du destin tombent sur les héros sans avertissement. Hommes et femmes de la tragédie croulent sous les maux qu’aucun mot ne peuvent qualifier. Toutes les turpitudes sont sujettes à la dramatisation comme système. Du côté de la féminitude, l’Ève biblique fait figure d’oie blanche, de chaisière bigote qui grignote sa pomme à l’ombre de l’arbre de la vie. Petite misère d’un côté de la Méditerranée, gouffre sans fond de la fatalité de l’autre. Au pays du LGBT ensoleillé, le malheur hante la faune humanoïde. Ici, « la race est vouée au malheur », sans la cause d’une Chute volontaire. Univers de monstres, luttes de monstres contre monstres. Le génie pour le mal remplit les amphithéâtres pendant que les esclaves turbinent aux champs et dans les vapeurs des cuisines. Servitude et Turpitudes, les deux sources de la morale grecque. Des noms restent dans notre culture : Œdipe, Hélène, Oreste, Électre, Créon, Cassandre, Clytemnestre, Moira, Ananké… La violence dégouline en vers à la prosodie parfaite.

⠀ Faut-il jeter la « grécitude » en bloc ? Y a-t-il une autre lecture possible à ces noirceurs ? Jacqueline de Romilly, dans son livre, La Grèce antique contre la violence, propose des arguments. Pour elle, les Grecs « ont plaidé contre la violence avec plus de force que quiconque…A la tyrannie, ils ont opposé, la justice liée aux lois… ». L’exposé et la mise en scène du mal servent à montrer les risques de violence innée à la race.
Lecture rassurante ? Toutefois, il est vrai que la philosophie naissante entre en conflit avec les mythes. Au « c’est comme ça », « les dieux l’ont voulu », il faut substituer la recherche causale. Chez les Hellènes, le Malin n’est pas aux commandes, ils ignorent le manichéisme de leurs voisins du M.O. Platon, sous le couvert de Socrate, monte au créneau avec son artillerie lourde (Théétète).

⠀L’antidote de la violence sont la loi, la justice, la douceur. La violence n’est pas au service de la religion comme dans le monothéisme naissant, enfant légitime des dieux nationaux sanguinaires. La postérité de l’héritage grec est bien connue : relire Shakespeare, Racine…

  • Dans ce chapitre, G.L expose parfaite la bipolarité de notre culture. J’y vois, pour ma part, un encouragement à poursuivre le travail de fond de vivisection du monothéisme et de l’héritage grec. Prolégomènes indispensables à une désintoxication, voire, si possible, à une thérapie génique. Affaire à suivre…

⠀ ⠀ ⠀ Chapitre IV : Hier et aujourd’hui.

⠀Les représentations de la violence restent le mode d’accès évident faute d’en connaître les multiples facettes, l’embrouillamini inextricable. Les contes pour enfants : le Petit Poucet, Barbe Bleue, Le Petit Chaperon rouge… (Perrault, Grimm et consorts) reprennent le flambeau. La littérature prend le relais des tragiques et des historiens, à la suite de Thucydide ou d’Hérodote, elle initie un nouveau genre, l’histoire comme reportages aux pays des grands malfaisants, des grands-hommes (Hegel) et dont les noms ornent les monuments aux morts. Les hérésies et l’Inquisition, la conquête vers l’Ouest (Christianisme : une bonne centaine de millions de morts en quelques siècles), vers l’Est (Islam) avec son cortège de massacres, de destructions de cultures locales (les Talibans et les Djihadistes actuels finissent le travail).

⠀« Le western, cycle privilégié de la vengeance représenterait, grâce à l’indéterminé d’un espace ouvert, un substitut de la tragédie antique, auquel l’esprit de conquête surajoute l’extermination d’un Autre jugé de trop » (p.81-2). L’hécatombe et le génocide deviennent les la nouvelle épopée. Le Gore dégouline de sang ; le polar, une forme typique de notre modernité industrielle se pare de prix littéraires. Fiction et réel disparaissent dans la narration. Une nouvelle industrie se développe, le meurtre en direct devient possible. « Le casier judiciaire du XXIème siècle apparaît aussi chargé que celui des siècles précédents (p.83) ».

⠀Autre recette, la juridisation galopante reprend le désir de lois, le numérique remplace le papier carbone. De nouvelle criminalités apparaissent : crimes contre l’humanité, droit d’ingérence (la Guerre juste, le retour, Saison 2…). La violence postmoderne écrase les balbutiements de nos aïeux. L’économie se mondialise, les maffias aussi. «  La violence désormais n’épargne aucun domaine » (p.89), traduction mécanique de la marchandisation généralisée. La violence est devenue l’emblème de nos sociétés. Nous avancions à grands pas dans le progrès, le Grand-bond en avant a un goût de charogne et une odeur de mort collective. La violence devenue catharsis salvatrice réquisitionne l’érotisme et le divertissement HD, le home-cinéma en direct des chambres à gaz. La réalité augmentée comme vérité.

⠀Le problème du mal* [3]. ressurgit, les sectes prolifèrent. Malraux avait raison, le religieux revient en force.

⠀Je ne résiste pas à l’envie d’une longue citation pages 92-3 (il s’agit de la guerre d’Algérie) : « Cette guerre, qui m’est imposée et où je me trouve embarqué, est la mienne, car je puis toujours la refuser, par la désertion ou le suicide. On sait qu’une telle thèse a connu des adeptes, au moment de la guerre d’Algérie, qui en fournissait l’occasion. Mais, outre le fait qu’elle demeure individuelle et ne prend pas en considération la possibilité d’une réplique collective, par le canal de pétitions, de manifestations de rue ou de grèves, les quelles eurent bien lieu à l’époque, elle est plus éthique que métaphysique et, par conséquent, assez peu éloignée de l’attitude chrétienne. »

  • Né en 1930, G.L a dû œuvrer sous les drapeaux et en tant qu’arabophone à une place intéressante !!!!! Son alternative : désertion ou suicide, dénote une méconnaissance totale de la notion de désobéissance civile, de l’objection de conscience, du refus de l’impôt… On retrouve ici les tares fondamentales du marxisme et du socialisme. Guy Mollet et Mitterand auront toujours des adeptes.

