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Christiane Passevant
Avis au consommateur. Chine : des ouvrières migrantes parlent
Pun Ngai (L’Insomniaque)
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 29 octobre 2023

Avis au consommateur

Chine : des ouvrières migrantes parlent

Enquête de Pun Ngai

Traduction de Claire Simon et Hervé Dénès (L’Insomniaque)

Que sait-on de ces innombrables produits made in China proposés un peu partout) à la vente, des conditions de leur fabrication, du coût humain que cela représente ?
En Chine, la situation des femmes migrantes — villageoises qui partent travailler dans les grandes villes — est dantesque. Preuve en est ce livre de Pun Ngai, publié par l’Insomniaque — Avis au consommateur — qui dresse un portrait cru de « l’atelier du monde » que sont les villes côtières du Sud de la Chine.

Avis au consommateur est une enquête auprès de seize paysannes devenues ouvrières qui font le récit de leurs mésaventures dans les villes-usines où sévit un système d’exploitation féroce. Les parcours de ces femmes sont incroyables. Elles racontent leur arrivée, le décalage entre la vie rurale et la vie urbaine, l’illégalité des déplacements à l’intérieur même de la Chine, les rabatteurs dans les gares, les premiers boulots, les bas salaires — et parfois leur non-paiement —, les horaires démentiels, les amendes, la discipline brutale, le surmenage, les accidents et les maladies professionnelles, l’encasernement ou encore les logements insalubres et le travail à la chaîne sans aucun recours aux euphémismes habituels à propos des conditions de travail.

Les conditions décrites par ces femmes révèlent que ces entreprises, qui vantent le miracle économique chinois (évidemment pour celles et et ceux qui en profitent), sont en fait de véritables bagnes industriels.

« Au collège, nous étudiions le marxisme. Quand le professeur nous faisait un cours sur la force de travail dans la société capitaliste […], il nous disait que les ouvriers y étaient férocement exploités. À l’époque, je n’y comprenais rien. C’est seulement maintenant, après être venue à Shenzhen, que je comprends peu à peu comment les capitalistes oppriment les ouvriers. »

Le passage de la théorie à la pratique est rude. « C’est comme vivre dans une société capitaliste » dit l’une d’elles. La prise de conscience de ces femmes se fait par un apprentissage cruel, certaines regrettent leur naïveté, mais presque toutes font le constat d’une lucidité acquise qui les fait remettre en question les règles d’une société oppressante pour les femmes qui leur ôtent tout espoir d’autonomie.

« Maintenant, c’est boulot-dodo, [dit une autre ouvrière], je ne fais rien d’agréable et je pense tout le temps à rentrer au pays. De toute façon, je ne suis plus toute jeune et travailler ici n’est pas mon but ultime dans la vie. Mais que je continue, ou que je rentre au pays, dans tous les cas, ce sera les mains vides. »

Rentrées au village avec un pécule, si elles ont de la chance, elles ne tardent pas à repartir car la ville a ouvert leur horizon et offert la possibilité de nouer des liens amicaux ou amoureux hors du carcan patriarcal et d’échapper aux mariages forcés. Elles y découvrent aussi la lutte, les grèves et la force de la solidarité ouvrière. C’est sans doute pour cela qu’elles reviennent souvent et malgré tout dans ces villes-usines. Suivent alors des allers-retours entre le village auquel elles sont attachées sentimentalement et la ville dans laquelle elles espèrent acquérir une certaine forme d’émancipation malgré l’exploitation qu’elles subissent. Et l’une des ouvrières d’ajouter « L’injustice entraîne la révolte ».

Dans ce contexte, les témoignages de ces ouvrières — recueillis récemment par une sociologue de Hong Kong — ont d’autant plus d’intérêt que ce genre de document est rare en français et qu’il devrait quelque peu bousculer la bonne conscience du consommateur et de la consommatrice en Occident.

Avis au consommateur. Des ouvrières migrantes parlent.


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