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Ceux de Tarnac
Paris-Texas, une proposition politique des mis en examen de Tarnac
Article mis en ligne le 31 mars 2011
dernière modification le 29 octobre 2023

Suite à la parution (fin février) de ce texte dans Le Monde ce communiqué ci dessous à circulé en ligne.


"Salud !

Contrairement à ce qui figure sur la version papier, le site du
Monde.fr a curieusement coupé une partie du titre de l’article qui, de
ce fait, devient largement incompréhensible et perd tout son effet
comique. Le titre véritable de l’article est "Paris-Texas, une
proposition politique des mis en examen de Tarnac".

Si vous pouviez restaurer sur votre site le titre non-amputé, vous
rendriez à vos lecteurs, qui sait ?, un peu de l’humour dont on ne
sait quelle raison - à dire vrai assez peu mystérieuse - a privé les
lecteurs du site du Monde.

Amicalement,

Des Tarnacois - 25 février."

"Printemps des peuples arabes", "révolution en marche", "transition
démocratique", "fin de la dictature". Les grandes machines discursives sont
de sortie. Il n’en faut pas moins pour parvenir à présenter le renversement
des régimes pro-occidentaux du Maghreb comme de nouvelles victoires de
l’Occident, et le triomphe inespéré de ses valeurs.

La fièvre révolutionnaire qui s’est récemment emparée des plus prudents
éditorialistes témoigne d’abord de l’intense réaction immunitaire à quoi
l’événement accule le discours dominant. On répond par un violent accès
d’orientalisme à la nécessité de disposer, au plus vite, entre nous et les
bouleversements en cours, un solide cordon sanitaire. On s’émerveille de ces
"révolutions" pour mieux esquiver les évidences qu’elles nous jettent au
visage pour mieux dissoudre le trouble qu’elles suscitent en nous.

Faut-il qu’elles soient précieuses, les illusions qu’il s’agit d’ainsi
préserver, pour que l’on se répande partout en pareilles apologies de
l’insurrection, pour que l’on décerne la palme de la non-violence à un
mouvement qui a brûlé 60 % des commissariats égyptiens. Quelle heureuse
surprise de soudain découvrir que les principales chaînes d’information sont
entre les mains des amis du peuple !

Or voilà : si les insurgés de l’autre côté de la Méditerranée disent :
"Avant, nous étions des morts-vivants. A présent, nous nous sommes
réveillés", cela signifie en retour que nous, qui ne nous insurgeons pas,
nous sommes des morts-vivants, que nous dormons. S’ils disent : "Avant, nous
vivions comme des bêtes, nous vivions dans la peur. A présent, nous avons
retrouvé confiance en nous, en notre force, en notre intelligence", cela
signifie que nous vivons comme des bêtes, nous qui sommes si évidemment
gouvernés par nos peurs.

Ceux qui peignent aujourd’hui aux couleurs les plus lugubres l’impitoyable
dictature de l’atroce Ben Ali ne le trouvaient-ils pas hier encore si
fréquentable ? Il faut donc qu’ils mentent aujourd’hui, comme ils mentaient
hier. Le tort de Michèle Alliot-Marie réside d’ailleurs là : avoir dévoilé
en quelques phrases à l’Assemblée nationale que, derrière tant de
dissertations d’écoliers sur la différence entre leurs dictatures et nos
démocraties, se cache la continuité policière des régimes ; en quoi les uns
sont certes plus experts et moins grossiers que les autres.

On peut détailler « ad nauseam » la brutalité de la répression sous Ben Ali. Il
n’en reste pas moins que les doctrines contre-insurrectionnelles ¬ l’art
d’écraser les soulèvements ¬ sont désormais la doctrine officielle des
armées occidentales, qu’il s’agisse de les appliquer en banlieue ou dans les
centres-villes, en Afghanistan ou place Bellecour à Lyon. Le feuilleton
hebdomadaire des petits mensonges et des misérables combines de Mme
Alliot-Marie ne saurait effacer le véritable scandale : avoir traité de
"situation sécuritaire" une situation révolutionnaire. Si nous n’étions pas
occupés à tresser des couronnes de jasmin ou de lotus aux révoltes du
Maghreb, peut-être n’aurions-nous pas déjà oublié que Ben Ali, quatre jours
avant de disparaître dans les poubelles de l’histoire, avait parlé des
émeutes de Sidi Bouzid comme d’"impardonnables actes terroristes perpétrés
par des voyous cagoulés". Ou que son successeur a cru apaiser la colère du
peuple en annonçant comme première mesure l’abrogation de "toutes les lois
antidémocratiques", à commencer par les lois antiterroristes.

Si nous refusons de tenir pour miraculeux l’enchaînement qui mène de
l’immolation de Mohamed Bouazizi à la fuite de Ben Ali, c’est que nous
refusons d’admettre comme normale, à l’inverse, l’indifférence feutrée qu’a
partout rencontrée pendant tant d’années la persécution de tant d’opposants..
Ce que nous vivons, nous et une certaine jeunesse politisée, depuis trois
ans, y est certainement pour quelque chose. Dans les trois dernières années,
nous dénombrons en France plus d’une vingtaine de camarades qui, toutes
tendances confondues, sont passés par la case prison, dans la plupart des
cas sous prétexte d’antiterrorisme et pour des motifs dérisoires ¬ détention
de fumigènes, introduction de glu dans des distributeurs de billets,
tentative ratée d’incendie de voiture, collage d’affiches ou coup de pied.

