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Thom Holterman
"Sécurité"
Article mis en ligne le 2 septembre 2011
dernière modification le 25 août 2011

Pendant l’été 2010, la discussion a flambé sur la sécurité. On a été confronté à la multiplication des violences dans certains quartiers des villes françaises. L’attention médiatique s’est surtout portée sur des incidents graves entre des jeunes et les forces de l’ordre. Tout cela a amené, de manière ferme, chez les politiciens à dire : « plus de caméras ! », alors qu’ils rêvent d’être sous les feux de la rampe. On a cherché des boucs émissaires. On les a trouvés : les roms. Déportons les ! Il faut que le peuple voie que nous osons agir fermement ! Cela va-t-il rétablir la
sécurité ? Non !

De quelle sécurité parle-t-on ? Est-ce la sécurité menacée par la
criminalité ? Bien sûr, la criminalité peut atteindre la sensibilité, le besoin de se « sentir en sécurité ». Ensuite, il est nécessaire d’indiquer se qu’on veut dire par « criminalité ». Pour cela, il faut nous reférer à une description positiviste, parce que le discours politique sur la « sécurité » est initié par le gouvernement. « Criminalité » renvoie à « agir par rapport au pénal ». Par le mot « pénal », on substitue « code pénal ». Pour inscrire des « agissements relatifs au pénal » dans le code pénal, il faut disposer du « pouvoir à définir ». Or, c’est la majorité parlementaire qui définit ce qu’est la criminalité par le code pénal. Tout est clair.

Damien Carême, maire (PS) de Grande-Synthe peut bien réclamer l’arrestation sans délai du délinquant le plus connu de l’agglomération dunkerquoise : le PDG de la multinationale milliardaire Total, Christophe de Margerie (Le Monde du 20 août 2010). Mais hélas, le « crime » qu’il a commis n’est pas inscrit dans le code pénal. Ni le PS quand il était au pouvoir, et, ni l’UMP, évidement, n’ont utilisé leur « pouvoir à définir »
pour cela, immobilisés qu’ils sont dans le système capitaliste.

La manière dont Christophe de Margerie a arbitrairement décidé de procéder à la fermeture de la raffinerie des Flandres, puis son refus délibéré de céder aux injonctions du tribunal lui intimant de redémarrer le site semblent être, au maire de Grande-Synthe, la priorité sécuritaire du moment. Le reproche reste « moral » et alors sans effet « pénal ». Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’effets criminogènes.

Dans l’actualité, le pouvoir politique se concentre sur quelques types d’agissements relatifs au pénal, pour des raisons populistes. On parle d’intervenir fermement et judiciairement contre les perturbateurs — avec tous les moyens pénaux. En vain, parce que la société actuelle produit
elle-même des facteurs criminogènes. C’est pourquoi les anarchistes n’ont jamais pensé en termes de pénalisation des actes non-désirables. Ils ont plutôt pensé en termes : organisons une société de telle sorte, que les facteurs que nous pensons criminogènes en soient absents.

Il est évident que, dans ce cas, on parle d’une société postcapitaliste dans laquelle l’humain est le facteur guidant et non pas la rentabilité. Pour discuter des problèmes sociétaux qui sont en cause, je suis enclin à renvoyer encore à l’idée du droit du milieu social. Encore ? Oui, parce que l’idée vient historiquement de loin, du français Alexandre Lacassagne (1843-1924), professeur de la chaire de médecine légale à l’université de Lyon. Il a lancé une pensée qui s’est construite en réaction à la théorie du « criminel-né » de Cesare Lombroso (1835-1909).

En développant une criminologie « sociologique », Lacassagne met l’accent sur le « milieu social ». Un de ces aphorismes est : « le milieu social est le bouillon de culture de criminalité » et, « la société a les criminels qu’elle mérite ». Outre ce caractère, Lacassagne cherche aussi les facteurs biologiques chez les criminels par une théorie néo-phrénologique (encore une sorte de craniologie). C’est une direction qui a rencontré une sévère opposition et à juste titre. Mais la voie sociologique reste à élaborer. Pour cela, la juriste et penseuse libertaire hollandaise, Clara Meijer-Wichmann (1885-1922) a élaboré une variante socialiste libertaire de la théorie du droit du milieu social.

Cette variante peut nous aider à clarifier la discussion sur la sécurité (publique, sociale) au sens libertaire. Mais avant de m’expliquer quant à son idée, il me faut remarquer quelque chose sur l’enseignement dans la faculté de droit à Rotterdam (Hollande) pendant la première moitié des années soixante-dix.

Évidemment, on y apprenait le droit pénal (sa théorie ; comme « science » ; la « politique pénal » ; le code pénale, sa « positivité », sa jurisprudence ; etc.). Il y avait des doutes quant aux résultats du droit pénal, c’est pourquoi on apprenait aussi « l’autre côté de la criminologie » et l’on faisait connaissance avec l’abolitionnisme (dépénalisation, fermeture des prisons). On parlait de l’organisation pénale comme « processus interactionnel et communicatif ». On essayait même d’appliquer la théorie cybernétique pour mieux comprendre la fonction du droit pénal. Cependant, une chose apparaissait comme évidente pendant l’enseignement de droit pénal : « Le système ne fonctionne pas ». On pouvait le remarquer si l’on se rendait compte du taux de récidive… La situation pénale n’a pas changé durant les années suivantes, ni en Hollande ni à l’étranger !

