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Christiane Passevant
Même pas drôle. Philippe Val de Charlie Hebdo à Sarkozy
Sébastien Fontenelle (Libertalia)
Article mis en ligne le 5 décembre 2010
dernière modification le 17 novembre 2010

« Le journalisme, selon Val, qui manque rarement une occasion de prodiguer de sévères (mais justes) leçons d’éthique et de déontologie, doit en théorie s’attacher aux faits, sans bien sûr s’interdire l’analyse, mais en prohibant, tout de même, toute opinion qui serait fondée sur d’autres opinions – sur des présupposés, idéologiques ou autres – plutôt que sur la réalité.
Sa pratique, tout au long de l’évolution qui l’a fait passer en dix ans de la moquerie de "l’Aimé Jacquet de la pensée" à l’intégration du cercle des "amis de Bernard-Henri", fut parfois un peu différente : on ne compte plus les malheureux qui, parce qu’ils avaient commis un crime de lèse-Val en lui portant la contradiction, ou plus généralement parce qu’ils avaient pensé trop à l’écart de la doxa dominante, se sont vu intenter d’extravagants procès d’intention. Au vrai : Val aurait eu tort de se gêner, puisque cette digne et pesée conception de son métier, où les puissants – élus, patrons, éditocrates – n’ont trouvé qu’assez peu de vrais motifs de fâcherie, lui a finalement ouvert un accès vers le firmament de l’audiovisuel étatique, sous le règne, décomplexé, de Sarkozy.
 »

La nomination de l’ex-patron de Charlie Hebdo à la direction de France Inter avec la bénédiction de Nicolas Sarkozy fut en 2009 l’apothéose d’une longue décennie de réalignements idéologiques. Entre 1999 (année de sa prise de position en faveur de l’intervention de l’Otan au Kosovo) et 2009, Philippe Val a en effet amendé nombre de ses points de vue, passant de la gauche altermondialiste à la récitation de psaumes conservateurs.

Même pas drôle… C’est le moins qu’on puisse dire devant cette suite d’éditoriaux et de leçons données sur le mode hargneux, délirant et pathétique. Vous ne pensez pas comme lui qui est un modèle de la démocratie ? Alors, au choix : vous êtes un ou une traite, ou bien vous donnez dans le crétinisme. Ah le choix est étroit selon la sentence du grand moralisateur !

Un exemple parmi bien d’autres, Serge Halimi. En 2000, celui-ci commet, avec Dominique Vidal pour le Monde diplomatique, un article qui démontre que la « “justification de la guerre menée par l’Otan” au Kosovo “a perdu beaucoup de sa crédibilité” […]. Les deux journalistes mentionnent notamment, que Val, très “à rebours des traditions satiriques libertaires
et pacifistes de son hebdomadaire”
[Charlie Hebdo], a contribué à
ce qu’ils appellent un véritable “conditionnement de l’opinion”
 ».

Au rappel de son engagement va-t-en-guerre au Kosovo, un an auparavant, Philippe Val se déchaîne et dénonce des propos diffamants. Dans la foulée, à l’« obsession maladive » et aux « petits fusibles fondus » qu’il décèle chez Serge Halimi, il ajoute sa « déchéance morale » — le journal PLPL lui reste visiblement en travers de la gorge. Val lui reproche aussi son rôle de « parasite dans la charpente », jugeant qu’il ne faut pas cracher dans la soupe médiatique — autrement dit : critique interdite des actionnaires, en l’occurrence Le Monde — et enfin, note finale, il l’accuse de sympathie pour les totalitarismes et conclut en proclamant une filiation du travail de journaliste d’Halimi avec la presse de droite des années 1930.
La méthode étant d’asséner des anathèmes à qui mieux mieux, sans preuve et surtout pas dans la dentelle ! Mais calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! Ce qui ressort de ses attaques, c’est que Serge Halimi le dérange rudement.