Nous en sommes arrivés en janvier au point où la magie du signalement sur le
fichier des "anarcho-autonomes" a mené une jeune femme en prison ¬ pour un
tag. Cela se passe en France, et non en Russie, et non en Arabie saoudite,
et non en Chine.

Chaque mois désormais, nous apprenons qu’un nouveau camarade a été prélevé
en pleine rue, que l’on a intimé à telle amie, après bien d’autres, de
devenir indic en échange de l’impunité ou d’un salaire ou de conserver son
poste de professeur, que telle connaissance a, à son tour, basculé dans la
dimension parallèle où nous vivons désormais, avec ses cellules miteuses,
ses petits juges pleins de haine rentrée, de mauvaise foi et de
ressentiment, avec ses insomnies, ses interdictions de communiquer, ses
flics devenus des intimes à force de vous épier. Et l’apathie qui vous
gagne, l’apathie de ceux qui vivent "normalement" et s’étonnent, l’apathie
organisée.

Car c’est une politique européenne. Les rafles régulières d’anarchistes en
Grèce ces derniers temps le prouvent. Aucun régime ne peut renoncer au
broyeur judiciaire, quand il s’agit de venir à bout de ce qui lui résiste.
La culpabilité est une chose qui se produit. Comme telle, c’est une question
d’investissement, financier, personnel. Si vous êtes prêt à y mettre des
moyens hors normes, vous pouvez bien transformer une série de faux
procès-verbaux, de faux témoignages et de manoeuvres de barbouzes en dossier
d’accusation crédible.

Dans l’affaire dite de Tarnac, la récente reconstitution de la nuit des
sabotages, si longtemps réclamée par la défense, en a administré le plus bel
exemple. Ce fut un de ces moments d’apothéose où éclate, jusque dans les
détails les plus infimes, le caractère de machination de toute vérité
judiciaire. Ce jour-là, le juge Fragoli a su occulter avec art tout ce qui
démontre l’impossibilité de la version policière. Il devenait subitement
aveugle dès que l’indocile réalité contredisait sa thèse. Il a même réussi à
mettre les rédacteurs du faux PV de filature à l’abri de la contradiction,
en les dispensant d’être là. Et cela était en effet superflu, puisque tout
ce petit monde s’était déjà transporté sur les lieux, une semaine
auparavant, en privé et en douce.

A dire vrai, qu’il ait fallu contrefaire la reconstitution suffit à montrer
que le procès-verbal lui-même était contrefait. C’est sans doute cela qu’il
a fallu abriter des regards en bouclant la zone par des murs de gendarmes
appuyés de brigades cynophiles, d’hélicoptères et de dizaines de brutes de
la sous-direction antiterroriste.

A ce jour, il en aura coûté quelques millions d’euros pour transformer en
instruction bien ficelée des fantasmes de flics. Il importe peu de savoir à
qui, pour finir, on imputera les actes qui furent le prétexte de notre
arrestation. Quant à nous, nous plaignons d’ores et déjà le tribunal qui
aura à faire passer pour du terrorisme la pose de quelques innocents
crochets, maintenant que bloquer les flux est devenu le moyen d’action
élémentaire d’un mouvement de masse contre la réforme des retraites.

Le silence frileux des gouvernants européens sur les événements de Tunisie
et d’Egypte dit assez l’angoisse qui les étreint. Le pouvoir tient donc à si
peu. Un avion décolle et c’est tout un édifice de forfaiture qui tombe en
miettes. Les portes des prisons s’ouvrent. La police s’évanouit. On honore
ce qui hier encore était méprisé, et ce qui était l’objet de tous les
honneurs est maintenant sujet à tous les sarcasmes. Tout pouvoir est assis
sur ce gouffre. Ce qui nous apparaît, à nous, comme démence sécuritaire
n’est que pragmatisme policier, antiterrorisme raisonné.

Du point de vue du gestionnaire de situations sécuritaires, l’ordre public
n’aurait jamais été ébranlé, et Ben Ali serait encore tranquillement
président, si l’on avait réussi à neutraliser à temps un certain Mohamed
Bouazizi.

C’est à l’évidence, dans les banlieues comme dans les mouvements de révolte,
la chasse aux Bouazizi, aux fauteurs d’insurrection potentiels qui est
lancée, et c’est une course contre la montre ; car, de Ben Ali à Sarkozy, qui
règne par la peur s’expose à la fureur.

Monsieur le président, il y a des ranchs à vendre au Texas, et votre avion
vous attend sur la piste de Villacoublay.

Aria, Benjamin, Bertrand, Christophe, Elsa, Gabrielle, Julien, Manon,
Matthieu et Yildune, sont les dix personnes mises en examen dans l’affaire
dite "de Tarnac"