Il y a des siècles, par exemple, on coupait la main de celui qui avait volé ou une oreille pour punir et humilier : c’est ce qu’on faisait aux criminels. À l’aide de chevaux, on écartelait en quatre parties des personnes, on les pendait publiquement ou on les brûlait vives … Tout ça pour lutter contre la criminalité y compris les opposants au régime, à la religion… Or, même le plus cruel traitement (punition préventive ou répressive) n’a pu écarter la criminalité. La criminalité fait partie de la société, ainsi c’est une banalité… Embêtant ou choquant pour qui la subit. Cela produit des sentiments de peur, d’insécurité, de vengeance chez les victimes et leur environnement.

Ce sont précisément les sentiments dont le gouvernement se sert pour démontrer au « peuple » : nous sommes près de vous et allons agir fermement ! C’est-à-dire que des personnes, avec dans leur bagage personnel les diplômes des plus hautes écoles de France, commencent à marteler fortement : on va durcir les peines, on va multiplier la possibilité de déchéance de la nationalité pour les français d’origine étrangère, et il faut réduire les compétences des juges de liberté et de détention…

Entre temps, on se sert aussi d’une argumentation pars pro toto : on prend une partie (une minorité) comme représentative de l’ensemble (la totalité d’un groupe). Par exemple, une partie de la race blanche apparaît comme criminelle (voir dans les prisons), or tous les blancs sont des criminels… Cela nécessite une politique ethnique, n’est pas ?… Quelques magistrats dénoncent à juste titre « l’hystérie collective » (Le Monde du 4 septembre 2010). Ainsi, il n’est pas nécessaire d’être anarchiste pour faire une telle constatation !

Pas de sécurité par la voie du droit pénal ! Par une telle voie, on invite à la « guerre ». Un des exemples bouleversant, c’est la situation au Mexique. Depuis la fin 2006, 28.500 morts sont liés à la lutte contre la criminalité. En déployant 50.000 militaires sur le territoire, le président du Mexique a seulement radicalisé la violence des « narcos » (Le Monde du 4 septembre 2010).

En même temps on doit se demander : quelle est la situation sociale actuelle au Mexique ? Près de la moitié de la population (soit 53 millions de personnes) est touchée par la pauvreté. Le président du Mexique met bien les militaires dans les rues sans s’attaquer aux causes du mal : les inégalités, la pauvreté ou la corruption, exprime un professeur de droit spécialisé en sécurité publique à l’Université nationale autonome de Mexico. Il poursuit : c’est le manque d’opportunités qui pousse des milliers de jeunes à rejoindre les cartels (des entreprises criminelles). Voilà le facteur
« milieu social ».

Cela m’apparaît un cas extrême pour illustrer ce que la théorie du droit du milieu social prédit, mais quand même. En France, on pense résoudre le problème de l’insécurité en déportant un groupe ethnique, au lieu de réorganiser le « format » socio-économique de la société. Ainsi, il y aura d’autres personnes qui viendront remplacer ceux qui ont été déportés. La société a la criminalité qu’elle continue de produire !

C’est un des thèmes que Clara Meijer-Wichmann aborde dans ses « Thèses », écrites pour le premier congrès du « Comité d’action contre les notions en vigueur à propos du crime et la punition », publiées en mars 1920. Là, on peut lire des passages comme :

(1) La société actuelle est fondée sur des droits de monopole et d’exploitation. De telles sociétés suscitent des délits contre leurs tabous (entre autre la propriété).

(2) La criminalité de masse est le produit du système capitaliste et ne peut pas disparaître avec ce système. Et une lutte partielle contre certains excès ne peut pas empêcher que de nouvelles sources de misère et de criminalité jaillissent sans cesse. Ainsi, la question n’est pas si simpliste. « La » criminalité ne disparaitra pas, même en créant une société socialiste. La criminalité qui est liée aux relations de propriété capitaliste disparaitra, mais la confrontation avec la criminalité de la passion, de la jalousie, par exemple, ne peut être bannie. Il y a donc une criminalité qui reste et une criminalité qui passe.

(3) Cela veut dire qu’il faut étudier aussi la relation entre la société et la punition. Clara Meijer-Wichmann a prêté une grande attention à ce thème dans ses « Thèses ». Il y a pour elle une relation entre la manière de réagir sur des délits commis contre les normes en vigueur dans l’une ou l’autre société.

Dans une société essentiellement barbare, c’est-à-dire là où l’humain est utilisé comme le moyen pour certains buts, là il n’y a aucune hésitation à détruire ce qui est estimé nuisible pour la société. Et la prison signifie aussi pour elle : « destruction ». La société actuelle n’a pas encore su s’éloigner de sa phase « barbare », formule-t-elle. La société actuelle, le droit pénal actuel, ces sont des notions formulées en 1920.

Ainsi l’actualité nous saute aux yeux. On peut la mesurer avec la « déportation » des roms et aux cris de « durcir le droit pénal ». Le droit pénal actuel est à caractériser comme barbare. Ce n’est pas seulement parce qu’il punit des faits qui sont la cause immédiate de la misère de cette société, mais également parce qu’il part de l’idée que des faits mauvais doivent être empêchés par la dissuasion. Cette caractérisation invite à croire qu’on peut « corriger » les humains par le moyen de la « punition », ou que les représailles, par le moyen de l’injustice nouvelle, pourraient être rétablis, croyant ainsi rendre réparation au droit bafoué.

Bref, le « sécuritarisme » sarkozien, c’est un coup d’épée dans l’eau qui se sert seulement du populisme. C’est de la barbarie.