Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
À ceux qui se croient libres. Thierry Chatbi 1955-2006
Lettres et témoignages par Nadia Menenger (L’insomniaque)
Article mis en ligne le 15 janvier 2010
dernière modification le 26 décembre 2009

Mesdames et messieurs les humanistes, la torture ne s’aménage pas, elle se supprime. Les longues peines sont une forme d’élimination sociale, une mort lente à peine déguisée, de la vengeance pure, le message adressé au corps social, aux prolos et sous-prolos, aux travailleurs pauvres, aux fins de droits, à tous les exclus qui auraient quelques velléités d’émancipation, d’une non-acceptation.

Né en 1955, Thierry Chatbi a connu la maison de correction, puis des centres pour jeunes détenus pendant son adolescence. Par la suite, il a été enfermé dans des maisons d’arrêt avant d’aller pourrir dans des centrales de haute sécurité.
Sa singularité, c’était sa lucidité ; il savait ce monde gouverné par et pour les nantis et ne voulait pas trimer pour quelques miettes.
Très jeune, il a opté pour l’illégalité, au risque d’être enfermé. Thierry Chatbi a payé ce choix au prix fort : plus de vingt-cinq ans de prison.
Son refus de se faire exploiter s’est mué en refus de se soumettre au code pénal et à l’administration pénitentiaire.
Pendant de longues années, il s’est battu, préparant des évasions, prenant une part active aux mouvements de prisonniers des années 1980. Son engagement l’a conduit à passer plus de treize ans dans les quartiers d’isolement, dont il n’a cessé de dénoncer l’existence. Thierry Chatbi avait une haute idée de la liberté. à tel point qu’après son ultime sortie de prison, il s’est suicidé en 2006, préférant la mort au renoncement et à la soumission que cette société impose à ceux qui ont passé des décennies dans les geôles de la République.

À quoi sert la prison ? Ou plutôt à qui sert la prison ?
Questions rarement posées, mais pourtant fondamentales. La prison, déclarée privation de liberté pour un individu qui a commis un délit, est en fait une broyeuse de vie. La prison est un échec terrible, elle est un creuset de la haine, de l’injustice et de la violence. Mais dans notre société actuelle, qui prône le « droit à la sécurité » avant le respect de l’individu, et qui vante la répression comme la solution aux problèmes sociaux, il va falloir lutter pour briser les idées reçues sur la nécessité de la prison. La prison est un déni de l’individu, un lieu de non droit et d’arbitraire absolu.

« Prisonnier social », Thierry Chatbi a passé une grande partie de sa vie dans cet univers carcéral qui poursuit, avec les quartiers de haute sécurité (QHS), d’isolement, de sécurité renforcée, de plus grande sécurité, « une seule et même logique de surenchère dans l’enfermement [et la] destruction[des êtres] par l’isolement. » Il garder à l’esprit que
« l’isolement est vraiment une forme de torture particulièrement pernicieuse : elle est réfléchie, méthodique, froide et extrêmement destructrice » et que replonger « dans cette usine carcérale à gérer la misère », C’est n’être qu’un matricule.

Après l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, « L’État a mis en place des réformes pour adapter la prison à la société, la “crise” s’installait et le nombre de chômeurs augmentait. Il fallait extirper jusqu’à l’idée de la révolte du crâne des dépossédés. « Dès que tu t’attaques, à plusieurs reprises, à l’institution et à ses finances, ils n’ont plus qu’une seule idée : t’éliminer. [1] » La longueur des peines, les psychotropes, l’isolement, les procès, les tabassages, la télé avaient “pacifié ” la détention — les luttes se sont faites de plus en plus rares. »

À ceux qui se croient libres. Lettres et témoignages recueillis par Nadia Menenger se veut « un moyen de continuer à crier avec Thierry contre la prison, cette dévoreuse de vies, contre la justice, dont la fonction est de détruire, et contre cette société de profit, qui sacrifie l’enfance, confine l’intelligence et anéantit la vie pour protéger ses intérêts. »