⠀ La fin du chapitre fait le point sur la nouvelle figure de la violence comme système, un déterminisme :
– Elle procède par enchaînement, « c’est le premier pas qui compte ». (revêtir l’uniforme ?)
– Elle est cumulative. « Le tueur à gages s’installent dans la routine professionnelle » (p.95).
⠀⠀ Elle est compétitive. Sport moderne et réciprocité oblige. La chevalerie devenue vendetta. La violence fait cycle, selon la célèbre « spirale » qu’il ne faut surtout pas court-circuiter.
– Elle est spécifiquement humaine. L’Autre c’est moi. « L’inhumain est le fait de l’homme qui dit l’inhumain à son propos (p. 96). Le non-humain renvoie à l’animal, donc « la violence tient bel et bien, d’essence à l’homme ».
A ce stade, G.L reconnaît : « Nous ne sommes pas plus avancés quant à la question de l’origine de la violence. Et encore moins quant à sa limitation sinon son abolition ».

Tant qu’il s’agit de faire l’inventaire, de classifier, l’universitaire est à l’aise (il est payé pour). Phraser n’est pas suffisant.

Chapitre V : A la recherche du sens.

Il ne suffit pas que le mot violence aille de soi, une approche lexicale et sémantique permettra d’éclaircir la problématique.
En français, on a : violer (1080), violent (1213), violence (1215), violenter (XIVème siècle), violateur (1412), viol (1647).
En latin, violentia signifie violence, force, emploi de la force (« vi victa vis est », la force a été vaincue par la force » Cicéron). Les vires = forces armées, force vitale, viril, propriété. Vira =la femme qui a des qualités d’un homme, la guerrière, l’amazone, la virago de notre vocabulaire.
Virtus, ce qui fait la valeur de l’homme, ses qualités morales. Sens que reprend Machiavel dans virtu.
En grec, bia et bié signifient la force, abstraction à partir de l’arc (arme). Intéressant, bios = vie, moyen de vivre. La vie c’est la violence et réciproquement. Lourde hérédité largement reprise par les philosophes : Spinoza, Nietzsche… Il faut discipliner les passions, maints traités tenteront de fournir la description des passions et les recettes pour les contenir.
Hybris, toujours en grec, désigne la violence, l’excès, l’impulsivité, la démesure dans la violence. « Il faut éteindre la démesure (hybris) plus qu’un incendie » (Héraclite fragment 43).
« La violence ne tombe pas du ciel, elle est naturelle et d’abord physique » (p.101). En grec, il n’y a pas de lien entre la violence et le mal, pas de scission et pas de dualisme péché/salut, chute/rédemption. Héraclite : « Le bien et le mal sont une seule chose » (fragment 58).
Ne pourrait-on pas reprendre la formule « la violence et la non-violence sont une seule et même chose ». J’avoue que l’idée mérite d’être approfondie, cela sortirait de la problématique antinomique évoquée dans ma première note).
La psychologie reprend le flambeau. « La violence, une clé de la structure humaine, institutionnelle, sociale » ou « le noyau d’identification d’une identité primaire narcissique dont le principal objet demeure le sujet lui-même ». Elle est un phénomène complexe qui se construit sur le terrain, entre angoisse, émotion, satisfaction ou répulsion. On parle donc d’agression, d’agressivité, Freud : « c’est précisément l’accent mis sur le commandement : tu ne tueras point, qui nous donne la certitude que nous descendons d’une lignée infiniment longue de meurtriers qui avaient dans le sang le plaisir du meurtre, comme peut-être nous-même encore » (Actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915). Comme Gagarine qui ne trouva pas Dieu dans l’espace, on n’a jamais trouvé la localisation cérébrale de la violence ». Mauvais coup pour le mythe du bon sauvage perverti par la civilisation. En dehors de la fiction, il n’y a pas de gène de la criminalité.
L’histoire de la violence est plus facile à faire que de la définir, la comprendre ou d’y porter remède. La typologie sert de matrice à la description : violence privée, violence publique, violence du hasard. Faire la différence entre la violence de domination et celle de libération ? Le fusil changerait de nature selon le doigt qui appuie sur la gâchette. Le débat sur la neutralité des instruments reste ouvert. A « la banalité du mal » (Arendt) se juxtaposerait-il une « neutralité de l’instrumentarium malin » ? Ne pourrait-on pas parler d’une « mythologie de la violence » ?
Les deux champs d’honneur de la violence : le crime et la guerre, violence privée/violence publique. Abel et Caïn et violences policières, même combat !? Dans le recensement des formes de violence, l’inventaire dépend aussi de la vision du monde du recenseur. Le conjoncturel met à mal l’universalité des normes si chers aux juristes kelseniens. Le seul point commun à tous les crimes petits ou grands est l’incrimination du législateur et du juge. Le crime n’est plus comportemental… il devient politique et dépend de la distribution du pouvoir dans la cité (p. 110). Pas de loi, pas de crime ; la loi engendre la transgression. La question de la violence réserve des surprises et des contorsions idéologiques. Vous avez dit violence ? « Il y a une griserie à se trouver, hors droit, dans son droit » (p.113). G.L complète par une citation de Montaigne « Les meurtres de victoires s’exercent ordinairement par le peuple et les officiers du bagage…cette canaille du vulgaire… » (Les Essais, Liv, Ch XXVII, Pléiade p.671). Le massacre comme transcendance du pouvoir, « ivresse des cimes ». L’hybris, cette dépravation identifiée par les Grecs, rend licite le pillage. Ici pas encore de légitimation raciale qui donnera naissance à la notion de génocide (ce que tu tentais de démontrer, dans notre article sur l’universalisme). Le progrès de l’histoire s’affiche dans les horreurs des guerres de religions, les conflits ethniques en parallèle d’une satisfaction à promouvoir une civilisation des mœurs et du droit. Le religieux et le politique s’imbriquent et la notion de guerre totale apparaît par « la militarisation complète de l’espace et des populations ». La guerre comme génocide : Amérindiens, colonisation(s), Arméniens, des Juifs. « Le XXème siècle fut par excellence le siècle des massacres ». Le cannibalisme devint l’horreur absolu des civilisés massacreurs, la bonne conscience des porteurs d’une civilisation policée, évoluée, mais carnagière au lieu de carnassière. (Le cannibalisme vaut une étude approfondie continent par continent, elle réserve des surprises. A suivre).
Au fils des siècles, « la violence a tout investi. Il n’est plus d’espace sacralisé ni même préservé » (p.117). L’âge de la délinquance s’abaisse, le vocabulaire guerrier s’infiltre au-delà des casernes, le sport devient « lutte à mort », drapeaux, hymnes, cannettes (en souvenir de la vinasse et du schnaps des tranchées !!!!). L’ordonnancement militaire s’est fait logistique, l’industrie suit la logique de l’asservissement « à la chaîne ». A la violence ordinaire s’ajoute la violence discursive (E. Balibar). Au cinéma et à la télévision élargie aux écrans de poche, la violence se fait métaphore et métamorphose le réel. Les médias font leurs choux gras des violences naturelles, les catastrophes tuent, mais elles fournissent du grain aux usines à images et aux commentateurs compassionnels. La V. « coextensive à l’activité humaine » (p.122) pose le délicat problème de sa définition .
Premiers jalons pour un concept de violence :
– Il prend appuie sur la v. physique comme modèle de référence.
– C’est une pseudo catégorie fonctionnant comme une catégorie.
– Sa polymorphie en fait un magma conceptuel, un ramasse-miettes.
– C’est son caractère indéfinissable qui constitue son concept. Est-ce un méta-concept ?
– La violence n’est pas un concept, mais une pratique ? Position dangereuse car elle évacue la complexité théologico-théorique du questionnement.
– « Viologie » logique de la violence selon Lacan. La logique de la violence reste à formaliser au modèle de la Logique de la philosophie d’E. Weil.
– Concept de violence = rationalisation de la violence pratique, logicisation de l’irrationnel ?
– Relire : Weber, Arendt, E. Weil, Anders, Walter Benjamin, Cusset, Wieviorka…