Pourtant, il avait applaudi son ouvrage, Les Nouveaux chiens de garde, dans lequel Halimi, « preuves à l’appui », fait la démonstration que
« les médias français, qui se présentent si volontiers comme un
contre-pouvoir, sont en réalité dominés “par un journalisme de révérence,
par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché,
par des réseaux de connivence”. Dès lors, “dans un périmètre idéologique
minuscule, se multiplient les informations oubliées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices, les services réciproques” — avec le navrant résultat qu’“un petit groupe de journalistes omniprésents”, omniscients et omnipotents, “impose sa définition de l’information-marchandise” à toute une profession : “Ces appariteurs
de l’ordre sont les nouveaux chiens de garde de notre système économique.
 »

Mais si, quelques années auparavant, Philippe Val avait aimé ces propos, une fois confronté à ses propres contradictions… Le jugement est différent et il s’agit alors de fustiger la « déchéance morale » du même
Serge Halimi ! Singulière évolution d’un humoriste qui, bien avant d’être
le patron de Charlie Hebdo, jouait sur scène, avec Patrick Font, les trublions. Les deux compères ont même produit des spectacles au
théâtre Dejazet, et certains en soutien de Radio Libertaire.
Eh oui, le même Philippe Val !

Dans Même pas drôle. Philippe Val, de Charlie Hebdo à Sarkozy,
Sébastien Fontenelle souligne le contraste saisissant, entre le Val qui,
devenu patron de France Inter sous Sarkozy, licencie en juin 2010 les humoristes Stéphane Guillon et Didier Porte, et le Val qui, patron de
Charlie Hebdo, rédigeait en 2007 de bouleversantes plaidoiries pour la
liberté d’expression, jurant que « tout ce qui pourrait prêter à controverse » pouvait et devait être librement dit, et qui écrivait par exemple :
« À chaque fois que l’on recule, à chaque fois que l’on est prudent ou responsable à l’intérieur de nos États de droit, on perd l’estime de ceux qui nous font reculer, ils ne font que nous mépriser car devant eux, nous piétinons nos propres valeurs. »

Extrait

Val n’aime pas tellement Internet. Il n’aime pas beaucoup, non plus, et par voie de conséquence, les internautes.

Cela remonte, d’après Mona chollet, au – triste – jour de janvier 2001 où il est tombé, après que son ordinateur venait « d’être raccordé au réseau », sur un article du site uzine – aujourd’hui disparu – qui décortiquait « sans pitié » sa « mauvaise foi ». découvrant l’ampleur de l’offense, Val est entré « dans une rage folle », explique encore Mona chollet – un peu comme si la liberté d’expression, pour essentielle qu’elle soit au bon fonctionnement de la démocratie, ne devait tout de même pas être employée à critiquer la prose d’un éditocrate qui se présente volontiers comme l’un de ses plus intransigeants défenseurs.

Quinze jours plus tard, Val offre au monde – qui n’en peut mais –, sous la forme d’un éditorial d’anthologie, un puissant manifeste d’où ressort que les internautes sont, eux aussi, des ennemis de la démocratie, car en effet, « à part ceux qui » n’utilisent Internet « que pour bander, gagner en Bourse et échanger du courrier électronique », demande-t-il, « qui est prêt à dépenser de l’argent à fonds perdus pour avoir son petit site
personnel ? »

réponse : « des tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs, qui trouvent là un moyen de diffuser mondialement leurs délires, leurs haines et leurs obsessions. » Val poursuit, retrouvant le fil de ses plus hardis amalgames : « Internet, c’est la kommandantur du monde néolibéral. c’est là où, sans preuve, anonymement, sous pseudonyme, on diffame, on fait naître des rumeurs, on dénonce sans aucun contrôle et en toute impu- nité. » (cette description – « on diffame, on fait naître des rumeurs, on dénonce sans aucun contrôle et en toute impunité » – évoque irrésistiblement, notons-le au passage, ce que serait, par exemple, la production d’un éditorialiste qui aurait pris le pli d’intenter, « sans preuve », des procès en hitlérisme à ses contradicteurs.)