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Christiane Passevant
Tue ton patron
Jean-Pierre Levaray (Libertalia)
Article mis en ligne le 26 septembre 2010
dernière modification le 22 septembre 2010

Putain d’usine, Après la catastrophe, Classe fantôme… Trois livres de Jean-Pierre Levaray qui, d’un coup, ont brisé le consensus sur le leurre du progrès et d’une classe ouvrière soit disant intégrée, escamotée, dissoute dans une classe moyenne… virtuelle ou fantasmée. Car, comme Levaray l’écrit, « la lutte des classes continue tous les jours, et depuis quelques années ce sont les patrons qui marquent des points. »

Avec ce roman, Tue ton patron, Jean-Pierre Levaray passe à une autre phase de la réflexion. Quand les masques tombent, quand les plans sociaux se multiplient et se banalisent, que le profit est l’unique règle revendiquée, quand le cynisme le dispute au mépris… Plus question d’être un pion ! L’action est alors la seule alternative pour le héros qui décide de liquider son patron.

Tue ton patron : Un plan, le refus de se soumettre, un temps pour construire un scénario parfait et faire disparaître toute trace qui puisse mener au coupable, transformer son apparence pour approcher celui qui se croit intouchable… Depuis un appartement squatté dans le quartier de la Défense, l’homme échafaude son projet de meurtre et, plus généralement, de coup porté au système…

« En haut de cette tour, du haut de mon mirador, j’observe et je réfléchis à comment faire. Je suis le ver dans le fruit. Patrons, décideurs, entrepreneurs, boss, crapules, tremblez, je vais faire un exemple… »

Avec le pistolet d’un anarcho-syndicaliste, clin d’œil à la révolution espagnole et à la CNT, la victime de l’un des fameux plans de
« sauvegarde de l’emploi » se rebiffe. De prédateur, le patron devient gibier. Action directe et violence contre les violences des patrons :

« J’ai comme des désirs de meurtres collectifs, de bombes bien placées. Juste se débarrasser d’eux. Casser tout et recommencer autre chose. Sur d’autres bases. Je pense à ces ouvriers qui ont retrouvé le réflexe de séquestrer leurs patrons. Je pense à ces Indiens qui ont tué le leur. Un jour, peut-être qu’un patron défoncera la baie vitrée de son bureau, lancé par des ouvriers excédés. La terreur doit changer de camp… »

Tue ton patron décrit une réalité troublante dans le travail et les rapports hiérarchiques. Jean-Pierre Levaray déclarait d’ailleurs, dans un entretien lors du salon du livre libertaire de mai 2010, qu’un ancien employé avait tué son patron et le fils de ce dernier à Toulouse. Alors plutôt que de se suicider au travail, certain-es pouvaient aussi retourner l’arme contre leur hiérarchie et « ils [les patrons] ont peur de ça. Ils doivent même penser que c’est étrange que cela n’arrive pas plus souvent. »

Outre les descriptions acerbes et ironiques de la vie des bureaux, les scènes de manifestations étonnantes de réalité, les rencontres dans les instances illustrent parfaitement les rapports en décalage et dans la dérision entre les travailleurs en usine et le siège social parisien : « Les conseils d’administration, c’est quelque chose de terrible, mais j’étais là juste en observateur. Et cela m’a servi pour écrire le bouquin. »

La musique tient un rôle important dans le livre, le titre, Tue ton patron, vient du nom d’un groupe de Bordeaux, TTP, et le personnage, qui se décrit lui-même comme un homme ayant mené une vie banale, écoute de la musique pour aller au bout de son acte, pour s’en donner parfois le courage. Musiques, clins d’œil aussi au cinéma et aux comics étasuniens. « Ce bouquin, cela fait quelque temps que je l’ai en tête, mais c’est lorsque j’ai eu cette arme en mains, ce pistolet qui datait de la révolution espagnole que j’ai su que j’allai l’écrire. Parce que je ne savais pas encore comment j’allais tuer mon patron avant cela. »

Un fantasme qui traverse l’esprit de nombreuses personnes, même si elles se l’avouent pas : « Je me suis rendu compte d’une chose, lorsque que je parle du livre ou au cours de débats, c’est que tout le monde a songé à un moment ou à un autre à tuer son patron. Les gens ne le font pas sinon on serait tous en taule. Mais voilà, moi je l’ai fait et vous pouvez le lire. Et puis tu peux le filer à ton patron ! »