Nadia Menenger : J’ai commencé à travailler avec un groupe de lutte anticarcérale qui s’était créé autour des émeutes de Fleury-Mérogis en 1985. Nous concevions la lutte contre la prison intégrée dans une lutte plus générale de la société. Nous avons commencé une émission de radio, Parloir libre [2], en 1985 et 1986 et fondé une association de parents et ami-es de détenu-es. C’était cela qui m’intéressait, mener une réflexion pour s’organiser afin de soutenir les prisonniers, d’améliorer les conditions carcérales et le droit de visite, mais surtout soutenir la lutte des prisonniers. En même temps, nous avons publiés beaucoup de textes et, ensuite en 1988, nous avons créé le comité pour l’abolition de l’isolement carcéral. Et c’est dans cette histoire que j’ai rencontré Thierry Chatbi.

La première fois que j’ai vu Thierry, il était sur les toits de Fleury-Mérogis. Ils étaient une vingtaine et avoir réussi à se hisser sur les toits. Nous l’avions appris par la radio et nous sommes venus pour communiquer avec eux, éventuellement s’interposer s’il y avait une intervention de la police et recueillir les témoignages des familles des prisonniers. Ensuite, il a beaucoup écrit à l’émission Parloir libre, il a témoigné sur les mouvements de lutte auxquels il a participé. Pour lui, il était important d’en faire le récit, non seulement pour l’extérieur, mais aussi pour ceux de l’intérieur afin de créer une solidarité et une relation de lutte, une relation de conscience entre l’extérieur et l’intérieur. Je l’ai ensuite revu sur le toit de la prison de Fresnes, mais cette fois il était seul et il se battait pour son dossier. […] C’était au cours d’une grève de la faim et il a décidé de monter sur le toit pour interpeller l’opinion et dire « Je suis innocent et je veux sortir tout de suite ». Pour moi, il symbolisait le courage, la lutte et la détermination.

Dans les années 1970-1980, la lutte collective était quelque chose de fort. Les prisonniers se battaient pour faire avancer des causes communes et c’est ce qui paraît étrange aujourd’hui. Dans les années 1980, les témoins étaient clairs, ils se battaient pour l’ensemble des prisonniers.

Pour moi, ce qui est important dans ce livre, c’est de donner la parole à un droit commun, un prisonnier social, et de permettre à des gens qui, dans les années 1980, étaient en avant des luttes anticarcérales. Ils avaient à la fois une conscience de classe, du collectif et politique. Ils se voyaient comme une composante d’une transformation sociale au même titre qu’un ouvrier et que tous ceux qui lutaient. Thierry avait cette conscience d’appartenir à cette classe. C’est un fils d’ouvrier qui a vu l’exploitation de ses parents et qui a choisi le vol pour échapper à cette condition. C’est pourquoi ces témoignages sont importants car on a vite fait de classer les délinquants comme des individus sans conscience, sans réflexion, avides d’argent ou de sexe, des barbares. Aujourd’hui, même si cela a changé, il reste en prison des hommes et des femmes qui poursuivent la lutte, qui ont cette réflexion sur la société et l’envie de la transformer avec d’autres.
Cette parole des droits communs est indispensable à rappeler car ces dernières années, ce sont surtout les politiques qui ont critiqué le système carcéral. Mais c’est de l’intérieur que parvient une remise en cause plus globale et plus profonde du système qu’il s’agisse de l’existence de la prison ou de la justice.

Je suis contre la prison et je pense que le combat principal aujourd’hui est celui de la diminution des peines. On ne peut plus concevoir les problèmes sociaux en termes de longueurs de peines. Plus les peines sont longues, plus les êtres seront détruits. C’est seulement cette lutte qui est constructive.

