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Auschwitz et après ?
Article mis en ligne le 17 novembre 2016
dernière modification le 29 octobre 2023

David Akouni, Bella Alaluf, Israel Albert, Elvira Amar, Emma
Amar, Palomba Arnades, Aron Aron, Nety Aruch, Martin Ascher et Esra
Asser...voici quelques uns des noms qui surgirent de la nuit et du
brouillard et apparurent en première des page locales du quotidien
alsacien les Dernières Nouvelles d’Alsace le 26 janvier 2005.<br
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Avec eux, Allegra Attas, Ernestine Baruch, Joachim Basch, Joachim
Behrendt, Günther Benjamin, Allegre Beracha, Kalman Bezsmiertny, Samuel
Bluosilio, Harri Bober, Sara Bomberg et d’autres encore, 86 personnes
en tout se rappellent ainsi à notre souvenir.

La Shoah, ce n’est seulement quelque part en Pologne, c’est,
cette fois-ci, plus près de chez nous, à Strasbourg.

Quatre vingt six personnes, qui étaient à Auschwitz, furent
sélectionnées scientifiquement, mises dans un train et envoyées en
Alsace. Elles débarquèrent un jour, en plein été 43, nul ne sait si ce
fut le matin ou le soir, à la gare de Schirmeck, au fond d’une verte
vallée alsacienne.

Une université d’état nazie avait pris la place de
l’Université française repliée à Clermont Ferrand depuis le début de la
guerre. Un professeur allemand August Hirt s’était établi au milieu du
vieil Hôpital Civil de Strasbourg pour y faire des recherches
anatomiques.
Il avait un projet précis qu’il avait défini ainsi :
« Conservation des crânes de commissaires judéo-bolcheviques
aux fins de recherches scientifiques à la "Reichsuniversität
Strassburg" » et l’avait envoyé à Himmler.

Pour cela il avait besoin de corps en bon état.<br
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Avec ceux cités plus haut et encore d’autres, Sophie Boroschek, Nisin
Buchar, Rebeca Cambeli, Sarica Cambeli, Elei Cohen, Juli Cohen, Hugo
Cohn, Günter Dannenberg, Sabi Dekalo et Kurt Driesen furent amené à la
chambre à gaz qui avait été construite à cette fin dans le camp de
concentration du Struthof et moururent.

Les corps des sus nommés, ainsi que ceux d’Aron Esformes, Aron
Eskaloni, Ester Eskenasy, Maurice Francese, Abraham Franco, Heinz
Frischler, Benjamin Geger, Fajsch Gichman, Brandel Grub, Hugo Haarzopf
et d’autres furent amené à Strasbourg et dépecés par le Professeur
August Hirt qui récupéra leur crâne
August Hirt, devant l’avance des forces alliées, donnât l’ordre de
brûler les corps. Mais ce ne fut pas fait complètement. Les forces
alliées découvrirent les restes, 16 cadavres, le 23 novembre 1944.

Il a fallut 6 années de travail, pour qu’un chercheur
allemand, Hans-Joachim Lang, retrouve les noms de ces 86 personnes. Ce
travail a été possible parce qu’un assistant du professeur troublé,
avait désobéit et noté les numéros tatoué sur les bras des sus-nommés
ainsi que ceux de Charles Hassan, Alfred Hayum, Rudolf Herrmann, Jacob
Herschfeld, Albert Isaak, Israel Isak, Sabetaij Kapon, Maria Kempner,
Levei Khan, Elisabeth Klein, Jean Kotz, Paul Krotoschiner, Else
Leibholz, Kurt Levi, Ichay Litchi, Michael Marcus, Maria Matalon,
Abraham Matarasso, Lasas Menache, Katerina Mosche et d’autres.

