Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
CREAGH, Ronald. "La révolte en pointillé"
Article mis en ligne le 25 janvier 2006

La contestation n’est jamais simple ni unie. Bien sûr, les médias promeuvent çà et là des meneurs : Cohn-Bendit et Geismar en mai 68, Lech Walesa, José Bové ou le Commandant Marcos en d’autres temps. Mais il est dangereux de s’y laisser prendre, surtout quand il s’agit d’une fermentation sociale permanente.

C’est au niveau des représentations politiques que les liens existent : sans parler de l’islam comme mythe d’allégeance affinitaire, de la défense des lieux saints et de l’arabisme, il existe d’autres trames, d’autres filiations et d’autres cousinages. Le pétrole est lié à la question palestinienne et l’Intifada, et celle-ci est ominiprésente dans le monde arabe : il faut se rappeler des réactions populaires en Algérie au moment de la guerre du Golfe. De même, la référence au terme coranique "mustadafin", - les déshérités - est constante dans de nombreuses manifestations arabes.

Dans la pratique, les révoltes sont éclatées et les groupes qui se forment se recomposent incessamment. Cela est particulièrement vrai dans les pays musulmans, dont les nations ont été plutôt divisées par l’histoire, c’est-à-dire surtout par les grandes puissances. A l’intérieur même des nations, la répresson perpétuelle entraîne l’emprisonnement ou l’assassinat des nouveaux meneurs ou à leur exil en d’autres lieux où, parfois, leur mouvement va essaimer.

La diversité des courants apparaît ainsi au sein même de chaque pays : en Egypte, par exemple, les nassériens, parfois proches d’une gauche marxiste, se sont souvent opposés aux frères musulmans. L’observateur doit continuellement prêter attention à l’émergence de nouvelles générations d’acteurs politiques, aux recompositions des alliances, à l’évolution des ressources symboliques utilisées contre les pouvoirs en place.

Les divergences apparaissent également au sein de cette immense formation religieuse désignée par le nom d’islam : l’absence d’un pape, la multiplication de ses institutions, la rivalité des Etats arabes contribuent au moins à freiner, sinon à nuancer à l’extrême, l’influence dominante des nations pétrolières, notamment de l’Arabie saoudite.

Il existe d’ailleurs des incompatibilités structurelles. Il n’y a rien de commun entre la manière dont se légitime l’appareil politique libanais et celui de l’Egypte ou de la Syrie. La référence à la modernité occidentale varie selon les formes de développement économique de chaque territoire et, surtout, son héritage idéologique, car les meneurs en sont différents : révolte druze en Syrie, résistance des oulémas chiites en Iraq, émeutes urbaines en Egypte.

Les conflits tribaux, les guerres civiles alternent ainsi avec l’escalade des gestes symboliques, lancés par des autorités ou des opposants en quête d’une légitimimité insaisissable. Comme das la Pologne de Walesa ou dans l’extrême-droite conservatrice américaine de Bush, la religion sert de point d’ancrage : la réislamisation se présente d’abord comme le lieu de résistance et de ressourcement du combattant qui, lui, se voit comme un persécuté. Le vêtement religieux de la personnalité donne l’illusion qu’elle n’est pas nue.

Les stratégies unitaires, le spectre du jacobinisme qui hante bien des militants français, sont ainsi des réponses inapropriées. Elles ne peuvent amorcer que de nouvelles répressions. La modestie du regard et de l’action quotidienne sont, elles, à la portée de chacun.

Ronald Creagh


Dans la même rubrique

EGYPTE : "Ça suffit !"
le 25 janvier 2006