Chapitre VI : De la souffrance.

Quel que soit le sens du mot, toute forme de violence engendre de la souffrance. La v. omniprésente engendre de la souffrance consécutive aux oukases du « donneur d’ordre ». A la polysémie de la v. correspond l’éventail des souffrances.
La graine de violence (délinquance) signalerait le déclin de la civilisation et le retour à la barbarie . La vulgate bienpensante « condamne la violence, toute forme de violence ». Bel unanimisme devant le « péril jeune ». Le suicide des adolescents signale le malaise, les milieux LGBT étant plus fragilisés. Les psy innovent, la résilience fait une apparition remarquée dans les discours d’abord savant puis journalistiques. (Idem pour addiction – retour de la pudeur verbale, nous ne sommes plus des sourds, mais des malentendants appareillés, rassurant s’pas !). « La violence est un clignotant de la souffrance… La souffrance ne trouve pas sa source dans une barbarie, mais dans la souffrance de celui qui s’y trouve acculé » (p. 135). Au modèle de V / N-V on peut parler du couple Souffrance / Violence (S / V). Certains auteurs parlent de : « Violences, féminin pluriel ». Il existe une violence en retour : vengeance, revanche et même vendetta. « Œil pour œil » toujours d’actualité. La fabrique de la violence n’est pas uniquement un titre de roman .
(La violence est aussi un marqueur, le retour des rites de passage, à ne pas confondre avec la torture, légitimation douteuse (excision). La prolifération des tatouages, percings et autres marquages (mode) voulant personnaliser l’individualisme de masse (customisation), n’est qu’une étape supplémentaire dans la fabrication du corps-marchandise, étape nécessaire dans le renouvellement des signes et de la croissance. Ensuite, le « détatoueur » peut faire le Monsieur Propre et le dermato voit sa salle d’attente s’emplir).
N’oublions pas la souffrance plaisir, la formule V / S / Pl prend sens. On retrouve le modèle christique, la Passion comme voie royale vers la béatitude et la paix. « Une souffrance peur être préférable à un plaisir quand on en attend un plaisir plus grand » (Epicure).
On cite aussi la violence pure et la violence gratuite (pour qui ? la victime ?), violence de la violence, expression édulcorante pour cruauté. « La violence peut être juste, la cruauté ne l’est jamais », la violence implique une rationalité minimale, la cruauté une overdose de logos dévoyé. Violence = révolte de la victime, cruauté = volonté du tyran.
La guerre fusionne la violence privée et la violence publique. La guerre : le paradis des tourneurs de manivelles (gégène), la chèvre devient loup. La guerre légitimise la v., la transformant en sacré sécularisé. L’abolition de la peine de mort n’a pas asséché la soif du sang versé sur la place de grève. On pourrait presque écrire un nouvel apocryphe : l’Évangile du bourreau. Un doigt de psychanalyse : nostalgie et mélancolie, une maladie du moi, relevant de la pulsion de mort (Freud), un « deuil qu’aucun deuil ne saurait atteindre » ni éteindre. N’oublions pas que le génie n’apparaît que chez « les hommes atteints de fureur » (Démocrite). La psy, tous genres confondus, reconnaît volontiers son impuissance à cerner la question. Depuis Aristote et sa « bile noire », les penseurs y perdent leur latin. Depuis « Orange mécanique » nul douter que « la violence est une maladie sociale incurable » (p.146).

Chapitre VII : De l’a-violence.