À CEUX QUI SE CROIENT LIBRES

(Extraits)

Le remède est pire que le mal

(Récit de Thierry Chatbi)

À l’âge de 10 ans, j’ai épousé la religion à coups de matraque. Les services sociaux m’ont placé, pour des raisons économiques, sociales et familiales, chez les curés, dans les Pyrénées. […] Mon père, d’origine kabyle, était ouvrier à l’usine de roulements SKF. J’ai appris tout petit à avoir honte de mes origines ; nié en tant qu’individu jusque dans mes racines, c’était dur de me construire.

J’ai été placé au moins deux ans chez ces curés où j’ai tout appris : la messe en basque et tout. J’ai même fait enfant de chœur. J’étais un bon enfant de chœur, comme quoi ça mène à tout. J’étais avec mon frère ; lui dormait dans une baraque, on appelait ça le palace : un taudis. C’était une espèce de ferme, c’était l’horreur. Les mômes étaient entassés là-dedans, la flotte coulait de partout, ça passait par les tuiles, par le plafond. Le frangin pissait au lit, moi aussi d’ailleurs ; depuis, j’ai appris que c’était dû aux carences affectives…

On a pissé tard au lit. Du coup, il emboucanait tout le monde, et pour le punir, ils le mettaient sur le palier ; là, il y avait des lattes de plancher qui donnaient sur la chambre de l’abbé, une ordure intégriste qui faisait rentrer les mômes dans sa chambre. Il avait une petite flagelle à la main, il les fouettait, il les tripotait, et nous, on voyait tout. Quand il essayait de nous approcher, on se cassait.

Voilà l’ambiance. J’avais 10 ans, les journées étaient occupées aux études et à la messe, j’étais pensionnaire. On aidait à faire la messe, mon frère et moi. Le week-end, comme sortie, on allait aux enterrements des curés des paroisses voisines et des vieilles du coin. À l’église, si l’on n’avait pas le chapelet dans la main après l’étude, au hasard, [l’abbé] nous appelait et on devait se mettre à genoux, et il nous défonçait à coups de bâton, dans la maison de Dieu. J’explique ça aujourd’hui, ça me paraît dingue, et pourtant dans nos têtes de mômes, c’était normal. On pensait que c’était ça, l’éducation.

Après, je suis remonté à Paris, dans ma famille […] Chez mes parents, je n’étais pas chez moi. À l’école, il n’y avait pas le même programme que dans les Pyrénées. J’ai été mis dans une voie de garage et j’ai été en apprentissage, nourri, logé. J’ai été placé à droite à gauche, j’ai fait apprenti boulanger, pâtissier, tapissier, enfin trois mille métiers. Cela n’allait jamais, puisque psychologiquement ça n’allait pas.

L’humanisme est la politesse des salauds

(Quartier d’isolement de Fresnes, mars 2001)

Dans nos sociétés modernes, marchandes, mondialisées… l’exclusion, l’enfermement, la coercition autoritaire, le toujours plus sécuritaire est devenu la question axiale, celle qui fait débat dans notre pseudo-démocratie ! La guerre froide « Est-Ouest » n’étant plus d’actualité, la nature « humaine » ayant peur du vide, elle eut tôt fait de se déplacer « Nord-Sud » ! Voire cibler des nouveaux ennemis, intérieurs ceux-là… Les plus sournois, les plus redoutables… Toutes ces minorités pauvres, visibles, vulnérables, corvéables, stigmatisables ! Proies idéales.
Aux States par exemple, dans la patrie du serial killer Bush junior, magnat du pétrole, fils à papa Bush senior, génocideur du peuple irakien quant à lui, ce sont 20 milliards de dollars, alloués initialement à la prévention, au social, qui furent tout bonnement supprimés pour être réaffectés au carcéral ! No comment. En 1985, aux States, on comptait 250 000 détenus ; en 2001, c’est plus de 1 700 000 ! Sans pour autant enregistrer une quelconque hausse des crimes et délits. L’effet tolérance zéro ! Les médias, la police, la justice, les politiques, l’industrie du sécuritaire tendent tous à maximiser, à accentuer, à rentabiliser la criminalité ! Susciter la peur, créer son sentiment, produit l’effet escompté à savoir la demande, celle du toujours plus sécuritaire. Alors que construire des prisons pour enrayer la criminalité, c’est comme construire des cimetières pour enrayer une épidémie. À New York, 95 % de Blacks et Portoricains remplissent les prisons. Aux States, il y a autant de jeunes Blacks en prison que de jeunes Blancs dans les universités. Une étude comparative dans l’Hexagone avec nos minorités ethniques et sociales serait édifiante.

