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Christiane Passevant
Identité nationale. Amer ministère
Évelyne Perrin (L’Harmattan)
Article mis en ligne le 15 mai 2010
dernière modification le 7 juin 2010

Le nationalisme d’État, qui s’affiche en France, en 2007, avec la création du ministère de l’Identité nationale et de l’immigration, et qui s’inscrit, en 2009, dans une démarche ambiguë et douteuse du parti au gouvernement avec le soi-disant débat sur l’identité nationale, se résume-t-il au détournement des idées de l’extrême droite ? Histoire de conquérir une partie de l’électorat de la droite extrême. L’emprunt est manifeste, mais le phénomène n’est pas strictement français. Il s’observe dans de nombreux pays européens séduits par une idéologie nationaliste de repli identitaire sous le prétexte de défense nationale face à la crise. La propagande xénophobe d’État bat son plein et les politiques antimigratoires, en place depuis plusieurs décennies, sont une manière de détourner l’attention de la population sur un bouc émissaire plutôt que d’évoquer les problèmes sociaux, les hypothèses de solutions et la responsabilité du système.

Supprimer ce ministère de la honte serait un premier pas, mais l’abandon du nationalisme, de la xénophobie d’État comme de l’instrumentalisation politique de la peur est autrement plus important pour éviter toute dérive autoritaire.

Dans son ouvrage, Identité nationale, Amer ministère, Évelyne Perrin mène une enquête fort intéressante auprès de 200 jeunes Francilien-nes, et cela deux mois après l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 et la création de ce ministère de la honte. Ce qui ressort, c’est le décalage entre les perceptions des jeunes et les présupposés de bureaucrates qui sont à l’initiative du fameux ministère :« Il faut toute la sottise obtuse du bureaucrate pour croire qu’une identité unique pourrait épuiser toute la richesse que l’individu porte en lui. »

Réflexion de bon sens. Mais que pensent les jeunes de la création d’un ministère de l’Identité nationale ? Sont-ils/elles conscient-es des conséquences de la spirale du nationalisme, avec banalisation de la xénophobie, de la discrimination, du sécuritarisme et — pourquoi pas ? — le risque d’une dérive fasciste ? Que signifie donc identité nationale pour ces jeunes qui vivent au quotidien, du moins en zone urbaine, la mixité des cultures ?

« De fait, une écrasante majorité des jeunes interviewés, s’ils se disent peu convaincus par la notion d’identité nationale, sont très attachés à la diversité ethnique de la population, et se disent même favorables au métissage, qu’ils semblent pratiquer pour une partie d’entre eux à titre personnel dans leurs relations amicales et amoureuses. Qu’ils soient d’origine française ou du moins européenne depus longtemps ou descendants de diverses immigrations non européennes, ils expriment de façon très majoritaire un amour et une soif de la diversité ethnique et culturelle, qu’ils vivent comme une richesse et ne veulent à aucun prix voir régresser. » Et pour appuyer le propos, ils/elles revendiquent : « Nous, c’est le melting pot ».

Pour Évelyne Perrin, « l’identité nationale constitue, aujourd’hui, une synthèse du pluralisme et de la diversité des populations et ne saurait être fixée dans le périmètre d’un ministère ». Et, ajoute-t-elle, ce qui est inadmissible, c’est que « ce ministère, qui détient en priorité des pouvoirs de police et de contrôle, [soit] aussi chargé de “promouvoir l’identité nationale” et de définir une “politique de la mémoire” dans le domaine de l’immigration. Il dispose d’une autorité complète et nouvelle sur l’asile politique et d’une autorité partagée sur une multitude d’administrations, y compris sur la “direction de la mémoire, du patrimoine et des archives” du ministère de la Défense. »

La mainmise et les enjeux apparaissent ainsi bien plus inquiétants. Les années 1930 reviennent en mémoire et l’on sait sur quoi cela a débouché. On désigne un ennemi intérieur : l’immigré, le sans-papiers, le clandestin, l’étranger… Questionner l’identité nationale revient à stigmatiser l’Étranger, l’Étrangère, l’Autre comme un danger potentiel pour l’intégrité nationale. Identité nationale. Amer ministère et l’enquête que mène Évelyne Perrin revient aussi à poser la question de la légitimation du racisme. Quelles sont les effets de la propagande sur la population ? Quel est de degré de bourrage de crâne pour accepter l’inacceptable ?