La v. fait l’objet d’une condamnation quasi universelle. C’est bien connu « nul n’est méchant volontairement ». Le très grec St Paul reprend l’adage platonicien : « …Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fait, c’est le péché qui est en moi » (Épitre aux Romains 7,15-20). G.L refuse de tomber dans le piège tendu par le monothéisme avec le conflit Bien/Mal/Liberté. Il se borne à aborder « les formes de la non-violence ou plutôt de l’a-violence, le privatif paraissant davantage indéfini et donc plus malléable.
Il commence par rappeler les tensions internes au monothéisme – le double discours « tu ne tueras point » et « tu dévoreras tous les peuples que l’Éternel, ton Dieu, va te livrer ». Le Deutéronome regorge de déclarations vengeresses, d’appel au meurtre saint, voir à l’extermination. Cool, la Sainte Écriture. Toujours Paul : « La lettre tue mais l’esprit vivifie » (Corinthiens 2,3,6) ; Jésus « souverain sacrificateur pour toujours » (Hébreux 6, 20 et 8, 1). « Aimez-vous les uns les autres…je vous laisse la paix, je vous donne la paix » (Jean). Bref, la dualité V / NV s’inscrit dans le marbre dès les premiers pas du monothéisme, les successeurs suivront le chemin. Luc a des paroles plus qu’ambiguës : « Si quelqu’un vient à moi, s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc 14,26). Pour cette tradition, le péché est à l’origine de la violence. Le clou du spectacle : l’Apocalypse de Jean, le scénario idéal pour faire suite à Game of Throne. « Gott mit uns » est le signe de ralliement des adeptes de la monoculture du Livre. Pour mémoire : les croisades, l’Inquisition, l’expansion européenne et l’expansion musulmane. Islam s’est dopé des élixirs de ses deux prédécesseurs. « … Prémunissez-vous en vers Dieu. Dieu est terrible en Sa punition » (Coran, V,2). Le djihad de l’épée prend le pas sur le djihad du cœur. Les trois compères se gaussent d’universalisme, ne faut-il pas conquérir le monde en Son nom et pour Sa gloire, après avoir proclamer l’unité de l’homme donc l’indifférenciation raciale. Bonjour la transgression. Le monothéisme recycle la pulsion de mort et la violence. Le foisonnement des dieux (polythéisme) était plus favorable à la liberté de culte. Le monothéisme avec « un seul Dieu, absolu et terrible, maître de toutes choses » (p.156) promeut la tyrannie.
Du côté grecque, le logos se substitue progressivement aux mythes et la technè fait son apparition. La calculabilité du monde change la donne. La physis (nature) sert de matrice et s’oppose au nomos (loi) artificiel. Face à la violence, la morale exige de prendre sur soi. Pour Épictète il n’y a de progrès social, le seul progrès est personnel. La nature ne connaît pas la transcendance. G.L parcourt l’histoire de la pensée grecque. Par exemple, « les sophistes inventent la démocratie » au grand dam de Platon qui se fendra d’une République et de Lois. Au-delà les divergences, les penseurs grecs voulurent jouer un rôle politique y percevant un remède contre la violence (tout en s’appuyant sur l’esclavage). Ils inaugurent aussi la longue liste des philosophes Conseillers de Princes (p. 162) (les derniers en date Bergson ou Kojève et la prolifération des philosophes médiatisés).
Pour clore ce chapitre, G.L aborde la rude question du rapport de la violence et du droit. Le droit se donne comme exclusif de la violence. Le droit canonique tentera de la réglementer. « Droit et violence sont indissociables » (p.163 ». Dans son petit essai, W. Benjamin part de l’idée que toute « critique de la violence » consiste à mettre en relation droit et violence. Le recours à la violence privée mine l’ordre juridique. Le monopole du droit sur la violence sert à protéger le droit lui-même ». G.L rappelle que la grève est un droit à la violence reconnu de haute lutte (Influence de G. Sorel). « L’État craint la violence comme « fondatrice du droit » (p.164), car la « fondation du droit est une fondation de pouvoir et, dans cette mesure, un acte de manifestation immédiate de la violence ». Quant à la violence conservatrice du droit, elle s’affaiblit elle-même dans la répression des contre violences hostiles.
Droit / violence forment une antinomie, la résolution de conflits s’effectue au moyen de la violence. Cercle vicieux. Ex. l’insurrection est suspensive du droit, avant que ne soit instauré un droit nouveau. « La critique de la violence est la philosophie de son histoire ». Le droit dissimule son origine violente, le monopole de son exercice en tolérant certaines violences. « Le Droit se modifie, car la violence continue à l’habiter » (p.165). Ainsi, toute Révolution est illégale.
« On trouve de la violence jusqu’au cœur de ce qui se pose comme son contraire. »

Provocation : Et si la violence était le seul universel.

Chapitre VIII : de la non-violence.

