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Jean-Pierre Garnier
Quand le cinéma « descend dans la rue »
Même la pluie. Film d’Iciar Bollain
Article mis en ligne le 31 mars 2011
dernière modification le 22 février 2011

Même la pluie. Un titre anodin pour un film qui ne l’est aucunement. La réalisatrice, Iciar Bollain [1], dont j’ignorais, comme vous tous sans doute, le nom et l’existence jusque-là, secondée à l’écran par Gael Garcia Bernal, l’un des meilleurs acteurs de cinoche de ces dernières années, mêle la révolte de l’eau qui a secoué la Colombie en 2002, le récit d’un tournage dans des conditions précaires et la confrontation entre les indiens d’Amérique et leurs premiers colonisateurs.

Je ne vais pas vous raconter l’histoire. Mais le parallèle entre la reconstitution, pour le tournage d’un film de fiction, de l’oppression et l’exploitation des « indiens » par les conquistadores, et la révolte violemment réprimée, au même moment et sur les lieux mêmes, de la population locale embauchée au moindre coût pour la figuration, contre une multinationale privatisant l’usage de l’eau, est tout simplement saisissant.

Au cours de séquences haletantes, le scénario fait se téléscoper l’arrivée de Christophe Colomb avec sa soldatesque, soldats du Christ fanatisés compris, le conflit social qui embrase la ville et les perturbations, tant matérielles que psychologiques, qui en résultent au sein de l’équipe venue tourner le film.

Bien entendu, la « critique » française, veule comme à l’accoutumé, n’a pas manqué de trouver « un peu facile et simpliste » ce rapprochement visant à montrer que « les indiens sont opprimés par les mêmes bourreaux que jadis ». Néanmoins, elle a dû reconnaître que la mise en scène fiévreuse de la réalisatrice et l’intensité du jeu des acteurs - tous excellents - donnait au film « une force indiscutable ». Et même que l’énergie qui s’en dégage devrait permettre à la « conclusion » à laquelle il aboutit de « laisser durablement sa marque dans l’esprit du spectateur ». Quelle conclusion ?

Nos cinéphiles de merde se gardent de la formuler explicitement. Mais je le fais à leur place. À savoir que en Colombie, en Amérique latine et, actuellement, de l’autre côté de la Méditerranée, « la rue », pour reprendre cette appellation stigmatisante commune aux Versaillais de toujours pour désigner un soulèvement populaire, est un espace obligé de lutte pour l’émancipation collective. Et qui devrait finir, un de ces jours, par l’être à nouveau sous nos cieux. Si l’on ajoute que Evo Morales a « fourni » les troupes et les manifestants que l’on voit s’affronter sur l’écran — le film n’évidemment pas été tourné en Colombie, mais en Bolivie —, et que film est dédié au grand historien dissident étasunien Howard Zinn, on aura compris que la réalisatrice et son lumineux acteur (qui avait déjà joué le « Che » dans un film relatant les tribulations de ce dernier en motocyclette avant de devenir guérillero) ont ouvertement choisi leur camp. Qui, bien sûr, est aussi le nôtre.