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Divergences, Revue libertaire internationale en ligne
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Richard Greeman
Maroc. Référendum Mouvement du 20 février

Le mouvement continue…

Le discours du Roi du vendredi 17 juin et le référendum sur
la Constitution fixé au 1er juillet représentent un défi que les
révolutionnaires marocain-es du mouvement du 20 février doivent
relever en très peu de temps. En effet, par quelle tactique riposter
efficacement à ces concessions superficielles proposées dans le but de
couper l’herbe sous les pieds de ceux et celles qui veulent une
réforme politique et sociale profonde de la société ?
[…]

Le mouvement démocratique est confronté à un
adversaire qui, à la différence des régimes tunisien, égyptien, jouit encore d’une certaine légitimité historique.

Dès le 9 mars, Mohammed VI a proposé des concessions habiles et a déclenché un processus de réforme constitutionnelle par le haut, concessions destinées à couper l’herbe sous les pieds des révolutionnaires. Les porte-parole du mouvement ont bien compris que le processus mis en place — une commission choisie par le pouvoir pour mener des consultations dans le secret et proposer un référendum pour une constitution prêt-à-porter sans "retouches" possibles — n’offrait aucune possibilité de participation populaire démocratique. Il était donc nécessaire de dénoncer cette farce "constitutionnelle" et de refuser, au risque de se marginaliser. Quant au "débat" médiatique prévu avant le référendum, le constat était sans équivoque : les "oui" (partis politiques loyaux à la Monarchie) auraient le quasi-monopole de l’accès aux médias.
Les militant-es démocratiques ont alors eu raison de réclamer une parité entre les "oui" et les "non", parité impossible à concéder par le pouvoir.

Le référendum : arme de l’autorité

Quelle réponse apporter au défi du référendum du 1er Juillet ? Comment
retourner la situation en faveur de la démocratie populaire ?
Le référendum — de Napoléon III à Charles de Gaulle — a toujours été l’arme de choix de l’autorité contre la démocratie. Aujourd’hui encore, dans les dictatures à parti unique (ou presque), toutes les élections sont en effet des référendums programmés pour renforcer et légitimer le régime en place. Même dans les cas où le système électoral et les suffrages ne sont pas truqués, il est généralement prévisible que les "oui" l’emporteront. Car le pouvoir, qui dispose de l’avantage de l’initiative et de la propagande, peut choisir la date du scrutin, diviser ses adversaires et les caricaturer pour leur ôter toute crédibilité.

Comment sortir de ce piège contre-révolutionnaire classique ? Dans
cette lutte pour la conquête de l’opinion, la meilleure défense est
de reprendre l’initiative en proposant une alternative positive à
laquelle les gens peuvent adhérer. Par exemple, en organisant une
« consultation constitutionnelle populaire » — processus
démocratique où les masses sont appelées à exprimer leurs revendications, doléances et propositions depuis leurs associations, leurs quartiers et leurs villages. Cette consultation populaire peut être suivie par la création d’une « assemblée constituante nationale », en toute transparence, médiatisée, pour élaborer une « constitution populaire alternative » face à celle du gouvernement.

Une « démocratie par le bas »

Ce genre de "théâtre politique" est une tactique révolutionnaire
rodée qui embarrasse le pouvoir sans provoquer de rapport de force défavorable au mouvement. Au contraire. Si le pouvoir interdit la « constitution populaire alternative », il perd la face, et le public risque d’être critique de la "farce politique" d’une constitution élaborée pour imposer des procédés anti-démocratiques et son contrôle.

Scénario possible : créer des assemblées consultatives dans
chaque région afin de donner une plateforme aux revendications. Cette idée s’est déjà répandue dans les quartiers ainsi que dans les villages où les populations sont invitées à exprimer leurs doléances et revendications. L’analphabétisme est entretenu par le pouvoir, mais n’empêche pas pour autant la prise conscience des réalités sociales. Et les étudiant-es et
intellectuel-les ont à présent l’occasion de prendre des contacts avec les classes populaires et rurales pour les écouter, les aider à s’exprimer et à leur faciliter un accès aux médias. Les résultats de ces délibérations (enregistrements, vidéos…) peuvent être mis en ligne.

Des délégué-es pourraient être envoyé-es dans les assemblées
régionales, sectorielles et éventuellement nationales afin de réunir
l’ensemble des revendications en un programme populaire.
L’organisation d’un réseau pour tenir des assises nationales et élaborer une « constitution populaire alternative » serait un grand pas en avant.

Même en cas d’exclusion des débats politiques sur les médias officiels, Al Jazeera et les actualités ne pourraient ignorer les conséquences des actions du réseau. Et si nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui participent aux assemblées, elles deviendront, de ce fait, de plus en plus représentatives.

Le processus de préparation de la « constitution populaire alternative » aboutirait du même coup à la création de réseaux populaires indépendants, de partis et de syndicats liés au pouvoir actuel. Si les assemblées
locales deviennent permanentes, elles pourraient prendre la forme de
conseils et se fédérer en contre-pouvoir pour appuyer des
luttes ponctuelles et devenir représentatives.

La tactique de l’abstention positive

Quant à la tactique à suivre le jour du référendum organisé par la
monarchie, elle pourrait consister à mettre au vote un
contre-référendum populaire sur Internet. Une consultation démocratique où les gens auraient un choix véritable entre deux constitutions. Par rapport au scrutin officiel, il est inutile de tomber dans le piège tendu par le pouvoir en prônant le mot d’ordre du "non", ce qui risquerait de semer la discorde dans les rangs des opposant-es.

L’abstention représente l’arme traditionnelle des peuples soumis aux régimes référendaires, car même dans les dictatures staliniennes, si le parti au pouvoir n’arrivait pas à récolter plus de 50% des suffrages possibles, il
perdait sa légitimité.