(Chapitre touffu, je suis le texte, avec mes commentaires et quelques pistes d’approfondissement).
Classique, G.L part de l’opposition guerre / paix, il constate que l’homo homini lupus de l’état de nature ne demeure pas moins lupus une fois advenue sa conversion en homo homini deus de l’état social. De la sauvagerie à la domination, vaste chemin vers le progrès ?
L’Antiquité séparait soigneusement l’Irénarque (en charge de la tranquillité dans les provinces de l’Empire, du Polémarque (général ou ministre de la Guerre selon les époques). Aujourd’hui l’équilibre de la terreur maintient une « paix par la peur », autrement dit l’ordre politique est inséparable des hostilités exprimées, larvées, potentielles ou réelles. De toute façon, la pseudo-paix tient par la violence juridique ; ou bien « délocalisation des conflits » repousse le spectacle loin des yeux des manipulateurs, même si l’instantanéité de l’information assure « une couverture » pacifiante, réduisant les combats à un spectacle proche des images filmiques. Déréalisation et bonne conscience font bon ménage ? La dé-mondialisation multiplie les conflits armés. Sinon que faire des stocks en perpétuel obsolescence/renouvellement. Bref ces combats propagent « une fiction hypocrite selon laquelle la guerre pourrait protéger ou faire advenir la démocratie » (p.169). Un doigt de droit d’ingérence et les bonnes âmes se pâment.
G.L se pose la question de savoir si l’antimilitarisme est une option radicale en faveur de la Paix. « Qu’il soit anarchiste ou révolutionnaire, il dénonce avant tout l’armée en tant que qu’institution. Il n’envisage pas l’abandon de toute violence » (p.169-170). Ce qui n’empêche pas un engouement pour l’uniforme. Après une longue liste de cas dans l’histoire de France, notre auteur lâche un bon mot : « un pacifisme troupier, en quelque sorte ». Pour lui l’objection de conscience et la désertion ne sont que des cas individuels avec une « valeur d’exemple ». Question « pourquoi la désobéissance civile est-elle si peu utilisée ? : La culture dominante est la culture de la violence et non pas celle de la paix ». La répétition célèbre « Plus jamais ça », ou de « La der des der » (comme à la belotte) le prouvent. (Pour G.L, les choses sont claires, l’uniforme est le moyen pour les élites révolutionnaires d’apprendre le maniement des armes, il faut être prêt pour le prochain putsch marxo-léniniste. Le grand rêve éveillé des nostalgiques du XIXème siècle.)
Le pouvoir dispose pour perpétuer son hégémonie de caste d’une autre arme : l’amnistie, « la clémence d’Auguste qui se situe au-dessus des droits de l’homme ». Grandeur d’âme du vainqueur après les procès et les exécutions sommaires.
Les constructeurs de paix perpétuelle s’appuient sur le Logos, la raison et l’utopie en tant que « force transformatrice », le « « non-encore advenu » du Principe Espérance cher à Ernst Bloch. En Occident, de la Grèce (Platon… puis la Cité de Dieu, l’Utopie, la Cité vertueuse d’Al Farabi, la Cité du Soleil, les Phalanstères) à la chute du mur de Berlin, les grands rêves ont chu dans les vastes poubelles, sans fond, de l’histoire. Du côté de la Chine, Confucius (Maître Kong, presque contemporain de Platon) promeut une fidélité au passé en s’appuyant sur la « théorie des cinq relations » (prince-sujet, père-fils, mari-femme, frère aîné-cadet, collègues-amis) qui structure les rites indispensables aux rapports sociaux, à la pérennité du pouvoir et de l’état. Pensée qui féconde toute l’Asie avec un système de fonctionnaires hiérarchisés, les mandarins, une écriture lisible dans tous les dialectes de l’Empire. Mencius, Maître Meng (370-290), l’Aristote de l’Empire du Milieu, compléta la doctrine confucéenne en « définissant raisonnable » le gouvernement établis sur la bienveillance . Pour les deux compères « la vertu est la condition de la cité harmonieuse et l’homme la possède, car sa nature est bonne ». Xun zi (298-268) ajoutera une dose de rationalisme à l’édifice des honorables prédécesseurs. Nos chers Jésuites ramèneront de Chine cette idée de corps bureaucratique spécialisé. « A la spéculation utopique gréco-occidentale, qui aspire au fond à réaliser le paradis sur terre, est substitué, dans le contexte extrême-oriental, l’inlassable souci de l’ordre social, insertion dans le kosmos universel. Immanence et transcendance…expressives de deux cultures, l’une attachée à l’ordre du temps (chronos) et du lieu (topos), l’autre postulant leur dépassement : uchronie et utopie » (p.174).
G.L rattache la N-V à l’eschatologie qui met au rencart toutes les compromissions dialectiques entre guerre et paix, entre chute et rédemption. Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie est considéré par G.L comme le premier texte théorique de la non-violence. Le tyran utilise la passivité, le renoncement, la servitude volontaire aidé par sa troupe de courtisans, de conseillers et de vigoureux spadassins. La vaillance se perd avec la liberté et la pensée. « Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres ». Pas besoin de combattre le tyran pour l’abattre. G.L y voit une « non-violence négative », inrecommandable tant elle ressemble à « la paix des cimetières ». (Nous sommes vraiment au cœur de la théorie de la violence nécessaire, mourir les armes à la main fait le héros et le martyr (on est toujours dans les relents nauséeux d’un monothéisme incurable), la non-résistance résistante une ânerie de crétins). Ensuite, notre théoricien fait un rapide inventaire des doctrines non-violentes. L’ahimsa (non désir de tuer) de Gandhi reprenant la tradition hindou et surtout jaïniste de sa propre mère. Gandhi s’inspire de Ruskin, Thoreau, Tolstoï et il élabore une « série de mesures stratégiques au service de la rébellion non-violente : désobéissance civile, organisation du désordre, un discours de réalité contre les mensonges des dominants, la cessation d’assation d’activité (hartal), la non-coopération, boycott des produits étrangers…G.L ne se prive pas de rappeler les faiblesses de l’indien anglicisé : en 1906, il opte pour obéir à la raison d’état lors de la répression contre les noirs de Natal, en 1918, il se fait recruteur pour l’armée britannique. Ses positions produisirent régulièrement des affrontements intercommunautaires et sa cécité favorise le séparatisme musulman. G.L cite Hervé Chaigne, Évaluation du gandhisme que je reproduis : « En conclusion, on peut dire que le satyagraha en tant que projet social n’échappe pas aux ambiguïtés dans lesquelles tombent les spiritualismes qui se refusent à reconnaître l’autonomie du temporel » (p.182). Bref, son idéal paysan anti-industriel , son ascétisme assimilant le sexe et la violence font de lui un personnage haut-en couleurs, mais contradictoire. G.L persifle encore « on ne peut nier que les émules de Gandhi lui ressemblent, imprégnées qu’ils sont de religiosité, de foi dans la bonté de l’homme, de méfiance de la modernité et, par cela même, d’un idéalisme dont l’impuissance concrète n’est tempérée que par son exemplarité éthique » (id.).
GL poursuit son inventaire avec Lanza del Vasto, « fils d’un propriétaire terrien sicilien de haute ascendance » (sic), Martin Luther, bricoleur unissant évangile et non-violence. Avec Arendt, G.L se demande ce qu’aurait fait Gandhi devant Hitler, Staline ou le Japon en Manchourie. Il va de soi que la n-v est l’héritière de la tradition chrétienne, celle d’avant Constantin.
G.L conclut son catalogue par :
Les nobles attentions ne changent pas le monde.
« A quelles conditions le non-violent peut-il être autre chose qu’un pur en marge de l’histoire ». Paul Ricœur, Histoire et vérité p.235, 1955.
« Il y a certainement des degrés dans la violence qui accompagne la formulation et la mise en œuvre des idéaux, mais pas de degré zéro. Il n’y a pas de non-violence ». Etienne Balibar in De la Violence I p.87.

De ce fatras super documenté, il faudra reprendre plein de points et relire attentivement les textes cités : W. Benjamin, Arendt, Weil, R. Aron, Ricœur, Rawls, Girard, Balibar…
Après le concept de violence, celui de n-v ?????

Chapitre IX : Du Pouvoir.