Le 26 janvier dernier tous ces noms, ceux déjà cités ainsi que
ceux de Regina Nachman, Siniora Nachmias, Dario Nathan, Sarina Nissim,
Heinrich Osepowitz, Jeanette Passmann, Hermann Pinkus, Jacob Polak,
Israel Rafael, Samuel Rafael, Siegbert Rosenthal, Frank Sachnowitz,
Marie Sainderichin, Albert Saltiel, Maurice Saltiel, Maurice Saporta,
Mordochai Saul, Gustav Seelig, Alice Simon, Emil Sondheim, Sigurd
Steinberg, Nina Sustiel, Menachem Taffel, Martha Testa, Maria Urstein
et Walter Wollinski sont publiés dans le quotidien alsacien les DNA.<br
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Cette histoire ne s’arrête pas là. Hélas. Un petit groupe de médecins
franco-allemands se sont réunis sous le nom de Cercle Menachem Taffel,
le premier nom connu, et ont voulu marquer dans la mémoire
strasbourgeoise, universitaire, médicale, l’endroit où cela s’est passé.<br
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Il y a des endroits pour commémorer. En dehors d’eux il y a des
résistances.

En 1997 deux chercheurs demandent aux autorités universitaires
d’apposer une plaque commémorant ces faits. Le Doyen de la Faculté de
Médecine de Strasbourg leur réponds alors ceci :
« Les faits se sont déroulés alors que la Faculté était
repliée à Clermont-Ferrand(...). Je ne souhaite pas qu’une confusion
puisse s’installer dans les esprits quant aux faits et aux
responsabilités (...). Ce serait perdre de vue l’existence transitoire
de la Reichuniversität qui a usurpé son appellation ». Si,
depuis, les étudiants en médecine strasbourgeois sont amenés à étudier
au cours de leur première année d’étude ces événements, rien ne vient
toujours marquer dans la pierre l’endroit où cela se passa.

Ce n’est pas demain, que l’on pourra en France regarder, la
tête haute, entre ses pieds, comme on peut le faire en Allemagne ces
pavés dorés, incrusté dans les trottoirs. Ils portent sur leur partie
apparente le nom d’une personne et celui de sa destination finale.
Elles sont souvent posées devant des maisons d’où des personnes, des
juifs, sont parties vers l’horreur.

Il ne s’agit pas d’une décision gouvernementale. C’est une
initiative individuelle qui a besoin de l’accord des municipalités pour
être appliquée à la demande d’individus mus par un devoir de mémoire.
Ces pavés dorés, appelés en allemand
« Stolpersteine » ou « pierres sur
lesquelles on trébuche » deviennent les pierres tombales de
celles et ceux qui ont disparu en fumée dans l’horreur industrielle de
la barbarie nazie.

C’est aussi l’initiative privée qui est à l’œuvre, à travers
la décision d’inviter des représentants des communautés arméniennes,
tziganes, cambodgienne, bosniaques et rwandaise à une commémoration
strasbourgeoise en l’honneur des victimes dont nous parlions plus haut,
marquant ainsi la prise de conscience de l’actualité des capacités
génocidaires des hommes non loin de la cérémonie officielle.

Car le fond du problème, celui de la responsabilité de ces
actes horribles, est souvent passé sous silence. Il est très facile de
se défausser sur les Himmler, Hitler et consorts. Relisons ce que
disent à ce sujet des auteurs connus.

Raul Hillberg qui à écrit La destruction des juifs d’Europe
dit : « On doit se souvenir que la plupart des
participants [au génocide] ne tirèrent jamais sur des enfants juifs ni
ne versèrent le gaz dans les chambres à gaz... La plupart des
bureaucrates rédigeaient des circulaires, concevaient des projets,
s’entretenaient au téléphone et assistaient à des conférences. Ils
pouvaient annihiler tout un peuple en restant assis à leur
bureau ».
Zygmunt Bauman, auteur de Holocauste et Modernité ajoute :
« Pour comprendre comment cet extraordinaire aveuglement moral
fut possible, il n’est que de penser aux ouvriers d’une usine
d’armement qui se réjouissent du « sursis à la
fermeture » de leur usine grâce à de nouvelles commandes
importantes, tout en déplorant sincèrement les tueries entre Ethiopiens
et Erythréens ; ou à la façon dont la « chute des
prix à la consommation » est universellement accueillie comme
une bonne nouvelle alors que « la famine parmi les enfants
africains » est universellement déplorée avec la même
sincérité ».