Aujourd’hui, « la France a peur », peur de ses enfants. Les politiques semblent tous extrêmement préoccupés par ce sujet grave et sensible. Nous pouvons imaginer que les échéances électorales n’y sont pas étrangères. L’insécurité : cheval de Troie de tous les politiques ! Entre vaches folles, moutons tremblants et porcs fiévreux… Il est évident que nous avons bien plus à craindre et à redouter des hordes de sauvageons que de l’insécurité alimentaire, chimique, industrielle, économique, politique ! Les jeunes, les minorités pauvres sans droits, sans vote, sans voix, sans pouvoir… Cibles idéales ! Moins de places à l’école revient à plus de places en prison.

Aujourd’hui ces dernières sont semi-privées, livrées clés en main avec études de marché, remplissage, rentabilité maximum ! Quand le bâtiment va, tout va. Secteur en pleine expansion, tout comme la sécurité. La question de la « fracture sociale » n’est même plus d’actualité. On est pragmatique, on ne fait même plus semblant ! L’exclusion se gère, c’est même un business porteur. En prison, qui plus est, la main-d’œuvre est docile, nombreuse, disponible, c’est l’esclavage moderne… Salaires défiant toute concurrence, charges sociales inexistantes, couvertures sociales idem. Aucun droit du travail, droit syndical, droit tout court. Vive le libéralisme intra-muros. La prison est criminogène, criminelle, de l’avis de tous. Son pseudo rôle dissuasif est loin d’être probant avec le constat accablant, terrifiant, de 70 % de récidive. Or nous ne pouvons que constater la lourdeur et l’allongement des peines, la non-réduction de celles-ci. Plus aucune commutation depuis des années. Plus de libérations conditionnelles pour les longues peines.

Aujourd’hui encore la gauche se targue d’avoir aboli en 1981 la peine de mort, vestige barbare d’un autre temps. La France restait la seule en Europe à exécuter « il y a tout juste vingt ans » des hommes et des femmes au nom de la justice – la France étant d’ailleurs à ce propos le pays le plus répressif, celui où les peines sont les plus lourdes en Europe. En mars 2001, l’abolition de la peine de mort n’est pas à mettre au compte de la gauche. Elle fut l’enjeu d’un programme politique, donc l’expression de la volonté d’une partie du peuple français. Or c’est bien un gouvernement de gauche qui conçut et fit voter la peine de trente ans accompagnée de vingt-deux ans de sûreté. Mesdames et messieurs les humanistes de gauche, la torture ne s’aménage pas, elle se supprime. Les longues peines sont une forme d’élimination sociale, une mort lente à peine déguisée, de la vengeance pure, le message adressé au corps social, aux prolos et sous-prolos, aux travailleurs pauvres, aux fins de droits, à tous les exclus qui auraient quelques velléités d’émancipation, d’une non-acceptation. Cela procède du même ressort à l’intérieur avec les régimes et statuts différenciés, les avantages accordés à certains.
Le monde carcéral est le reflet du monde extérieur dans un arbitraire et un non-droit plus affirmé. C’est sans ambiguïté aucune. Des luttes carcérales ont jalonné l’histoire des prisons. Nous avons appris à nos dépens, pour certains, qu’aucun acquis n’est définitif. Nous avons la prison, la justice, la démocratie que nous méritons. Les seules choses dont nous pouvons être sûrs, c’est le changement et la mort.

