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La banalisation du mal : Les élites américaines Les élites américaines serrent les rangs derrière Trump
Richard Greeman (New-York)
Article mis en ligne le 8 décembre 2016

Joyeux Thanksgiving ! Alors que dans tout le pays les américains se mettaient à table autour d’un festin de dinde farcie pour célébrer le mythe fondateur de notre pays – les Pères pèlerins accueillis par les Indiens – la Garde Nationale du Dakota du Nord, la police locale militarisée et les gardes de sécurité (sans qualifications) brutalisaient des centaines d’Indiens Sioux de Standing Rock rassemblés de manière non-violente pour protester la construction du pipeline Dakota Access sur leurs terres sacrées et réserves d’eau.

Ironiquement, la veille même de Thanksgiving, à 3h du matin, le campement des Sioux de Standing Rock (qui comprenait des membres de 80 autres tribus ainsi que des militants écologistes et pour les droits civiques) avait été envahi sans aucune provocation, par la Garde Nationale et la police du North Dakota tirant des balles de caoutchouc, lançant des grenades lacrymogènes à la hauteur des yeux, et pulvérisant les Indiens à l’aide de canons à eau alors que les températures étaient en dessous de zéro. 300 indigènes et leurs alliés ont été soignés pour leurs blessures, plusieurs assez graves. Au même moment, les autorités bloquaient le seul pont permettant l’accès à la zone, empêchant les Peuples Indigènes de ramener des renforts ou d’évacuer les blessés. (On se demande pourquoi le gouvernement américain ne leur a pas également donné, comme de tradition, des couvertures infectées d’anthrax pour les réchauffer !)

Ainsi, pendant que des millions de familles américaines attablées pour Thanksgiving partageaient leur choc, peur et désarroi face à la prospective de quatre années sous une brute fanfaronne et belliqueuse nommée Donald Trump, un Obama souriant présidait sereinement le dernier épisode en date de la guerre génocidaire de plusieurs siècles menée par les gouvernements américains contre les Américains natifs. (Les Pères Pèlerins exterminèrent rapidement les Indiens qui les avaient accueillis et confisquèrent leurs terres agricoles déjà défraichies). En ce qui me concerne, je suis d’accord avec la pancarte d’un manifestant Syrien à Alep sur laquelle on pouvait lire (en anglais) : « Donald Trump n’est que la face immonde dévoilée d’Obama et Poutine ».

Comment les « choses se sont faites »

Pendant sept mois, notre président Démocrate en exercice, qui deux ans auparavant avait rendu visite aux Sioux de Standing Rock, était resté silencieux face aux contestations croissantes envers le dernier épisode dans la confiscation des terres et des droits des Américains natifs. Pendant sept mois Obama a ignoré sa responsabilité historique en tant que « Grand Père Blanc à Washington » du 21e siècle auquel les Indiens faisaient appel avec leur occupation pacifique et pieuse. Au contraire, notre président Démocrate éhonté a préféré démontrer sa loyauté à l’industrie énergétique en allant jusqu’au bout pour soutenir une seule entreprise énergétique. Ainsi, comme Pontius Pilate, Barack Obama s’est lavé les mains de cette affaire en décidant de « laisser faire les choses. »

La bonne nouvelle d’aujourd’hui c’est que « les choses » se sont apparemment « faites » dans les intérêts de la justice. Suite au choc du violent raid militaire à la veille de Thanksgiving contre le camp indien endormi, désormais coupé du monde extérieur et déclaré illégal, des milliers de nouveaux volontaires venus du pays entier sont allés dans le Dakota pour témoigner de leur solidarité. Parmi eux, plus de 2000 vétérans américains, beaucoup d’origine américaine indigène, sont venus prêts à protéger les occupants et à défendre leur camp. Un des organisateurs principaux était Wesley Clark, fils d’un général à quatre étoiles ; un autre le petit-fils d’un Navaho « code-talker » dont les compétences jouèrent un rôle crucial dans la victoire américaine durant la Seconde Guerre mondiale. [1] Ces 2000 et quelques anciens soldats ont un entrainement militaire, l’expérience du combat, et ne sont pas là pour plaisanter.

