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Terrorismes, États, Religions s’en vont en guerre...
Elan noir
Article mis en ligne le 25 novembre 2016
dernière modification le 3 novembre 2023

Paru dans le journal libertaire Creuse citron n° 47 (février-avril 2016)

"Qu’y a-t-il dans le cerveau d’un serviteur d’un État, guidant un drone pour une « frappe chirurgicale » ? Qu’y a-t-il dans la tête d’un serviteur d’un Dieu, semant la mort avec ses explosifs ou sa kalachnikov ? Décrétons l’état d’urgence contre États et Religions qui les décervellent.

Un siècle de violences au Moyen-Orient

« La France est une cible privilégiée pour l’État islamique. Si l’émir de Raqqa en Syrie demande qui veut aller faire un attentat en France, vous allez voir 200 mains se lever », Marc Trévidic, juge du Pôle antiterroriste de Paris. Ces propos, tenus après les attentats de janvier et avant ceux de novembre, ne sont accompagnés d’aucune analyse des racines de cette réalité.

L’arrivée sur notre sol d’une violence qui est quotidienne au Moyen-Orient, est le résultat des actes des gouvernements occidentaux depuis un siècle. Quand l’État islamique (EI) déclare « abolir la frontière Sykes-Picot » entre la Syrie et l’Irak, il fait allusion à la Grande Guerre : pour faciliter le démembrement de l’empire ottoman qui soutenait les puissances de l’Axe, les Alliés avaient poussé les populations arabes et kurdes à se soulever en leur promettant un royaume arabe unifié et un État du Kurdistan. Mais les accords Sykes-Picot mettront en place des États sous mandat de la France (Syrie, Liban) et de la Grande Bretagne (Irak, Transjordanie, Palestine). Depuis longtemps les Occidentaux ont veillé à mettre en place et conserver au pouvoir des factions complaisantes avec leurs intérêts économiques et géostratégiques. Aujourd’hui les populations de ces régions ont de nombreux ennemis : les États locaux (régimes monarchiques, dictatures militaires, pseudo-démocraties), les coalitions internationales (occidentale et russe) mais aussi les inimitiés tribales et confessionnelles et le despotisme religieux. Le pourrissement des États et les interventions militaires extérieures facilitent l’essor de sectes conquérantes : se présentant comme justicier de l’Histoire, EI a l’ambition de construire un État salafiste sur un vaste territoire.

Les chemins du Califat traversent les frontières

EI a de nombreux soutiens dans les zones sunnites, où les populations affrontent des armées au service de dictatures chiites. Les milices djihadistes s’emparent en décembre 2013 des villes syriennes de la vallée de l’Euphrate, riche en céréales et coton, et de janvier à juin 2014 d’un vaste territoire au nord de l’Irak, riche en pétrole. Ainsi, 1 000 combattants prennent Mossoul à 30 000 soldats irakiens partis sans combattre, récupèrent leurs armes, dont mille blindés, et des centaines de milliers de dollars. Dans les villes conquises, EI délègue le pouvoir à des acteurs locaux (notables, chefs de quartier, ex-militaires de l’armée de Saddam Hussein) contre leur engagement à prêter allégeance et à se conformer à des normes strictes en matière de comportements et d’habillements. Ceux qui refusent risquent une exécution publique. Une administration et une police sont constituées, le pouvoir judiciaire est assuré par des tribunaux islamiques, les juges (qadi) rendant la justice au nom de la charia. Les ressources sont énormes : pétrole écoulé en contrebande, prélèvement d’impôts et taxes, rançons pour les personnes kidnappées, femmes turkmènes, chiites, yézidis, vendues comme esclaves, financements « privés » d’Arabie saoudite ou d’États du Golfe...

Le 29 juin 2014 Abou Bakr Al-Baghadi, déjà à la tête d’EI, devient le calife Ibrahim, « commandeur des musulmans », ce qui lui confère théoriquement autorité sur l’« oumma », la communauté des croyants de par le monde. Rétablir le Califat, aboli il y a 91 ans, permet d’appliquer la « loi islamique pure », qui a dans son arsenal crucifixion, décapitation, mise en esclavage, et de renouer avec les traditions guerrières de l’islam d’origine.

Dans les mois qui ont suivi, les zones occupées par EI s’élargissent vers les zones de steppes de l’est de l’Irak, les grands centres urbains de l’ouest de la Syrie. Un autre État est visé, livré au chaos malgré l’optimisme en 2012 du bouffon BHL, après les bombardements occidentaux en 2012 : « La Lybie fait figure de printemps réussi, ceux qui l’ont aidée peuvent être fiers de ce qu’ils ont fait ». Dans ce pays, sillonné par des milliers de combattants qui se sont servis dans les arsenaux de Kadhafi, EI a installé recruteurs et camps d’entrainement et a conquis une zone de 250 Km autour de Syrte, dans le « croissant pétrolier ».

« Ceci est la promesse d’Allah »

C’est le titre du texte annonçant la création du Califat dont voici des extraits :

« La vérité est apparue, c’est un État, c’est un État pour les musulmans, c’est le Califat ».

« Il devient une obligation pour tous les musulmans de prêter serment d’allégeance au Calife Ibrahim ».

« Rassemblez-vous autour de votre Calife afin de redevenir les rois de la terre et les chevaliers de la guerre ».

« Ceci est le but pour lequel Allah a envoyé Ses messages, et pour lesquels les sabres du Djihad ont été dégainés ».

« Le temps des lamentations est fini et l’aube de la puissance est en train de se lever. Le soleil du Djihad brille et à l’horizon apparaît le triomphe ».