[…] L’enjeu de la loi sur la présomption d’innocence, sur le nouveau traitement des conditionnelles et autres aménagements est de taille. Celui du droit dans la prison ne l’est pas moins, notamment avec la présence d’un avocat au prétoire, tribunal intérieur à la prison où cette dernière est juge et partie dans l’arbitraire le plus total. Une des raisons qui font que les syndicats pénitentiaires s’opposent tous à cette loi. La question des parloirs intimes, du droit à la sexualité, à l’intimité, à l’humanité intra-muros est elle aussi d’une portée capitale. Elle brise les tabous (à nous de l’expliciter) et aussi les consciences. L’enfermement doit se suffire à lui-même ! La question des longues peines, des périodes de sûreté, celle du travail dans la dignité et la non-exploitation, la question des transferts, de l’éloignement des familles doublement condamnées qui le plus souvent n’ont pas les moyens économiques de se déplacer. Enfin à tous les camarades, à toutes les camarades de misère… y a de quoi faire.
La lutte finale continue.
le résilient

Chronique d’une répression au quotidien

Vous êtes assis sur une bombe à retardement
dont vous êtes les artificiers…

Fleury-Mérogis, février 1990

Suite au mouvement de refus de plateaux et à la journée morte organisée au bâtiment D2 le 5 de ce mois, action suivie par un certain nombre de camarades détenus en solidarité avec nos compagnons de misère de Saint-Maur, victimes et boucs émissaires d’une répression féroce, sélective et dirigée, les retombées ne se sont pas fait attendre… Cinq jours plus tard, j’ai été baluchonné au bâtiment D1 sans autre forme d’explication. Ils ne s’encombrent pas, jamais, de justification, tellement ils sont sûrs de leur pouvoir tout-puissant et souverain ; seulement ils n’ont toujours pas compris que leur politique de la terreur ne fait qu’attiser les haines et les rancœurs, renforcer ce sentiment d’injustice caractérisé.
Justice sourde et aveugle aux revendications, pourtant parfaitement légitimes, toujours les mêmes, reprises à l’occasion de toutes les luttes, clairement affichées et affirmées au cours des procès. Parodies de jugements qui se bornent à sanctionner les faits en occultant soigneusement les raisons profondes qui en sont pourtant la cause. Nos camarades ont su faire de ces procès des tribunes, en prenant la parole avec force, sans jamais se renier ni faillir. Face à tant de force et de détermination, confrontée à une population pénale responsable et consciente de sa force, l’administration pénitentiaire perd pied et, à bout d’arguments, tombe le masque en pratiquant la politique du pire. Elle se montre telle qu’elle a toujours été et n’a jamais cessé d’être, à savoir l’outil répressif du pouvoir tout-puissant !
Les gouvernements successifs se plaignent des manques de moyens accordés à la justice et à sa petite sœur complice, l’AP. Faute de moyens, nous n’avons droit qu’à 13 000 places de geôles bien de chez nous ! À 400 000 francs la place, ça fait du gras… De même qu’on nous bassine depuis des lustres avec la refonte du code pénal, avec son alignement sur une politique globale en matière de justice avec l’Europe de 1992.
Qu’avons-nous de concret en 1990 ? Des peines de trente ans, assorties de vingt-cinq années de sûreté… Peines tout à fait banalisées aujourd’hui. Nous sommes recordmans d’Europe en matière de détention préventive avec 50 % de la population pénale ; il n’est pas rare d’attendre son jugement cinq à six ans. De même que tout l’arsenal maintenu et amélioré « en pire » par « la gôôôche » au pouvoir depuis bientôt dix ans ; quantum des grâces diminué de moitié, conditionnelles accordées de plus en plus parcimonieusement, isolement légalisé et encouragé, mitard, censure, déportation, provocations, bastonnades, etc.
L’année 1991 doit être l’année de la justice ! Pour qui ? Nous sommes en droit de nous interroger, et surtout de nous inquiéter… Il est tout à fait clair que le pouvoir politique ne souhaite faire aucune concession, à moins d’y être contraint et forcé…
Voilà qu’ils nous nomment un monsieur Sécurité, un monsieur propre super musclé qui se propose de lutter contre l’épidémie d’évasions qui agite le monde des prisons. Si vous me permettez une suggestion, messieurs les législateurs, messieurs les décideurs, si vous souhaitez réellement désamorcer la bombe, ce n’est pas un monsieur Sécurité qu’il nous faut ; si vous souhaitez enrayer le processus, il faut redonner espoir aux gens, respecter les individus, les considérer, arrêter la mort lente, les peines éliminatoires, stopper la torture blanche sous toutes ses formes. Quel homme encore debout peut accepter vingt à trente années de castration, vingt à trente années de non-vie, de non-être ? Messieurs les politiques, vous agissez en toute inconscience, vous êtes dangereux pour vous-mêmes et pour nous autres. Vous êtes assis sur une bombe à retardement dont vous êtes les artificiers… Nier, taire, étouffer, écraser les voix de 53 000 femmes et hommes, même derrière vos hauts murs, cela me semble hard… Quant à la honte, il y a longtemps que vous traitez directement avec. Bien du courage à vous.
Force et détermination à tous les copains et copines en lutte.
Thierry