Confronté au spectre d’une confrontation entre des vétérans américains expérimentés et dévoués et la Garde Nationale du Dakota, Obama a discrètement autorisé le corps des ingénieurs de l’armée américaine à refuser à Dakota Access Corp. le droit de creuser sous la rivière Missouri dans l’attente d’une évaluation environnementale qui aurait dû être réalisée il y a des années, puisqu’une fuite dans le pipeline polluerait non seulement l’eau potable des Sioux du Dakota mais également celle de millions de citoyens installés le long de la rivière. Obama ne mérite aucun honneur. En effet, Dakota Access a d’ores et déjà menacé d’ignorer cette décision et, dans moins de deux mois, Trump peut l’annuler. [2]

Obama a encore près de deux mois à la tête de la plus puissante position au monde. Il a encore le temps de réparer les torts pour lesquels l’histoire le tiendra responsable. En apposant sa signature de Chef d’État il pourrait arrêter l’approvisionnement en armes et le soutien tactique et intelligence fourni à l’armée de l’air saoudienne qui bombarde hôpitaux, écoles et enterrements au Yémen. Il pourrait aussi annuler son programme international d’assassinats par drones de suspects de « terrorisme » anonymes sélectionnés par des algorithmes (comme les recommandations d’Amazon.com). Il pourrait envoyer de l’aide d’urgence à la population en souffrance d’un Porto Rico en banqueroute, écrasé par les conditions draconiennes imposées par une commission de banquiers.

Et bien qu’Obama ait utilisé son pardon présidentiel pour libérer des centaines de délinquants non violents, l’ancien leader du Mouvement Indien Américain, Leonard Peletier, âgé de 72 ans, continue de pourrir en prison pour son rôle dans l’occupation de la réserve de Pine Ridge en 1975. De plus, il reste selon Amnesty International [3] des douzaines de prisonniers politiques de premier plan, pour beaucoup âgés de 80 ans et plus, qu’Obama devrait pardonner, y compris des activistes portoricains et des Black Panthers en prison depuis les années 60, souvent à l’isolement [4]. Il pourrait pardonner nos héros nationaux, les lanceurs d’alerte Manning et Snowden et cesser la persécution de Julian Assange de Wikileaks. Et tout ceci n’est que le début.

Mais Obama ne le fera pas. Pendant ce temps, notre « déportateur-en-chef » a toujours carte blanche de la part des Démocrates et de la “gauche”. Pourquoi ?

La banalisation du mal

Une semaine après la catastrophe électorale de novembre 2016, il est clair que la classe politique dans son ensemble, à droite comme à gauche, serre les rangs derrière Donald Trump. Alors que des millions d’américains sont anxieux face au racisme, à la guerre, au réchauffement climatique, et à l’augmentation des attaques envers les minorités, les immigrés (en particulier les musulmans) et les LGBT. Étudiants et manifestants continuent de clamer « pas notre président » mais les élites sont trop occupées à normaliser l’anormal, légitimer l’illégitime et banaliser le mal.

En commençant par la droite, la “grande tente” Républicaine comprend désormais des aberrants racistes et proto-fascistes auparavant considérés comme inavouables : des nationalistes blancs et membres d’Alt/right. L’establishment Républicain, qui par le passé se détournait de la bouffonnerie raciste et sexiste de Donald, accueille désormais Trump et sa meute de loups d’extrême droite… Sans aucun doute Maitre élu Donald indiquera Son pardon en nominant l’ancien Gouverneur modéré Romney à une quelconque poste. Avec les actions en hausse, Wall St. témoigne de sa confiance en jubilant.

Sa Trumpship a été moins charitable avec les médias, qu’il ne peut pas pardonner pour avoir tardivement attiré l’attention sur ses mensonges flagrants (en faisant défiler des petits bouts de vérité sur les petits encarts au bas des écrans !). Cette semaine il a convoqué dans sa tour les commentateurs et magnats de l’audiovisuel pour une audience privée à la condition que celle-ci soit strictement confidentielle. Et bien sûr les toutous et sales chiens médiatiques accoururent, mielleux et remuant leurs queues dans l’espoir d’une conciliation (ignorant ainsi leur obligation professionnelle de demeurer indépendant et d’informer le public).

En ayant ainsi amadoué ces faux journalistes des ondes en les tentant avec l’illusion de l’ « accès », le patron de l’émission de téléréalité L’Apprenti leur a montré le fouet et les a mis à ses pieds. « Ils n’ont rien appris sur la façon de couvrir Trump au cours des 18 derniers mois », a twitté Erik Wemple du Washington Post [5]. Dans tous les cas, tant qu’on ne ferme pas le compte Twitter de Trump, il n’a plus besoin d’autres médias. Bienvenue dans l’ère de la post-vérité.