Une participation relativement faible au référendum représente pour le pouvoir un risque de perdre la face. Ainsi, si beaucoup de Marocain-es boudent les urnes le jour du référendum, alors que le spectacle démocratique occupe le devant de la scène, les militant-es auront gagné sans prendre le risque d’un échec. En effet, en organisant sous forme de spectacle politique cette manifestation de la volonté populaire, le mouvement gagne même s’il "perd". Bien entendu, personne ne s’attend à ce que cette "Constituante" alternative prenne le pouvoir. En revanche, les réseaux de comités de doléances mis en place dans le processus de consultation et la constitution qu’elle aura élaborée serviront de structure
organisationnelle et de programme pour les luttes à venir.

La stratégie de l’enracinement

Les militant-es du 20 février ont vite mesuré les limites à long terme de la tactique des grandes manifestations nationales par lesquelles le mouvement s’est d’abord manifesté, et se sont orienté vers la propagation du germe révolutionnaire dans de nouveaux terrains géographiques et sociaux. Autrement dit, il ne s’agit pas de tomber dans le piège du "score" du nombre des manifestants, comme si la révolution était un match de foot. En revanche, on a pu voir dans les manifestations, qui ont continué malgré les menaces de répression, une floraison nouvelle de slogans et de revendications portée par de nouvelles composantes du mouvement. Mais un amalgame de slogans et de revendications n’est pas un programme, et pour développer la lutte, il faut une alternative radicale et populaire à la
réforme limitée que propose le pouvoir en place. Un "Constitution démocratique alternative" serait une avancée.

L’enracinement est d’ailleurs la direction que le mouvement semble
prendre en ce moment avec l’entrée dans celui-ci de nouvelles couches de la société et avec l’émergence de nouvelles résistances dans toutes les
régions et les catégories sociales, des bergers nomades du bled aux
médecins du service public. Le peuple marocain s’organise en associations, se mobilise et exprime ses doléances particulières, régionales et professionnelles. Les militant-es des organisations des droits humains et de la gauche en profitent pour s’enraciner chez les « enfants du peuple » pour aider les gens à exprimer leurs doléances et à s’organiser
en réseaux de femmes, de travailleurs, de jeunes, etc.
C’est en s’implantant au sein de la population et en renforçant les liens internationaux que le mouvement du 20 février pourra accroître son influence et sa force.

Le rôle essentiel des femmes

Dans l’objectif d’une "Constituante" représentative du peuple
marocain, il faut souligner le rôle essentiel des Marocaines. Cette "Constituante" alternative n’aboutirait à rien sans les femmes et un
grand mouvement autonome de Marocaines rassemblant toutes les couches sociales représente force démocratique considérable. Majoritaires dans la population, majoritaires dans le travail, généralement non rémunéré, les Marocaines doivent être représentées massivement dans toute "Constituante" véritablement démocratique.

Ce procéssus a déjà commencé avec l’auto-organisation de cercles de femmes dans les villages et les quartiers urbains qui rassemblent leurs propres "Cahiers de doléances". Ces cercles de femmes pourront-ils
devenir les cellules d’un puissant mouvement rassemblant intellectuelles, travailleuses et femmes du peuple ? […]

Les impressions d’un étranger sont forcément superficielles, mais il me semble que dans les conditions actuelles de la société ces cellules doivent rester exclusivement féminines pour que les femmes puissent y participer. L’influence de l’Islamisme réactionnaire, basé sur l’oppression des femmes, finira par être neutralisée par la force progressiste des femmes
conscientes et autonomes. En revanche, un Islam spirituel et
démocratique, religion de paix, de solidarité et de tolérance,
peut émerger de ce processus. Le salafisme sera-t-il soluble dans le féminisme ? […]

Le temps est révolu où la "gauche" des mâles reléguaient "la question
des femmes" après la lutte des classes. Les femmes ont joué un rôle primordial dans toutes les révolutions, de 1789 à la révolution russe de
1917, commencée le 8 mars — Journée des femmes — par une grève
générale des femmes. De nos jours, de la place Tahrir au Yémen, la participation massive des femmes représente une force considérable et efficace. Un grand mouvement autonome des Marocaines alliées à la classe ouvrière serait d’une puissance redoutable, et il est impossible d’envisager une révolution sociale sans leur participation. […]

On ne peut pas visiter le Maroc aujourd’hui sans être emporté par
l’enthousiasme et l’optimisme de ce printemps révolutionnaire. L’émotion est forte de voir une jeune génération sortir de l’apathie et du désespoir pour revendiquer la liberté et la justice sociale. Pour les militant-es qui ont survécu aux "années de plomb", une phrase revient : “Nous avons vieilli en attendant ce moment (et en luttant) !”

Le grand acquis politique du Mouvement du 20 février, surfant sur la vague des révoltes du "printemps arabe", c’est l’ouverture d’un espace de liberté publique où le mouvement démocratique révolutionnaire peut se développer, s’organiser et affronter le Pouvoir. Acquis fragile certes, mais
qu’il faut défendre et élargir pour repousser les limites imposées. Le peuple a besoin de cet espace de liberté politique et médiatique pour présenter ses revendications. Et ceci grâce à une pression grandissante de la base. Les brutalités policières n’ont pas réussi à intimider le mouvement qui avance en s’approfondissant et en s’implantant dans les quartiers et les villages. Une démocratie participative "par le bas" serait une manière créative d’exprimer cette liberté, de mettre en avant les revendications populaires et d’avoir ainsi la chance de prendre le pas sur la comédie constitutionelle mise en scène par le pouvoir.