Le film documentaire de Maurice et Sarah Dorès, Jacques Faïtlovitch et les tribus perdues [1], est basé sur la recherche de Maurice Dorès [2] qui a, entre autres raisons de s’intéresser à ce sujet, une passion commune avec Jacques Faïtlovitch, l’Afrique. La longue expédition que ce dernier va mener en Éthiopie au début du XXe siècle est il est vrai fascinante, car elle va se prolonger plus d’une année et Jacques Faïtlovitch met ce temps à profit pour réellement s’immerger dans la culture et les coutumes de cette population. L’explorateur orientaliste fait là un véritable travail d’anthropologue et ses notes, prises au jour le jour, sont évidemment une source de découvertes étonnantes et originales. Il défriche en fait un terrain quasi inconnu, sur les traces de l’un de ses pairs, Joseph Halévy, qui l’avait encouragé à faire cette recherche.
L’histoire des Falashas (terme qui signifie immigré et sans terre) s’est un peu perdue dans les temps. Originaires d’Éthiopie et de confession juive, les Falashas sont ainsi découverts au début du XXe siècle par le jeune orientaliste, Jacques Faïtlovitch, qui était peut-être à la poursuite d’un mythe — celui de la rencontre du roi Salomon et la reine de Sabah —, et certainement des traces de « tribus perdues ». Les personnes qu’il rencontre font partie de minorités pauvres du nord de l’Éthiopie, essentiellement rurales et pratiquant l’artisanat, et sont discriminées. Notamment, il leur est interdit de posséder des terres. Issu d’un milieu ashkenase traditionnel, Jacques Faïtlovitch compare les pratiques religieuses, les coutumes et les traditions différentes qu’il côtoie durant son premier séjour. Il consacrera en fait sa vie [3] à la reconnaissance des Falashas ou Beta Israël (la maison d’Israël), et voyagera notamment aux Etats-Unis afin de lever des fonds pour la construction d’écoles.
Le monde apprend ainsi que des juifs noirs vivent en Éthiopie : les Falashas, et cela donne une autre vision de l’histoire africaine et de note histoire commune. Comme le disait Hélène Lee lors d’un entretien à propos de son film documentaire, le Premier Rasta, cette découverte aura des répercussions considérables au milieu de l’effervescence qui règne dans l’entre-deux guerres mondiales. « Un grand mouvement s’organise alors à New York avec des noirs qui s’improvisent juifs, qui récupèrent la liturgie, apprennent la langue, créent des synagogues noires au grand dam des autres juifs qui n’apprécient pas cette histoire et ne sont pas convaincus que les Falashas soient juifs. […] Ces gens auront beaucoup d’importance dans tout le mouvement rasta et garveyite ».
Cependant, on peut se poser des questions sur sa détermination qui, par certains côtés, peut s’apparenter à une forme de paternalisme, ou de prosélytisme. Car en fait il désire aussi leur apprendre de nouvelles formes de rites et changer quelque peu leurs habitudes et même leurs pratiques religieuses pour, à long terme, les regrouper en terre d’Israël. Le thème du retour est déjà prégnante pour certains. Pour Maurice Dorès, Jacques Faïtlovitch a préparé ce retour en Israël. L’exode massif des années 1980 (opération Moïse, 1984) se fera parfois dans des conditions dramatiques et l’accueil des institutions juives n’a pas toujours répondu aux attentes des
populations.
Sarah Dorès : Jacques Faïtlovitch était obsessionnel, il gardait tous ses carnets de moleskine, il conservait tous les objets qu’il rapportait de ses voyages et, à la fin de sa vie, tout était dans sa maison de Tel-Aviv. Son épouse en a fait don à une bibliothèque et beaucoup de ses archives sont à l’université de Tel-Aviv.
Au départ du film, on suit l’itinéraire de Jacques Faïtlovitch, car son parcours est passionnant. À quinze ans, il part pour Berlin avec une idée fixe, étudier. Il part ensuite à Paris et c’est étonnant de voir ce jeune homme partir à la recherche de l’ailleurs. C’est ce qui m’a énormément touchée chez lui.
Comme l’explique Sarah Dorès, le film documentaire s’est fait en plusieurs étapes, et surprises aussi, une première écriture faite par Maurice Dorès, puis une seconde écriture par Sarah Dorès. Après un voyage en Éthiopie pour filmer des images qui marquerait des sortes de ponctuation dans le récit documentaire, une troisième écriture du film est faite par Maurice Dorès, car le tournage en Éthiopie se révèle beaucoup plus important qu’un simple décor. Il fournit des repères pour le film. Et c’est enfin au bout de la quatrième écriture, commune cette fois, que le documentaire prend sa forme finale.
Les surprises de l’élaboration du film documentaire était à prévoir vu la richesse des matériaux d’archives et des témoignages que la recherche avaient permis de retrouver. C’est court 59 minutes pour parler de la recherche d’une vie et mettre en lumière les ramifications d’une histoire si longtemps ignorée.