G.L attaque la problématique centrale : comment s’opposer au pouvoir en refusant la violence. (Il va de soit dans l’esprit de l’auteur que c’est le pouvoir théologico-politico-capitaliste l’incarnation du pouvoir).
Comme premier exemple, il prend la Théologie de la Libération comme sujet de réflexion. Il précise que les caractéristiques de ce mouvement essentiellement sud-américain est très différent de la non-violence. La date de référence 1492 marque le début du « plus grand génocide de l’histoire » . Le Portugal, l’Espagne, la France et l’Angleterre, les Pays-Bas sont à l’œuvre pour de longs siècles sanglants d’asservissements (plus importation d’esclaves africains). La Théologie de la Libération substitue la pauvreté au prolétariat, ce faisant, il se situe sur le terrain du christianisme hétérogène. La Libération prend figure de « volonté révolutionnaire », la révolution de la faim. G.L rappelle judicieusement la révolution des paysans de Thomas Münzer et celle du mouvement chartiste. Position qui met la Th.L en opposition à l’Église institutionnelle engluée depuis le début de la Conquête dans la Collaboration avec les royaumes chrétiens. Il faut souligner que « les théologiens de la Libération défendent le pluralisme religieux et considèrent les autres religions comme légitimes » (p.192). Ils ne font que reprendre la vieille tradition ambiguë de la tolérance restreinte aux courants religieux, les autres religiosités (polythéismes, animismes…athéisme(s) restent les ennemis à convertir, à détruire. (La tolérance « intolérante » ( ou phase ultime et auto-satisfaite de l’intolérance) serait un sujet pour l’E.A. Les maisons de tolérance ont toujours un clocher, un gibet et un ossuaire bien garni !!!!). La Th.L se pose dont la question de la non-violence, sans rejeter la violence évangélique qu’il faut organiser. (Retour à la bonne vielle guerre juste de Grotius.). Il est à noter que les courants de la Th.L n’ont pas vraiment d’unité doctrinale et des relations plus ou moins proches avec le marxisme ce que les détracteurs avaient parfaitement compris. G.L fait une liste des autres courants : arabe d’Ibn Badis, ou celui de Marc Ellis dans Vers une théologie juive de la Libération. La Th.L cèdera le pas et les courants évangéliques (surtout pentecôtistes) et afro-américains s’engouffreront dans la brèche.
« Quiconque a les pieds nus marche plus près de Dieu » (V. Hugo)
La question posée est bien celle du pouvoir et de sa relation avec la violence. Une première approche lexicale met en valeur l’ambiguïté du vocable le couple Pouvoir et Violence. Le finnois affine, valta = violence, väkivalta = le pouvoir par la violence. Marcht, Kraft, Gewalt et dérivés soulignent la polysémie comme celle de logos devenu un fourre-tout.
Après ce préliminaire, G.L retombe dans son péché mignon d’accumuler les citations et les références sans véritablement approfondir les assertions. (C’est là qu’il faudra reprendre patiemment l’écheveau et en suivre les fils conducteurs. Cf. ma remarque dans le mail sur Quelquejeu). Lénine promeut « une politique de la violence » dans le but d’asseoir la dictature du prolétariat. Les marxistes patouilleront allègrement dans la mélasse faute d’avoir approfondi la question et d’être restés au niveau des textes fondateurs (et simplistes) de Marx/Engels. S’il n’y a pas de différence de nature ou de genre entre le pouvoir et la violence, position classique du credo philosophico-politique, une question naïve vient à l’esprit : Refuser la violence, c’est refuser la politique ??? (Pas si simple, le réductionnisme des intellectuels patentés ne fait pas avancer le schmilblick. L’introduction de la force et du droit comme substituts neutres dans la gestion des conflits est une dérobade indigne.) Pour beaucoup, la cause est entendue : « La violence accouche toute société, « en travail » ou pas, et tout pouvoir lui doit sa naissance » (p.200). Henri Lefebvre : « Tout État naît de la violence et le pouvoir étatique ne persiste que par la violence exercée sur un espace », in la Production de l’espace (p.323).
Nous l’avons déjà vu, la v. est fondatrice du droit garant pour ces mêmes auteurs de la civilisation. Le droit ambitionne de « déviolentiser » les relations humaines. Faute d’y parvenir, il le confisque à son profit. Il pénalise la violence, surtout privée, sans parvenir à ses fins, pour cause, il est issu lui-même d’une violence fondatrice de sa légitimité et de son autorité. Le droit possède des faces, l’une qui réprime, l’autre qui garantit (ex : le droit du travail, le droit de grève). « La violence ne vient pas soutenir un pouvoir ou un droit, de l’extérieur…Elle épouse le mouvement propre de son affirmation. C’est une v. « mythique » reculée, à l’origine de l’État » (Frédéric Gros, États de violence, essai sur la fin de la guerre .). Violence = acte pur de pouvoir. Un hadith (Dits du Prophète) affirme : « On s’éloigne d’autant plus de Dieu qu’on s’approche du pouvoir ». La violence est l’instrument premier du pouvoir , elle a quatre fonctions : conserver le pouvoir, l’étendre, le défendre et le prendre. (Comment conceptualiser la violence à la fois instrument, agent et morale appliquée ?). Althusser (« Halte tu serres » lui dit sa femme qu’il étrangla) parle avec ses comparses stalino-put
chistes d’« Appareils Idéologiques d’État » AIE dans le jargon de l’époque. Libérer du pouvoir en le prenant, tout un programme qui fascina les belles âmes de 1917 à la chute du mur et ad vitam eternam.
G.L cite Machiavel, fin connaisseur de notre problématique : « De l’homme armé à l’un qui ne l’est pas, il n’y a nulle comparaison », certes, mais : « pour cesser d’avoir peur, les hommes croient bon de faire peur. Les torts dont ils se garantissent, ils les infligent à leurs adversaires, comme s’il était nécessaire que l’on fût toujours oppresseur ou opprimé ». (Le Prince XX). (Telle est bien la question que nous soulevons). Machiavel faisait référence à son temps, sans avoir connu les grands dominateurs et conquérants, ni les ravages de la violence coloniale fonctionnant à plein régime et avec des techniques de plus en plus sophistiquées, « la pire domination », toutefois il fait déjà une description lucide de leurs méthodes « Leur cruauté ne fit grâce de rien ni aux arbres, ni aux plantes. » Face aux exactions structurelles, répétées, voire de plus en plus répressives, une seule solution : le coup d’état, le putch, deux figures que l’idéologie libératrice nomma révolution. Évidemment, G.L appelle son maître à penser qu’il cite avec délectation : Trotsky, le professionnel et apologiste de la terreur – « L’insurrection ne se fait pas avec les masses, mais avec une poignée d’hommes prêts à tout, entraînés à la tactique insurrectionnelle, exercés à frapper rapidement, durement les centres vitaux de l’organisation