Ce schéma était loin de n’être qu’hexagonal : Soudan (avec le rôle crucial des Kandakas, manifestations de femmes), Algérie (contre Bouteflika et tout le système de prédation des caciques du FLN), Hong-Kong, Sénégal (avec le mou-vement Y’en a marre), Chili, Equateur, Liban, Indonésie (avec le mouvement Bali tolak reklamasi tout à la fois contre la polderisation aux fins touristiques et la corruption des gouvernements), Rojhelat (le kurdistan iranien) sur les questions environnementales, Irak, etc. Partout, une contestation populaire s’est élevée, chacune issue des circonstances locales, mais combinant toutes, à des degrés divers, le rejet d’un système politique et sa col-lusion avec une idéologie néolibérale qui accélérait toujours plus la désagrégation sociale et la destruction des grands équilibres environnementaux.
Et toujours à Veracruz !
A l’étranger, la population chilienne, presque 50 ans après l’élection de Salvador Allende, avait forcé le gouverne-ment à dissoudre le parlement et à prévoir là aussi des élections pour une assemblée constituante (comme si les gou-vernements s’étaient passé le truc pour désamorcer des bouleversements plus… révolutionnaires). Même chose en Algérie où une immense grève générale avec d’audacieux blocages de plusieurs casernes, avaient surpris et fissuré l’unité de l’armée, et forcé les caciques du FLN à fuir. Un peu partout les gouvernements avaient été mis en difficulté avec des changements sociaux plus ou moins aboutis.
En revanche, au Rojava, une alliance des extrêmes-droites turque (Erdogan), syrienne (Bachar Al Assad), russe (Poutine) et étasunienne (Trump), encouragée par le silence coupable de tous les autres gouvernements, avait stoppé plus de 5 ans d’expérimentation d’un confédéralisme pluri-communautaire et éco-féministe.
Et toujours à Veracruz !
Autour de nous en Europe, des tendances semblables se dessinent, avec les spécificités de leurs histoires propres. En Italie où des expériences de municipalisme libertaire existaient depuis longtemps (1992 pour ne citer que la plus connue, à Spezzano Albanese en Calabre), ou encore en Espagne (où une mémoire sociale de la révolution de 1936, même très amoindrie, a survécu au très long étouffoir franquiste puis néolibéral), un sursaut d’initiatives d’autonomies par la base, a commencé à arracher les imaginaires aux impasses nationalistes (fascisme de la Ligue du Nord en Italie, ou séparatisme bourgeois en Catalogne).
En Afrique, les mêmes constats écologico-politiques servent des réappropriations collectives de destins, soit pour gérer l’inertie du chaos social engendré par le pillage capitaliste (avec notamment un regain des réseaux Alarm Phone et Watch the Med, qui, depuis 2014, tissent des outils de solidarité, d’entraide et de mémoire pour les migrants qui tentent toujours de traverser la Méditerranée par milliers), soit pour s’attaquer à des scandales monstrueux comme celui du diesel « de qualité africaine » (les négociants occidentaux qui incorporent volontairement, pour l’Afrique, des sous-produits de raffinage, conduisant à des taux de souffre – toxique pour l’homme et l’environnement- jusqu’à 300 fois la norme européenne).
En Amérique latine, les mouvements des populations d’origine indigène, longtemps seuls durant les années 1990 et 2000, trouvent enfin dans ces préoccupations d’écologie politique traversant désormais plus largement les sociétés, des motifs d’alliances pour consolider leurs expériences d’autonomie.
Et puis, depuis la fin 2020, dans la poudrière de l’Irak, on a vu les zones kurdes (le Kurdistana Başûr), sans doute irriguées par les réfugiés du Rojava, reprendre timidement mais sûrement les principes d’organisation confédéralistes et écoféministes de l’expérience syrienne (alors que les représentants des partis kurdes irakiens étaient restés jusque-là très claniques et d’inspiration marxiste-léniniste).