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Christiane Passevant
Éloge des jardins anarchiques et Bricoleurs de paradis (le gazouillis des éléphants)
Bruno Montpied et Rémy Ricordeau (L’Insomniaque)
Article mis en ligne le 2 juin 2011
dernière modification le 1er juin 2011

Un livre, Éloge des jardins anarchiques de Bruno Montpied, un film, Bricoleurs de paradis (le gazouillis des éléphants) de Rémy Ricordeau.

Éloge des jardins anarchiques de Bruno Montpied est un ouvrage qui
« traite de divers environnements spontanés populaires », une balade dans une multitude de récits en pierre, ciment, récupérations de toutes sortes, glissements de la réalité au rêve… De la création pure, sans ego ni mercantilisme…

Une belle histoire que cet Éloge des jardins anarchiques.
« Face à de telles créations s’impose en effet l’évidence que si elles ont pu être conçues, construites et ainsi exposées au regard de tous [et de toutes], alors, la possibilité d’une liberté commune et partagée, dans toutes ses implications sociales et humaines, n’est peut-être pas aussi chimérique que ce que veut bien nous en dire la sagesse résignée », écrit Rémy Ricordeau dans son avant-propos.

Rémy Ricordeau, c’est le complice, l’accompagnateur de ce périple en imagination, il est du voyage et a filmé un documentaire merveilleux et touchant, Bricoleurs de paradis (le gazouillis des éléphants), qui accompagne le livre de Bruno Montpied.

Au détour d’une route, en banlieue ou à la campagne, une maison, un jardin, soudain attire l’œil et l’on bascule dans un autre décor, dans un univers où les formes sont transgressées, hors des normes et des codes… Les créations se réapproprient le monde d’une enfance ré-imaginée, une liberté, une quatrième dimension reconstruite pour s’exprimer et se faire plaisir, c’est tout ! « entre deux que j’travaillais » dit Léon Évangélaire, « J’ai fait ça comme ça ! » dit M. Pailloux pour expliquer ses créations, son vélo et ses multiples vire vents…

Mais aussi pour « occuper le temps » ou la retraite, pour habiller un mur, pour égayer une maison ou la transformer en caverne, en décor fantastique de cinéma, de légende… En bref, on entre dans une dimension des « éruptions convulsives de créativité populaire [qui] s’émancipent des normes et des conventions, et se jouent au passage des règlements administratifs régissant l’urbanisme. »

Fini le décor social normalisé ! Place à la démesure, aux conteurs d’objets, à la réalité sublimée, à l’imagination pour animer, « habiller » les jardins, les maisons ou les palissades, place au recyclage de tout objet pour raconter simplement sa vision.

Dans Éloge des jardins anarchiques, Bruno Montpied présente des « œuvres en devenir d’une humanité qui aurait plus généralement, dans ses expressions et manifestations, l’audace de s’assumer elle-même, en dehors des critères définis par le conformisme social et le mercantilisme ».

Un livre et un film surprenants, magnifiques et sources d’inspiration.

Extrait d’un entretien avec Bruno Montpied et Rémy Ricordeau. [1]

Bruno Montpied : Il y a en fait deux parties dans le bouquin, une partie dont les articles ont été écrits pour certains depuis une vingtaine d’années et l’autre qui a fait suite au projet monté avec Rémy. J’ai aussi parlé de certains des créateurs sur mon blog, le Poignard subtil [2]. Le livre est né à la suite du projet de film, je ne voulais pas faire un livre tout de suite. Je voulais faire un inventaire, mais le projet était constamment. À la suite de la projection d’un des films de Rémy Ricordeau, Les Anges de la piste, nous avons discuté et finalement l’idée de faire un film sur l’art brut nous est venue. Il y a eu une bonne convergence de désir pour réaliser ce film ; ensuite Rémy m’a proposé de faire un livre pour accompagner le projet cinématographique.

J’avais alors l’idée de rassembler plusieurs textes sur l’art brut, mais aussi sur l’art naïf, l’art singulier car j’écris toujours sur les arts populaires spontanés. J’ai donc changé de projet pour m’aligner sur celui de l’Insomniaque et j’ai choisi uniquement des textes sur les environnements spontanés. J’utilise ce terme qui est un peu démarqué du terme anglo-saxon, en France on parle plutôt d’inspiré du bord des routes, d’habitants paysagistes. On englobe dans ces termes tous les créateurs, à la fois les artistes et les créateurs populaires. Je m’intéresse essentiellement aux expressions populaires. Pour moi, les artistes populaires, paysans, artisans, ouvriers, représentent une sorte de démocratie directe appliquée à l’art. Sinon on pourrait parler aussi d’environnement comme pour beaucoup d’artistes comme Niki de Saint Phalle ou Robert Tatin dont les œuvres montrent qu’ils ont une culture artistique branchée sur la culture de l’art moderne. Cela crée une sorte de confusion, car ils sont vus comme une forme d’art total, proche de la performance en vidéo, de l’art contemporain.

Or, il s’agit de plus que ça et c’est pour cette raison que je m’intéresse à ce sujet depuis très longtemps. Ce qui est remarquable dans ce phénomène, c’est que ce sont des personnes qui n’ont aucune formation artistique, qui ne sont pas issus de milieux cultivés. Pour certains, ils ont travaillé comme ouvriers toute leur vie et qui, tout à coup, décident de s’exprimer en trois dimensions et de toutes sortes de manières en inventant leur technique et leur mode d’expression.

L’inventivité, la créativité au naturel… Comment les faire s’exprimer en paroles sur leurs créations ?

Bruno Montpied : Au départ, cela n’a pas été simple, et nous n’obtenions pas de réponses à nos questions. Je posais des questions à la limite de la naïveté et de la bêtise pour les faire réagir, mais très souvent nous n’avions pas de réponses. Ce n’était pas évident.

Le film, Bricoleurs de paradis (le gazouillis des éléphants)…

Rémy Ricordeau : Pourquoi ce second titre le gazouillis des éléphants ? Si je le dis, il y aura moins de suspens…
Dans l’un des très beaux sites que nous avons visité durant le tournage, il y avait une des stèles sur laquelle était inscrit« Ici, on entend gazouiller les éléphants ». Et en cherchant le titre du film, nous nous sommes dit que le gazouillis des éléphants était poétique et tout à fait approprié pour le film. Il s’avère que pour des raisons de production, France 3, qui a produit le film, a considéré que le public avait besoin d’un titre parlant qui résume en quelque sorte le contenu du film. Et nous sommes arrivés à un compromis, Bricoleurs de paradis, mais pour nous le véritable titre, c’est le gazouillis des éléphants.