A gauche, Obama et tous les Démocrates, à l’exception du bon vieux social-démocrate Bernie Sanders, chantent tous le même refrain : « Tout ce que nous demandons / C’est donner à Trump sa chance ». [6] Et même Bernie se sent obligé (tout en émettant des réserves) de se joindre au choeur démocratique en offrant de « travailler avec Trump » pour créer des emplois en reconstruisant l’infrastructure

Il y a même des éléments à l’extrême gauche qui semblent prêts à banaliser le mal en « donnant sa chance à Trump ». Par exemple, les Staliniens « zombies » du mouvement anti-impérialiste qui se montrent fous de joie que Trump aime leur idole Vladimir Poutine. Ils soutiennent les bombardements par Poutine d’Alep et son occupation de la Crimee, et proclament que l’élection de Trump « nous a sauvé de la Troisième Guerre mondiale ». Il y a aussi des socialistes d’état et des néo-keynésiens dont les bouches salivent face aux promesses de Trump de rebâtir l’infrastructure.

Et en ce qui concerne le mouvement ouvrier officiel : “Le président de l’AFL-CIO, Richard Trumka en personne se rua au devant de la ligne pour féliciter Trump de sa victoire et lui promettre de travailler ensemble avec le nouveau commandant en chef. Trumka déclara “Le président élu a fait des promesses durant sa campagne – sur le commerce, restaurer l’industrie, ranimer nos communautés. Nous travaillerons pour faire de ces promesses une réalité.” [7]

Dupes Consentantes

Apparemment les membres de la gauche officielle sont des dupes consentantes face au meilleur charlatan du monde qui a construit sa fortune en embauchant des travailleurs sans papiers et sans syndicats pour construire ses casinos et en empruntant massivement, siphonnant l’argent et partant ensuite avec les profits, laissant investisseurs, entrepreneurs et employés non rémunérés. Surprise : le projet proposé par Trump pour l’infrastructure est également une arnaque.

Au lieu de profiter de taux d’intérêts bas et d’utiliser le budget public en embauchant des travailleurs pour réparer et reconstruire des ponts, tunnels, routes, écoles, parcs et sources d’énergie (construits à l’origine sous le New Deal et toujours utilisés 75 ans après) Trump accorderait à des intérêts privés des déductions fiscales massives et leur permettrait de conserver et de faire du profit ad vitam aeternam sur ce qu’ils construiraient (collecte des péages à vie par exemple). Ces entrepreneurs privés ne s’engageront probablement pas dans des projets à but non lucratif comme des écoles, et ils seraient libres d’appliquer les modalités de travail de leur choix.

« En tant qu’officiel de la Maison Blanche responsable de la mise en œuvre du projet massif pour l’infrastructure du président Obama, le Recovery Act de 2009, j’ai un message simple pour les Démocrates qui soutiennent le projet pour l’infrastructure du président élu Donald Trump : Ne le faites pas. C’est un piège » prévient Roland Klein. « Le projet de Trump n’est pas réellement un projet pour l’infrastructure. C’est un projet de réduction d’impôts pour l’industrie des services publics et les investisseurs dans le secteur de la construction, et un projet de protection massive des entrepreneurs ». [8]

Le prix Nobel de l’économie Paul Krugman conclut : « nous en savons déjà assez sur le projet pour l’infrastructure de Trump pour suggérer, vivement, qu’il est fondamentalement frauduleux, qu’il enrichirait quelques personnes possédant de bons réseaux aux dépens des contribuables, tout en ne faisant que très peu pour remédier à notre déficit en investissement. Il est difficile de trouver quelque raison que ce soit à ce système à moins que l’inévitable corruption en soit un élément, et non pas une erreur ». [9]

Pas d’illusions

Comme je l’ai écrit la semaine dernière, « Nous ne devrions avoir aucune illusion sur l’impact de la victoire de Donald Trump. C’est un désastre. La prospective d’un gouvernement de droite unifié, dirigé par un populiste autoritaire est une catastrophe pour les travailleurs. Certains d’entre eux ont pu espérer que les menaces de l’excentrique campagne de Trump n’étaient pas censées être prises au sérieux ; mais Trump est sérieux et il ne va pas perdre ses 100 premiers jours cruciaux en tournant autour du pot, comme le fit Obama ». [10]

Nous ne devrions pas non plus avoir d’illusions sur l’ « opposition » Démocrate – la gauche de la duopole capitaliste étatsunienne – bien que beaucoup d’individus honorables au sein du gouvernement et des médias se sentiront obligés de sortir des rangs pour dénoncer les abus dans leur domaine. Ceci est très important. On imagine ces responsables inquiet/es face au futur post inauguration pendant leur insomnie post dinde. Carriéristes, ils pèsent déjà les risques de parler haut et la honte de participer aux abominations que le régime Trump nous prépare. Nous pouvons compter sur eux. Pensez « Snowden ».