technique de l’État ». Les émules actuels l’ont parfaitement compris, il suffit de brûler les poubelles (de l’histoire), détruire les arrêts de bus, battre le pavé ou casser du CRS/SS pour obtenir sa licence es-révolution option urbaine. La grève a ses limites, mieux faut le désordre qui paralyse l’État. Qu’importe la finalité pourvu que l’on ait l’ivresse des barricades. Fascisme / communisme même combat, la grande fraternité des révoltés. L’URSS forma les élites nazies sur son sol, bel exemple d’internationalisme. En disciple de G. Sorel, Malaparte dressa un portrait réaliste de la gente activiste dans : Technique du coup d’État (1931). Pour lui, Bonaparte offre le modèle du « premier coup d’état moderne », autrement dit parlementaire. « Concilier l’emploi de la violence et la légalité », afin d’enterrer cette légalité qui lui a servi de tremplin. Mussolini et son clone triste, Hitler, comprirent la leçon. Notre Mitterrand en verve qualifia la Vème république de « coup d’état permanent », il se coula dans le moule avec délectation, sans le casser. Parfaite définition de la révolution, au sens originel et astronomique : « revenir à l’état antérieur après un parcours homogène » (p. 209). (Autrement dit, toute révolution est un conservatisme, car son but évident est le maintien du pouvoir. L’alternance tant prisée par nos élites socialo-communistes n’est qu’une continuité dans le changement, un recyclage, une révision de la machine républicaine, une « maintenance » nécessaire). Dans le cas de la Révolution Russe, le couple Lénine/Trotsky allie idéologie et doctrine à la théorie militaire du coup de force et de la terreur. « Une révolution peut être noire aussi bien que rouge et même blanche ou rose » (p.209). Bref, elle n’a ni odeur ni couleur, elle fonctionne comme un catalyseur universel au modèle de l’argent (cf. le premier chapitre du Capital). Oui mais, G.L précise sa pensée, après un moment de lucidité, d’égarement étonnant : « Il convient alors pour y voir plus clair, de proposer la distinction révolution/contre-révolution, ou, plus explicitement d’opposer violence libératrice et violence asservissante » … « Avec ou sans violence, la radicalité d’un processus révolutionnaire se mesure à ce qu’il change, ou plutôt à ce qu’il veut changer… » (p.210). Grand Soir après la prise de la Bastille où celle du Palis d’hiver. G.L semble regretter la stalinisation de la révolution, sans se poser la question de la parfaite continuité entre les processus, l’exemple français Bastille + Terreur + Napoléon, à ma connaissance, n’a jamais été contredit. Pour se rassurer, G.L affirme qu’« il n’existe pas de canevas monovalent de la révolution » (id.). Un certain Brissot résuma parfaitement la situation « le peuple est fait pour servir la révolution – mais, quand elle est faite, il doit rentrer chez lui et laisser à ceux qui ont plus d’esprit que lui la peine de le diriger ». Aux grincheux, Robespierre ripostait : « Vouliez-vous une révolution sans révolution ? ».
G.L constate que « toute révolution en contient plusieurs » (p.212). Nouvelle ruse de l’histoire. Le marxisme voit dans la violence un phénomène social. Engels souligne aussi un autre aspect de la question de la violence en prenant l’exemple de Robinson Crusoé qui tient son pouvoir d’un couteau. « Si Vendredi avait un révolver, la situation s’inverserait ». Il est regrettable que les deux compères (Marx/Engels) n’est point approfondi l’aspect technologique de la violence. A partir de ce constat, Arendt développera une pensée originale sur l’instrumentalisation de la violence et son rapport avec le pouvoir. (G.L élude complètement la question à part une vague remarque perdue dans le flot de sa démonstration). En vocalisa sur la propriété privée et l’économique (certes indispensable), le marxisme opère un réductionnisme regrettable d’autant que Lénine imposa une collectivisation fétichiste et mimétisme du capitalisme centré sur l’industrie lourde avec le fordisme comme modèle, déviant et falsifiant ainsi toute réflexion sur le rapport à la méthode et à l’utilisation de la violence. Toute violence asservissante engendre une violence libératrice est la thèse centrale de Labica et de son courant de pensée. « La violence est donc l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une société nouvelle. Elle est même une puissance économique » (Marx Capital I, chap XXXI). La conjoncture impose le recours à la violence. Version moderne, du « œil pour œil, dent pour dent », encore un regrettable recyclage, ou une invariance de la pensée « réactive ». Pour le fun, une citation d’un certain Anatole Lounartcharki (1984, Éd. Du Progrès) : « Toute la différence entre l’État de violence de la bourgeoisie et l’État de de la dictature du prolétariat consiste dans le fait que les efforts du premier visent à consolider et à perpétuer l’État lui-même et, par là même, l’asservissement de l’homme par l’homme, tandis que les efforts du second tendent, pour ainsi dire, à l’autodestruction, c’est à dire à la création de conditions dans lesquelles l’État cesse d’être une nécessité, et tendent aussi à l’émancipation complète de l’individu. Cependant, le moyen pour y parvenir c’est aussi la violence ». (Tout y est, concentré de pur marxisme-léninisme certifié conforme à son ADN.) G.L poursuit par une authentique analyse de l’anarchisme « comme violence totalement éradicatrice » (p.217) et d’ajouter, preuves à l’appui, les prises de bec avec Stirner, Proudhon et Bakounine. Malatesta, Kropotkine ne mérita pas mieux. G. Sorel sort du lot, citation faisant foi : « La violence prolétarienne est devenue un facteur essentiel du marxisme » ; « le socialisme ne saurait subsister sans une apologie de la violence » ; « la grève est un phénomène de guerre ». Labica commente « on voit combien il est malaisé de tracer des frontières et de séparer le drapeau rouge et le drapeau noir ». G.L classe Franz Fanon comme disciple de Sorel. Fanon en croyant justifier la violence du colonisé contre le colonisateur affirme qu’il y a une « homogénéité réciproque extraordinaire », pas d’ambiguïté, quasi tous les régimes issus de ces luttes de libération ont troqué le casque colonial pour les bottes à clous. (L’Algérie est l’exemple parfait). Pour Fanon, la violence représente la « praxis absolue », elle est cathartique pour l’individu et le groupe. Fanon psychiatre sorélien ? Mao revendique la même priorité aux fusils contre le propriétaire terrien « si tu veux qu’il n’y ait plus de fusils, prends ton fusil » (1938).
Long et dense chapitre, mais on reste sur sa faim. Le catalogage de type académique avec précisions bibliographiques impeccables prouvens d’objectivité, faute d’analyses on ingurgite un mélimélo lénifiant (Hihi ! rien à voir avec Lénine !!!). Bref le travail reste à faire. Modeste le claviériste !!)