Clairvaux, t’arrives, t’es pas déçu…

Tu te sens enterré, emmuré, enclavé…

1995-2001 : après six années d’isolement, de tourisme pénitentiaire… après avoir enduré et supporté bon nombre de quartiers d’isolement de l’Hexagone, me voici encore de retour au QI de la maison d’arrêt de Fresnes ; Fresnes, plaque tournante, carrefour, passage obligé pour tout détenu en partance vers les maisons centrales ou centres de détention du pays. Je suis affecté à la maison centrale de Clairvaux. Centrale de bien funeste réputation. Chaque détenu a vu ou entendu ce qu’il s’en raconte à voix basse, histoires sordides et toujours sanglantes de cette ancienne abbaye du xiie siècle. Histoires inscrites, gravées, imprégnées de la souffrance des hommes, de leur misère, de leur chair, de leurs âmes. La pénitentiaire dit ne pas cacher que Clairvaux est la punition ! Y sont dirigés toutes les fortes têtes, tous les contestataires, tous les réfractaires, tous les rebelles, tous les détenus conscients. Bon nombre sont DPS pour évasion ou tentative, pour des actes de résistance au système, non-acceptation, revendication, mutinerie ou autres. Des quantités de peines ingérables. Prisonniers politiques. Bon nombre de détenus psychiatriques également, dangereux pour eux-mêmes autant que pour la collectivité. En 2001, à Clairvaux, sur deux cents détenus, il fallait compter quatre-vingts perpétuités et autant de peines de vingt, vingt-cinq, trente ans, le tout mélangé à des fins de peine !

Un matin à l’aube, ils sont venus me chercher ! Un max d’uniformes bleus… J’ai quitté le QI pour longer les couloirs de la détention, silencieux et vides à ces heures matinales où la prison est encore assoupie. J’ai emprunté le couloir central, son parquet aux lattes cirées, glissantes d’un bout de l’année à l’autre… vitrine de cette prison !

