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Nestor Potkine
Sans armes face à Hitler
Jacques Semelin (Petite bibliothèque Payot)
Article mis en ligne le 16 novembre 2011
dernière modification le 18 septembre 2011

Beaucoup de livres indignent. Quelques-uns exaltent. Sans armes face à Hitler de Jacques Semelin (Petite bibliothèque Payot) exalte. Non qu’il soit écrit en alexandrins, ou qu’il contienne de vibrants appels à la révolution. C’est plus simple, et plus fort. Il retrace, non sans proposer un excellent modèle d’analyse, les exemples de résistance civile de masse au nazisme. Les cas, beaucoup plus nombreux que l’on ne s’en souvient, où, sans armes, des civil.es ont dit non.

L’intérêt du livre est évident : le premier argument contre l’anti-militarisme anarchiste, vous l’avez entendu cent fois, est « oui, mais devant Hitler, elle a bonne mine, la non-violence ». Certes Semelin ne prétend pas que sans Stalingrad et Omaha Beach, Hitler se serait rendu, le rouge au front. Mais il dit haut et fort que la résistance sans armes, la désobéissance civile est possible, même sous la botte d’un pouvoir entièrement dénué du moindre scrupule. Bien sûr, certaines conditions favorisent une telle résistance ; si cet acte correspond aux valeurs de la société au sein de laquelle il a lieu ; si cette société fait preuve de cohésion, ou si elle peut regagner cette cohésion grâce à cet acte ; si les institutions soutiennent, voire lancent cet acte, etc.

Le livre décrit des épisodes connus, et d’autres moins connus, encore que cela dépende du pays dans lequel on vit. En France, on sait que l’abjection collaboratrice a nettement moins séduit le pays lorsque le STO fut institué. Cacher les jeunes qui auraient dû partir en Allemagne fut un acte de résistance civile qui impliqua des dizaines, peut-être des centaines de milliers de personnes. On sait sans doute moins (pour ma part, je l’ignorais complètement) qu’en Pologne, face à la destruction programmée de la culture polonaise — l’une des premières mesures allemandes consiste à arrêter l’ensemble des professeurs de l’université de Cracovie — la population décida d’enseigner clandestinement étudiants et lycéens ! Chose notable, les lycéens, par dizaines de milliers, participèrent avec enthousiasme à ce programme de longue durée, illégal, dangereux. Leur enthousiasme est prouvé par le fait que malgré le notoire manque de prudence de cette classe d’âge, les nazis échouèrent à recruter des indicateurs et à localiser les centaines de lieux où se donnaient les cours.

Plus connu, l’étonnant triomphe des Danois, qui réussirent à faire passer leurs 7500 juifs en Suède en quelques semaines. Les 675 juifs arrêtés par les nazis le furent parce qu’ils avaient expressément refusé de partir. Le gouvernement danois harcela jusqu’à la fin de la guerre les nazis quant au sort de ces Danois-là, dont la plupart survécurent à la déportation. Moins connue, alors qu’elle est si proche, la rébellion des médecins néerlandais. L’occupation allemande aux Pays-Bas fut sans doute la plus brutale en Europe de l’Ouest. Les médecins néerlandais appartenaient pour la plupart à une organisation professionnelle, que les nazis voulurent infiltrer et contrôler, en vue évidemment d’en chasser les médecins juifs.

Rapidement, 5700 médecins néerlandais démissionnèrent de leur vieille organisation à présent menacée et en créèrent une nouvelle. Furieux, les nazis créèrent la leur, et envoyèrent à tous les médecins un formulaire d’inscription. Le remplir était évidemment obligatoire. 4261 médecins signèrent de leur nom une lettre collective de refus ! Les choses s’envenimant, en 1943, 6200 médecins déclarèrent officiellement qu’ils n’étaient plus médecins, afin d’échapper à l’inscription dans l’organisation nazie. Bien entendu, ils continuaient à soigner les patients. Les médecins réfractaires signalaient leur refus de s’inscrire chez les nazis en voilant la plaque de leur cabinet, geste public, et donc courageux s’il en fut. Ils obtinrent gain de cause, l’inscription à l’organisation nazie ne fut plus obligatoire.

Le 27 février 1943, la garde personnelle de Hitler fut envoyée dans les usines de Berlin où travaillaient les conjoints juifs de femmes allemandes. Le lendemain, l’un des centres où ces Juifs avaient été incarcérés vit un attroupement d’épouses furieuses scandant « Rendez-nous nos maris ! » On estime à près de 600 le nombre des courageuses (on vit aussi quelques hommes). D’autant plus courageuses que leur manifestation se déroulait presque sous les fenêtres du quartier général de la Gestapo pour les affaires juives. La police et les SS menacèrent de tirer, les femmes tinrent bon.

Le 6 mars 1943, les époux juifs étaient libérés.


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