« La bannière de l’État islamique flotte et étend son ombre d’Alep à Diyala. Les musulmans ont la puissance et les mécréants l’humiliation ».

« À vous de porter cette bannière avec force, arrosez-là avec votre sang, élevez-là au-dessus de vos cadavres et mourrez sous elle ».

« Nous avons établi le Califat par le tranchant de l’épée, par la force, en conquérant et avec colère ; en frappant des coups, par des attentats, des explosions et par la destruction. Nos soldats sont des lions lorsqu’ils sont en guerre et ils ont bu le sang des mécréants ».

Près de 40 groupes d’une vingtaine de pays se réchauffent maintenant au « soleil du Djihad ».

Prêtres et guerriers

L’anthropologue Jean Monod a étudié la fondation des États : « Les États sont des organisations sociales imposées par des bandes armées. Dans un État, la religion a trois fonctions : la sacralisation du pouvoir, l’aliénation des consciences, la mythification de l’Histoire ». Cette analyse s’applique à l’EI, mais aussi à l’Égypte, la Grèce, Rome, et à la première « civilisation » connue, Sumer, qui a conquis les bassins du Tigre et de l’Euphrate en Mésopotamie. À chaque fois le rôle des prêtres, au service des guerriers, est essentiel, dans l’administration et dans l’invention du mythe d’un État apportant la « civilisation » dans des contrées « jusque-là livrées au chaos ». Cette véritable « religion de la guerre » est bien illustrée par les premiers mots de l’Énéide de Virgile : « Les armes je célèbre », ou par Machiavel : « Où règne la religion on introduit facilement les vertus guerrières ».

Pendant la période d’expansion d’un État, afin de préserver l’unification de l’ensemble, éviter rivalités et conflits entre fiefs, les prêtres bénissent l’Empire qui s’approprie les ressources et asservit les populations : « Quand la dévastation n’est plus infligée au nom du Dieu unique, elle l’est au nom de l’État sacro-saint, les Européens en Amérique dévastent, Napoléon dévaste, Staline dévaste » Jean Monod.

Par le salut des âmes dans une autre vie, la religion obtient soumission, adhésion aveugle en une volonté suprême, celle de Dieu ou de l’État.

Si l’actualité renvoie à l’islam, il ne faut pas oublier que la christianisme a été la religion la plus tyrannique de l’Histoire de l’humanité. La piété a contaminé la France pendant plus d’un millénaire, ceux et celles qui doutaient étaient brûlés vifs, accusés de sorcellerie, le « Saint-Esprit » remplaçant l’esprit, la « foi » la raison.

« La France est en guerre »
L’État français est en guerre contre l’« ennemi extérieur », en Afrique pour protéger les mines d’uranium au Niger, au Moyen-Orient avec une grande coalition comprenant des alliés aussi respectables que l’Arabie Saoudite qui a récemment condamné à mort le poète palestinien Ashraf Fayadh pour avoir fait l’éloge de l’athéisme. Les marchands de canon qui approvisionnent les belligérants sont sans doute les seuls bénéficiaires d’un conflit sans issue. Les djihadistes savent que « les croisés » bombardent les villes, mais ne peuvent occuper durablement ces terres arabes. Ils comptent sur la peur liée aux attentats pour accentuer la xénophobie, généraliser les mesures policières des gouvernements, donc pousser de jeunes musulmans à rejoindre les rangs du Califat. La pétainisation des esprits et le délire de la charia se nourrissent l’un l’autre.

L’état d’urgence, en voie de pérennisation, est sensé mener la guerre contre l’« ennemi intérieur ». Faute d’identifier les terroristes avant passage à l’acte, l’État s’acharne sur zadistes, altermondialistes « violents », écologistes « radicalisés », « anarcho-autonomes », syndicalistes de Goodyear. Sur 20 000 personnes « risquant de porter atteinte à la sureté de l’État », 850 djihadistes potentiels : « Le fichier S permet de suivre le comportement de gens qui n’ont commis aucune infraction pénale, mais qui pourraient en commettre une » Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. La juriste Danièle Lochak montre bien quel est le fonctionnement de l’État : « Avec le développement des écoutes, des surveillances, des assignations à résidence, la police et la justice ont tissé une énorme toile d’araignée sur l’ensemble de la population ».

Un élu de l’Illinois appelait à la Résistance dès 2002 : « Battons-nous pour que les marchands d’armes dans notre propre pays cessent d’alimenter les innombrables guerres qui font rage dans le monde. Battons-nous pour que nos soi-disant alliés au Moyen-Orient cessent d’opprimer leur peuple, de réprimer l’opposition et de tolérer la corruption et l’inégalité, au point que les jeunes grandissent sans perpectives d’avenir, sans espoir, deviennent des recrues faciles pour les cellules terroristes ». Il s’agit de Barak Obama !

Toujours d’actualité : « Nous ne voulons plus de gouvernement parce qu’il sert à opprimer le peuple. Nous ne voulons plus d’armées permanentes parce qu’elles ne servent qu’à massacrer le peuple, nous ne voulons plus de religions parce qu’elles ne servent qu’à éteindre les lumières et à anéantir les intelligences », Eugène Dupont, Association internationale des travailleurs (AIT), 1868.
Élan noir

Deux livres : Le piège Daech, Pierre-Jean Luizard,
Ouranos, les trois fonctions de la religion dans l’État
, Jean Monod
Une émission du 16 février 2015 : http://trousnoirs-radio-libertaire.org/