C’est pour cela que nous pouvons dire que les commémorations
ne servent à rien. Les commémorations en général, celles des camps de
concentration en particulier. De 1919 à 1939 on a commémoré la der des
der. Avec le résultat que l’on sait.

A quoi sert de commémorer une atrocité qui a réussi parce
qu’une grande part de ses victimes étaient des personnes obéissantes,
parce que la totalité de ses perpétrateurs étaient des personnes
obéissantes, parce qu’une bonne part du reste du monde était coupable
d’autres massacres, la France dans ses colonies, la Grande-Bretagne qui
créa le mot camp de concentration pendant la guerre des Boers, l’Italie
qui cassait de l’Ethiopien, l’Espagne qui fusillait de l’anarchiste, le
Japon qui violait les Chinoises avant de les tuer et qui envoyait les
Coréens aux travaux forcés dans ses usines, les Etats-Unis qui
unifièrent les Indiens dans la fosse commune, l’URSS qui avait son
doctorat d’esclavage et d’extermination depuis bien plus longtemps que
ce jeunot de IIIe Reich, oui, à quoi sert-il de commémorer la
catastrophe de l’obéissance si l’on n’enseigne pas la
désobéissance ?

Les esprits logiques objecteront que les anarchistes
justifient leur refus des autorités en arguant que nous sommes tous
capables d’auto-discipline, ce qui est prouvé au-delà de toute
controverse puisque aucun chômeur n’a encore étripé le baron Seillieres
et qu’il est donc contradictoire de prôner la désobéissance. La
propagande anarchiste manque effectivement de précision et devrait
mieux faire comprendre qu’elle ne recommande ni obéissance systématique
ni désobéissance systématique, ou, au cas où l’on remplace le mot
obéissance par un meilleur mot, ni coopération ni refus. Mais plutôt la
capacité à décider de manière autonome. Il faut savoir décider sans
être prisonnier du passé, des règles ordinaires, de la pression de
l’environnement social, sans être victime des illusions, des illusions
volontairement entretenues, aussi appelées mensonges, des illusions
involontairement entretenues, aussi appelées évidences. Voilà le plus
grand obstacle à la réalisation de l’anarchisme : il veut que
chacune et chacun reprenne entière responsabilité.

Malheureux, aveugle anarchisme qui se porte à l’encontre de
tout l’énorme mouvement de l’humanité depuis l’invention de la ville et
de l’agriculture ; diviser l’écrasant fardeau de la
responsabilité pour, dans le cas de la majorité, s’en débarrasser au
prix de la servitude, dans le cas de la minorité la monopoliser, et
l’alléger en la transformant en autorité.

On commémore, on se persuade qu’il suffit de mettre Simone
Veil sur la couverture de Paris-Match. Mais tout récemment, à
Guantanamo et Abou Ghraib, n’avons-nous pas vu le départ du
feu ?

Certes, dira-t-on, et précisément le sous-officier Charles
Graner a reçu dix ans de prison. Et son général ? Et Alberto
Gonzales qui expliquait à Bush que la Convention de Genève ne valait
pas le papier sur lequel elle est écrite ? Et Donald
Rumsfeld ? Et Bush ? Et l’armée anglaise, dont il
apparaît maintenant qu’elle n’a pas fait mieux, et qui ne bénéficie
pourtant pas de l’excuse d’avoir pour gouvernement un imbécile mené par
un salopard (personne ne peut dire de Tony Blair qu’il est un imbécile,
ni de la reine d’Angleterre qu’elle est un salopard). Mais c’est encore
trop simple de blâmer les chefs. Terrifiée par le mariage homosexuel,
la majorité des votants américains a reconduit un criminel de guerre.
En pleine conscience des faits. La ville de Levallois a reconduit le
voleur Balkany avec 65% des votes. L’Italie a voté pour le mafieux
Berlusconi. La Russie a reconduit le criminel de guerre Poutine.
L’électorat français, déjà coupable de 18% de votes pour Le Pen, en a
donné 81% au voleur Chirac.

Mais Levallois, Rome, Paris et les USA commémorent.

En collaboration avec J-M Traimond pour la deuxième partie