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Jean-Manuel Traimond. Photos Christiane Passevant
Le Pantéton, musée du téton français
Un guide méchant [et parfois moche] de Paris
Article mis en ligne le 30 janvier 2011
dernière modification le 21 janvier 2011

À l’intérieur du beau mais froid chef-d’œuvre de Soufflot, dans la fresque de M. Galland, Prédication de Saint-Denis, on admirera le téton, parfaitement conique et ferme, de la jeune fille écoutant Saint-Denis. Il convient de ne pas attirer sur lui l’attention des adolescents masculins en période d’examens.

Dans Martyre de Saint-Denis, une œuvre de M. Bonnat, de l’Académie des Beaux-Arts, remarquable par ses tons froids que ne réchauffent que les taches de sang, on relèvera les tétons marqués du bourreau. Deux détails amusants : le pied solitaire d’un spectateur du martyre, qui, effrayé, fuit si vite qu’on ne voit que son pied ; puis la solution apportée au problème de la hiérarchie des auréoles. Si M. Bonnat maintient une auréole autour de la tête pourtant décapitée de Saint-Denis, il place une lumière surnaturelle autour de la plaie du cou, et accorde, plutôt qu’une auréole pleine, un jonc doré à la tête du disciple de Saint-Denis.

M. Joseph Blanc, dans Baptême de Clovis, a donné au fondateur de la monarchie française, qu’il a peint blond et pâle, des tétons dont la délicatesse intrigue.

En 1764, Louis XV pose la première pierre de l’église Ste-Geneviève, futur Pantéton.

En 1791, la Constituante substitue un culte à un autre, à la demande du marquis de Pastoret : « Que le temple de la religion devienne le temple de la patrie ». La dépouille de Mirabeau y est déposée.

En 1793, l’aide apportée par Mirabeau à la monarchie étant découverte, on expulse sa dépouille.

En 1794, l’aide apportée par Marat à la Révolution étant appréciée, la dépouille de Marat est déposée au Pantéton.

En 1795, l’aide apportée par Marat et les Jacobins à la dépopulation de la France n’étant plus appréciée, sa dépouille est jetée à la fosse commune.

En 1796, on reparle d’un projet de Bernardin de St-Pierre qui avait imaginé un Elysée, un cimetière-jardin en cercles concentriques pour récompenser les grandes figures de la nation : à sa périphérie, les inventeurs qui renforcent la maîtrise de l’homme sur la nature, Montgolfier par exemple. Plus à l’intérieur, les militaires qui ont donné leur courage. Plus encore à l’intérieur, les gloires intellectuelles, telles que Fénelon. L’avant-dernier cercle est réservé aux femmes, aux héroïnes obscures, les mères de famille. Le centre revient aux citoyens justes.

En 1806, l’aide apportée par l’Église concordataire à l’établissement de son empire étant appréciée de Napoléon Ier, celui-ci rend le bâtiment au culte. La crypte est toutefois assignée à l’inhumation des dignitaires du régime, notamment les grands-officiers de la légion d’honneur. Les chanoines devront célébrer avec pompe le 15 août, fête de la Saint-Napoléon.

En 1822, Louis XVIII rend l’intégralité de l’église au culte ; mais on s’aperçoit qu’elle n’a pas encore été consacrée, ce que l’on s’empresse de faire. On enlève du fronton l’inscription « Aux grands hommes la patrie reconnaissante », que l’on remplace par « D.O.M sub. invocat. S.Genovafae. Lud. XV dicavit. Lud. XVIII restituit. »

En 1830, soucieux de plaire à ceux qui l’ont mis au pouvoir, Louis-Philippe redonne à l’édifice sa vocation « primitive et légale ». On remet les grands hommes au fronton.

En 1852, Napoléon III refait du Pantéton une église.

En mars 1871, les Communards hissent le drapeau rouge.

En mai 1871, les Communards sont fusillés.

En 1874, le marquis de Chennevières lance un programme iconographique national-catholique.

En 1885, la IIIe République pantétonise Victor Hugo.

En 1964, De Gaulle pantétonise Jean Moulin.

En 1981, François Mitterrand pantétonise une fleur coupée.

En 2005, on ne compte toujours qu’une seule femme, Marie Curie, parmi les grands hommes.

Georges Barbarin savait peut-être que l’église du Val-de-Grâce fut voulue par Anne d’Autriche pour faire la pièce à la Chapelle de la Sorbonne voulue par Richelieu, et fut donc édifiée exprès plus haut et plus haute que la Chapelle : « Comme je n’ai pas de mémoire, je n’ai jamais pu distinguer le Val de Grâce du Panthéon, ni le Panthéon de la Sorbonne. Ce sont trois monuments qui font le gros dos. Certains arrivent à les reconnaître à cause de leurs inégalités, comme ces jumeaux revêtus d’habits de couleurs différentes. Mais cela ne sert de rien et n’évite pas les quiproquos. Tous les jours des étudiants entrent au Panthéon et des morts illustres professent en Sorbonne. »

Du même, prophétisant au sujet de Lady Diana : « Dans l’escalier de la crypte sont enchâssés dans une poterie les reliques de Gambetta. On voudrait penser à son cœur. On n’aperçoit que la cruche. »


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