Chapitre X : Du système.

La violence fait système, celui du capitalisme en tant que mode de production dominant. « Le système est le lieu, par excellence, la patrie, de la violence qui asservit et de la violence qui émancipe » (p.223). Dans ce dernier chapitre, G.L tente de « systématiser » sa théorie de violence. Quelques éléments :
– La visibilité de la violence implique le voyeurisme, le sang qui coule (« faut qu’ça saigne » Boris Vian), de la narration (polars …), des mises en scène de l’horreur avec sons, cris et hémoglobine. « La souffrance est spectacle et le sado-masochisme, un jeu de société ».
– Il existe une v. invisible, « elle est pacifique et respectueuse de l’ordre, d’un mot non-violente » (p.225) (Belle définition de la non-violence ?!?!) : celle de l’exploitation « qui ne laisse rien en dehors d’elle ». La généralisation du mode de production implique la diffusion, l’irradiation de la violence dans tout le corps social. Bref, la violence ne se réduit pas à la visibilité.
– La violence du système est une violence structurelle, maintenant mondialisée, stade ultime de l’impérialisme. Donc une mondialisation de la violence ou violence mondialisée, la violence émancipatrice doit s’adapter. « La valeur d’échange est parvenue à un règne planétaire » (p.228 ».
– L’expansion de la criminalité reflète l’état de la société (violences urbaines).
– Le racisme et les discriminations ont explosé.
– Saccages et destructions prennent une ampleur qui ravagent la planète. Capitalisme de catastrophes.
– Le chômage devient, lui aussi, structurel (violence invisible), avec une désyndicalisation galopante.
– Le sport prend les relais des colonisateurs, les négriers du foot recrutent et la financiarisation prédomine.
– La démocratie s’étiole, l’abstention s’accroît, les majorités sont minoritaires. La démocratie devient un placebo. (Encore faudrait-il croire que l’auteur fusse un démocrate, un oxymore au pays de Lénine)
– Abolition de la peine de mort allonge les peines.
– Généralisation de la corruption et de la bureaucratie.
– La guerre perdure, la conscription décline, la privatisation de la violence d’état (mercenaires, les nouveaux Suisses). Bref tout bouge et rien ne change.
– Pierre, je ne résiste pas à la tentation de te livrer les réflexions profondes de G.L :
A partir de la citation suivante d’Anna Arendt « Comme n’importe quelle action, la pratique de la violence peur changer le monde, mais il est infiniment probable que ce changement nous conduise vers un monde plus violent ». Labica en conclut (sic) : « N’essayons donc pas de changer quoi que ce soit. Il arrive que l’argument de la non-violence et du recours à ses méthodes, qui ne supportent pas la mise à l’écart de toute action, soit encore invoqué, mais au moment où la théologie de la libération décline sur sa terre d’origine, il semble passablement inadapté en face de l’énorme machinerie de la mondialisation » (p.244).
« La non-violence…une tentative de régler le problème colonial autour d’un tapis vert » (F. Fanon, les Damnés…).
« Ils ont bonne mine les non-violents : ni victimes, ni bourreaux » J.P Sartre dans la préface aux Damnés de Fanon.
– Poursuivons la lecture. La chute du mur de Berlin, en liquidant l’affrontement des deux camps, a déblayé le terrain en faveur du système unique du capitalisme mondialisé. La violence émancipatrice s’en trouve disqualifiée au nom des dégâts qu’elle engendra, en fin de compte la violence est le fait des faibles. (p.244).
– Le gros de la violence n’a pas lieu entre les individus, mais contre les individus par des institutions…L’accumulation du capital engendre l’accumulation des violences…
– G.L fustige « les équilibristes » qui mettent dos à dos les fauteurs de violences réciproques. Il raille les « entêtés » de la non-violence. Lénine ou Gandhi, that is the question ?

G.L termine le chapitre en martelant ses conclusions : « La violence anti-systémique est bien à l’ordre du jour ». La violence est inhérente au système lui-même, elle est le système : pauvreté, salariat, sida, SDF, drogue. (Bref, prenons le pouvoir et tout ira mieux, air connu : paroles et musique des Marx brothers.)

Conclusion : Résistances.

Au terme de sa « théorie de la violence », G.L rappelle que « toutes les religions ont prétendu se ranger du côté des pauvres…sans exclure le recours aux armes » (p.253). (Évidemment les citations à l’appui proviennent toutes du monothéisme biblique. Jérémie I, 22,13 ; Marc, 10, 25 ; Paul Timothée I,6,10 ; Jacques 2,5-7 ; et Coran, IV,75 : « Notre Seigneur fais-nous sortir de celle ville aux habitants iniques » (Appel au retour au désert, ce mythe monothéiste par excellence, retour aux sources de la gente des fils de Sem, appel devenu inaudible que la manne pétrolière et le mimétisme consumériste ont réduit à néant. La cocacolaïsation est passée par là (laïcisation par le soda ou sodaïsation, nouvelle Gomorrhe.) Ensuite de rappeler la sécularisation marxiste de ces bonnes paroles, nouvelle évangile des temps capitalistiques. Pour preuve de l’actualité du message prolétarien – « la mondialisation mondialise les luttes au-delà des frontières ». La nécessité de la violence libératrice, largement démontrée par l’auteur, réaffirme sans détour « qu’incontestablement on doit faire une place au terrorisme parmi ces résistances, il est le « produit direct de la mondialisation » (p.256) (Vieille ritournelle de la secte). Les bellâtres du « conflit des civilisations » justifie leur guerre « à l’islamo-fascisme » (G.L oublie, bien sûr, les troupes palestiniennes alliées des nazis dans les Balkans, envoyées par le Grand Mufti de Jérusalem promu au grade d’Aryen d’Honneur par le Saint-Siège berlinois.) « C’est le fumier qui fait naître l’ortie. Et plus il y a de fumier, plus il y a d’orties » … « la chasse aux terroristes multiplie les terroristes, comme Jésus les petits pains ». « Traduisons : la politique étatsunienne produit l’anti-américanisme, comme l’israélienne l’antisémitisme » (Id.) (Tout est dit et bien dit !?!). Bien sûr la catégorie « innocents » est artificielle et mensongère : quand une nation est en guerre, chacun des individus qui la composent, qu’il l’approuve ou pas, qu’il soit ou non soldat ».
« La leçon est manifeste : le terrorisme ne peut s’entendre que de l’État, aux mouvements que l’on stigmatise sous ce terme, convient le nom de légitime défense, de résistance » (p.258). L’anti-mondialisme est le fruit de cette coagulation des résistances.
G.L reprend des slogans : « Politiser la révolte », « délégitimer le capitalisme », « mondialisation = association de malfaiteurs ». Unifier révolution et démocratie est la ligne d’horizon de notre penseur salarié. En avant toute pour de nouvelles aventures, un remake du « Trône de fer » sans uchronie donc dans notre réalité mondialisée.

Faire une théorie de la violence se résume à un vaste recensement des formes de violence, à cumuler les citations, reprendre les thèmes éculés et encenser les nouvelles luttes sociales et politiques. Dans sa cécité intellectuelle, Labica ne voit pas que le travailleur est devenu consommateur, touriste, avide de loisirs et de spectacles, adepte de la bronzette et grand défenseur des « droits acquis », par les pionniers, transformés en conformisme, zappeur numérique, crétin heureux de l’être, bref praticien radieux de la « nouvelle servitude volontaire ».


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