Une adaptation de textes d’Armand Robin et une mise en scène de Monique Surel-Tupin, interprétée par Nicolas Mourer (création de la compagnie La Balancelle).
Reprise des représentations tous les samedis du mois de décembre 2009 à 19h30 et le dimanche 27 décembre à 16h30.
La compagnie La Balancelle : 01 45 26 50 89
Une chaise au milieu d’une pièce vide.
Un homme entre, il dépose deux valises puis il ressort en chercher une
autre.
Trois valises… On a rempli trois valises avec les papiers retrouvés après la mort d’Armand Robin dans son logement. Quand les employés municipaux sont entrés dans l’appartement, il y avait au sol une pyramide de papiers, souvent froissés et maculés, des manuscrits de poèmes. Les amis d’Armand Robin les ont ramassés sous les pieds des déménageurs. Ils ont eu dix minutes pour tout ramasser, ils sont repartis avec trois valises. Le reste des manuscrits est parti à la décharge.
Il vide une valise. Il en sort un monceau de papiers froissés.
C’était le treize juillet 1961, peu de temps après la mort d’Armand Robin un soir de mars à l’infirmerie spéciale de la Préfecture de police de Paris. Robin se disait « non-né, non-vivant et non-mort… Poète sans oeuvre, aboli par sa poésie, se suicidant chant par chant ».
Sa vie fut un suicide en même temps qu’un hymne à la vie… Sa vie, à peine un demi-siècle, se déroula entre les buissons de noisetiers des sentiers bretons et le pavé hostile de Paris.
C’était un petit homme saugrenu, à grande bouche, rapide, rieur, tendu, presque affairé. Il était en même temps très ridé et enfantin. Il avait d’énormes mains de paysan, avec des ongles bombés tels des globes. Des mains faites pour la terre, avec lesquelles il saisissait des livres pour s’engloutir avec eux dans le creux d’un chêne ou d’un buisson.
L’assassinat des poètes
À propos de l’épuration de Boris Pasternak en URSS.
Le soviétisme est un système qui vole aux hommes le peu qui ne leur avait pas été volé ; c’est un effort exaspéré et désespéré pour briser définitivement en l’homme la soif d’un monde meilleur.
Le comportement des dirigeants soviétiques à l’égard de la poésie est
symptomatique. Naguère le poète était tenu à l’écart parce qu’ « inutile
commercialement », maintenant il est interdit parce que « dangereux socialement » (entendez dangereux pour les puissants !). Baudelaire, Rimbaud, Verlaine furent maudits ; Blok, Essenine, Maïakovski, Pasternak sont littéralement livrés à la mort comme victimes expiatoires. La nouvelle secte des dominateurs admet qu’une Elsa Triolet, dont le comportement sent l’agente de la Guépéou et dont l’oeuvre est écoeurante de petite bourgeoisie salisse la mémoire de Maïakovski en se réclamant de lui.
Le mal de ce monde s’appelle matérialisme, ce qui implique le mépris des pauvres, puis le massacre des pauvres, mépris des révolutionnaires puis massacre des révolutionnaires, mépris des poètes puis suppression des poètes. Le matérialisme triomphant c’est l’exploitation des travailleurs d’abord, leur esclavage en Sibérie ensuite, l’universel camp de déportation enfin.
Qui n’approuve pas l’infamie doit disparaître ; qui ne consent pas à devenir un Aragon doit se taire. Partout l’assassinat des poètes est en cours.
Boris Pasternak, le seul poète de la Russie stalinienne vient d’être inscrit sur une liste noire pour « n’avoir pas écrit d’ouvrage politique » ; curieux qu’on punisse un homme pour avoir refusé de s’avilir.
Je souffre de tout ce que peut souffrir Boris Pasternak en ce moment. Mais je me réjouis aussi de la grande chance qui vient de lui échoir : cette interdiction est à son honneur, elle prouve qu’il ne cherchera pas à se justifier devant ses maîtres en toutes injustices.
Armand Robin
« En France, c’est sûr, on aime les poètes… qu’assassinés »