Nous ne sommes pas seuls. Comme a écrit sur sa page Facebook la semaine après l’élection de Trump ma fille Jenny Greeman :

Cette semaine je manifeste. Je manifeste pour mes valeurs. Je manifeste pour dire aux autres femmes ; juifs ; enfants/petits-enfants/arrières petits-enfants d’immigrés ; afro-américains ; membres de la communauté LGBT ; réfugiés ; personnes dépendantes de la sécurité sociale et de Medicaid ; artistes, scientifiques et écologistes ; musulmans ; humanistes marxistes ; éducateurs ; peuples indigènes que je les soutiens contre la violence. Je les soutiens contre l’intolérance, le sexisme, le racisme. Et je les soutiens contre le démantèlement du bien public, contre le capitalisme effréné et contre la destruction du monde entier pour une nouvelle génération par les profits des combustibles fossiles. JE MANIFESTE.

Jeudi dernier des millions d’Américains s’attablèrent pour Thanksgiving angoissés en se demandant que faire et vers où se tourner devant ce débâcle électoral. L’essentiel c’est de ne pas nous accuser mutuellement de cette catastrophe, que nous allons tous devoir endurer ensemble. Surtout de ne pas stigmatiser comme racistes et « déplorables » (phrase de Hillary Clinton) les travailleurs blancs pauvres de l’Amérique profond, vidée de ses industries par la globalisation néo-libérale lancée précisément par le Président Clinton. Nombre d’entre eux avaient voté Obama en 2012 et soutenu la « révolution démocratique » de Bernie Sanders, dont la candidature a été marginalisée par les élites des médias et du parti Démocrate.

Privés d’alternative, par désespoir, ils ont voté Trump pour signaler leur révolte. Respectons leur dignité d’humains, car leur révolte contre la dynastie Clinton concernait tout autant leur dignité que l’économie. Clinton n’a pas daigné faire campagne dans leurs régions dévastées, alors que Trump leur a fait la cour avec de fausse promesses de bons jobs. Quand le Donald et ses amis escrocs capitalistes les auront jetés aux loups, ils comprendront leur erreur et nous rejoindront dans la lutte. SI la gauche arrête de les stigmatiser. Autrement, ce sont les néo-Nazis qui les recouperont.

En attendant, il nous faut rejoindre la résistance tous et toutes, et cela dès maintenant. Il faut développer les mouvements sociaux (et les réseaux sociaux) qui, en dehors de la politique pourrie des partis, vont résister aux inévitables attaques contre les libertés civiques, l’environnement, les travailleurs, les immigrés et les groupes discriminés et fragilisés. Pour citer les dernières paroles du syndicaliste Joe Hill devant le peloton d’exécution : « Ne faites pas le deuil ! Organisez »

Aujourd’hui, ce sont les Indiens du Dakota du Nord assiégés dans les tempêtes de neige qui sont à l’avant garde de cette résistance et qui ont besoin de notre solidarité active. Avec leurs alliés courageux, ils continuent à défendre pacifiquement les derniers bouts de ce qui leur a été volé à travers des traités inégaux : leurs cimetières sacrés et leur rivière sacrée, source de leur eau (et de celle de millions d’habitants des bords du Missouri en aval. (Hier, on a appris qu’une fuite sur un autre pipeline au North Dakota venait de polluer gravement une rivière avoisinante.) [11] Leur « victoire » de dimanche dernier est fragile. Le blocus de leur campement continue. De nombreux résistant/es ont décidé d’y rester alors que d’autres rentrent à la maison pour se rétablir – prêts à revenir en janvier quand Trump remplacera Obama comme leur persécuteur-en-chef.

C’est long quatre ans. Ne soyons pas de « bons allemands » et n’attendons pas qu’il soit trop tard pour nous engager. Voici le site d’informations sur Standing Rock où vous pouvez signer la pétition, faire un don, découvrir les actions en cours et rejoindre le mouvement : [http://standwithstandingrock.net/take-action/]

Unis nous résistons, divisés nous tombons.