Je suis conduit à la fouille avec mon maigre baluchon. Les cartons avec le reste de mes effets ont été faits la veille ; ils sont déjà dans le car de transfert. Dans cette salle d’attente, je retrouve plusieurs vieilles connaissances. Un codétenu du QI que je n’avais jamais vu ni croisé physiquement, alors que nous étions voisins de cellule depuis plusieurs mois, est aussi du voyage. Les surveillants nerveux arrivent en nombre. Nous sommes menottés, entravés, attachés par deux. Nous attendons en rangs silencieux. À l’aboiement d’un surveillant, le cortège s’ébranle. Les chaînes à nos chevilles martèlent le plancher de bois ciré dans un vacarme fracassant. Nous prenons place dans le car. Il est confortable et presque luxueux ; ça nous change des bétaillères, ces camions cellulaires où tu respires difficilement, sans fenêtre ni ouverture. Les surveillants s’installent à l’arrière et dans la travée. Nous sommes séparés du chauffeur par une vitre de sécurité et une rangée de barreaux. Les vitres latérales, condamnées, sont elles aussi protégées par des barreaux. Nous sommes escortés par deux véhicules de gendarmerie. Toutes sirènes hurlantes, nous quittons l’enceinte de la prison. Nous restons tous collés aux vitres afin d’imprimer, enregistrer, graver un maximum de détails de cet autre côté ! Autre vie… images déjà presque oubliées, diluées…
Quelques heures plus tard, nous sortons de l’autoroute. C’est la France profonde et rurale. Nous longeons un interminable mur d’enceinte, puis nous arrivons dans une cour pavée et bordée d’arcades en pierre de taille. Nous sommes à l’ancienne abbaye de Clairvaux. Le car s’arrête devant une grande porte à battants surmontée d’un mirador imposant. La porte s’ouvre sur une cour d’honneur que nous traversons pour piler à nouveau devant une énorme porte métallique que surplombe un mirador encore plus gigantesque que le premier. La porte s’ouvre en coulissant. Au ralenti, nous longeons des murs gris, immenses, comme dans un labyrinthe.
Enfin le car s’arrête. Nous descendons pour entrer dans une vieille bâtisse en pierre. Ce bâtiment est en dehors de la détention « normale ». C’est le QI et le QD. Les surveillants le nomment « affectueusement » la villa Suchet, du nom d’une famille de surveillants du coin ayant sévi de père en fils sur plusieurs générations dans ce sordide endroit. Matons de la pire espèce, il va sans dire. C’est le seul bâtiment de l’ancienne détention qui soit encore utilisé ; ancienne détention aujourd’hui classée aux monuments historiques. Le rez-de-chaussée est occupé par les cellules de cachot, une vingtaine : le premier étage par le même nombre de cellules d’isolement. Les surveillants affectés à ce bâtiment sont tous volontaires. No comment. Le prétoire (le tribunal interne) siège dans cette unité. Les avocats du barreau de Troyes désignés d’office pour assister les détenus lors des commissions de discipline refusent de se déplacer à la centrale ! J’ai personnellement assigné l’ordre du barreau de cette ville.
Nous intégrons les cellules du premier étage. Le jour même, nous rencontrons les membres de la direction qui nous font l’article sur le fonctionnement de la taule. Les menaces implicites quant aux manquements et aux entorses au règlement sont de mise – et la sous-directrice de nous annoncer clairement qu’elle « protège » ses
surveillants ! On ne peut plus clair !

L’après-midi même, nous intégrons la détention. Celle-ci est structurée en deux bâtiments face à face séparés par un terrain de sport. Deux minuscules cours de promenade, une par bâtiment. L’espace octroyé aux détenus est excessivement limité alors que le site de cette ancienne abbaye est immense. Les détenus des deux bâtiments ne sont jamais mis en contact direct, ceci afin d’éviter tout regroupement. Chaque unité comporte une centaine de détenus. Avec une salle de musculation pour les deux bâtiments, ping-pong, boxe et tennis sont les seules activités accessibles. Nous avons bataillé plusieurs mois avec la direction de l’établissement pour que des enseignants extérieurs puissent avoir accès à la détention. Seul le travail à la chaîne, sous-payé, abrutissant et aliénant, est encouragé, valorisé, reconnu par le personnel d’encadrement. La journée continue, la consommation, les DVD de cul, les catalogues de vente par correspondance, l’alcool frelaté, le haschich… Tout cela est toléré, encouragé, sollicité, récompensé. Encore plus perfide, la direction connaît les dealers. Elle laisse faire tant qu’elle « contrôle » ! Ce sont des échanges de bons procédés ! Dans ce climat délétère, de haine, de suspicion, de jalousie, d’intrigue… au contact de tous ces psychopathes dangereux… autant côté détenus que personnel pénitentiaire… pas toujours aisé de savoir garder lucidité et sang-froid… dès lors qu’il faut sauver sa peau !